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Etat des lieux après six mois d'embargo
« En cinq ans, j'ai vu plus de marchés se fermer que s'ouvrir »

Chez Blue Whale, Marc Peyres, directeur commercial Export, fait le point six mois après la fermeture du marché russe. Son inquiétude reste la Pologne et ce que feront les pays d'hémisphère Sud sur le marché européen.

FLD : Après six mois d'embargo, quelles sont les conséquences sur le marché de la pomme ? MARC PEYRES : C'est maintenant que l'on va connaître l'impact sur le marché, car l'Europe exporte de gros volumes vers la Russie durant les mois de janvier, février, mars et avril. Avant cette période, il y a des taxes imposées sur la pomme d'importation pour protéger la pomme d'origine russe. La Pologne sera de toute manière la plus touchée : elle est la principale concernée. Il faut imaginer qu'il s'agit de presque 1 000 camions par semaine qui transitent entre la Pologne et la Russie à cette période. Comment va-t-on faire pour trouver des marchés de substitution pour de tels volumes ? Il y a réellement une capacité de déstabilisation du marché de la pomme dans son ensemble. D'autant plus que nous sommes dans une référence de prix déjà bas en raison de récoltes records en Europe du Nord et aux Etats-Unis. En France, nous sommes un des rares pays européen à avoir une récolte moindre de pommes (-15 %), alors que pour l'ensemble des pays européens c'est plutôt de l'ordre d'une hausse de 20 % et la qualité est très bonne. Les stocks sont importants, les Etats-Unis sont à + 18 % et l'Europe à + 13 % en qualité de fruits supérieure. Les six prochains mois seront donc difficiles.

FLD : Peut-on trouver de nouveaux marchés ? M. P. : C'est toujours compliqué d'ouvrir de nouveaux marchés à l'export. En ce moment, il y a moins de pommes en Chine et en Inde, mais ces deux marchés sont limités d'accès. Ils ne sont pas fluides. Nous ne sommes pas comme dans le cas des céréales. En fruits, c'est plus lourd d'ouvrir de nouveaux marchés. Le Moyen-Orient peut être une solution pour les pommes polonaises, mais je n'y crois pas… Les opérateurs polonais pourront envoyer quelques marchandises cette année, mais il faut au moins cinq à six ans pour ouvrir réellement un nouveau marché d'exportation. Chez Blue Whale, quand nous avons commencé à envoyer de la Gala (en 1993-1994) vers le Moyen-Orient, il nous a fallu quatre à cinq ans pour introduire cette variété et cela fait seulement depuis cinq-six ans qu'ils en achètent de manière conséquente et surtout prioritaire. Après, la Pologne envoie des pommes à des prix bon marché, cela peut être intéressant, mais si derrière, chez les clients, le produit ne correspond pas au marché local, cela n'aura pas de sens. Et l'année prochaine, ce marché s'effondrera.

FLD : Quels sont ces marchés nouveaux que peuvent ouvrir les Français ? M. P. : Il n'y en a pas. Même si j'augmentais de 30 % les envois de pommes sur un pays tiers où l'on exporte peu – ce qui serait remarquable –, à court terme 30 % d'un faible volume cela ne fait pas grand-chose au final ! Les échanges mondiaux augmentent chaque année de 2 % en moyenne depuis dix ans, ils représentent au total 8 millions de tonnes de pommes. Il n'y a jamais tout d'un coup une hausse de cette ampleur. Ce sont des phénomènes plus lents. Au total, la perte du marché russe correspond à un volume minimum de 500 000 t de pommes pour l'Europe. Ce n'est donc pas compensable en l'état. L'aide de l'Union européenne n'est pas suffisante pour compenser cette perte.

F LD : Alors comment envisagez-vous l'avenir ?

M. P. : Nous devons jouer sur tous les leviers à notre disposition : évacuation de fruits vers l'industrie, allongement de nos campagnes en pommes sur le marché européen, mesures européennes de destruction, augmentation de la consommation en Europe grâce aux prix plus bas... Il peut se produire une régression des exportations d'hémisphère Sud vers l'Europe. On passerait ainsi de 400 000 à 150 000 t et donc on allégerait notre campagne. C'est possible. On a chuté en l'espace de sept ans de 800 000 t en provenance d'hémisphère Sud à 400 000 t aujourd'hui. Cette baisse continue est liée à l'arrivée de nouvelles variétés, en Europe, qui se conservent plus longtemps et à la perte de compétitivité des productions d'hémisphère Sud, en termes de prix. Nous allons donc, de toute façon, vers une fin de saison difficile. On fera les comptes en juillet.

FLD : Et les productions d'hémisphère Sud

vont-elles se retrouver en Russie ? M. P. : Face à ce phénomène, l'hémisphère Sud a deux problèmes : la perte du marché européen en partie pour des marchandises vendues cher, et une demande russe principalement centrée sur des prix bas. La dévaluation du rouble ne fera qu'empirer la situation.

FLD : Pourrons-nous récupérer le marché russe après la fin de l'embargo ? M. P. : Le problème sera d'importance, car nous aurons des difficultés à vendre nos pommes si la monnaie russe continue à être dévaluée. Nos produits seront trop chers pour le marché russe. Je reste persuadé que l'hémisphère Sud payera les conséquences de l'embargo, et massivement. En parallèle, dans tout problème, il y a une opportunité. Même si les Russes ouvrent demain leur marché, il faut savoir qu'ils veulent développer leur propre production et protéger leur pays des importations. Il sera nécessaire de restructurer rapidement la production européenne, en particulier en Pologne. Cet ajustement serait fait à terme. On sait très bien que les marchés mondiaux, hors Europe, sont instables par nature. L'embargo en est un exemple. Pour se restructurer, il faut diversifier ses exportations : on ne peut pas commercer avec un seul pays à l'export, notamment sur les marchés longue distance. Si je fais le bilan, sur les cinq dernières années, j'ai vu plus de marchés se fermer que de marchés s'ouvrir. Peut-être que les cinq prochaines années seront différentes ! Il faut, de toute façon, rester en permanence éveillé et s'adapter.

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