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Bilan carbone de la banane : on décrypte avec le Cirad

La banane peut-elle être un des piliers d’un régime bas carbone comme l’a affirmé un chercheur britannique dans son livre « Peut-on encore manger des bananes ? L’empreinte carbone de tout », publié il y a quelques semaines ? Eléments de réponse avec Carolina Dawson, agroéconomiste au Cirad, qui analyse pour FLD les études sur le bilan carbone et l’analyse de cycle de vie de la banane déjà publiées sur le sujet.

 

« Oui, on peut encore manger des bananes dans un contexte d’urgence climatique. » Cette actualité qui s’est glissée dans la presse (exemples ICI ou LA) et sur les réseaux fin mars -entre les remises en cause des ambitions des gouvernements et les news météo moroses- semble clore un débat en cours chez de nombreux consommateurs écologiques s’inquiétant de l’empreinte carbone de ce produit venu de loin. 
 

 

Mike Berners-Lee compare le bilan carbone de la banane et d'un cheeseburger

Dans cette actualité du chercheur Mike Berners-Lee, la banane avec une empreinte carbone de 110 g eqCO2, à comparer avec un cheeseburger (5,4 kg eqCO2) ou bien à une barquette de fraises d'Afrique du Sud ou une barquette de fraises françaises cultivées sous serre et hors saison (3,65 kg eqCO2), fait donc office de bonne élève. D’autant plus qu’elle présente un « bénéfice nutritionnel impressionnant » : une centaine de calories, un apport solide en vitamines C et B6, des fibres, du potassium. « Disons-le : la banane peut être un des piliers d’un régime bas carbone. »
 

 

Comment le chercheur arrive-t-il à une empreinte carbone de 110 g eqCO2 pour une banane ?

 

Un calcul en équivalent carbone

Pourquoi parle-t-on d’équivalent carbone ? Les gaz à effet de serre sont le dioxyde de carbone, le protoxyde d’azote, le méthane, la vapeur d’eau… L’agriculture au final n’émet que peu de carbone, principal gaz responsable de l’effet de serre, comparé aux autres filières, mais davantage des autres gaz. C’est pourquoi on parle en « équivalent carbone » (eqCO2). En 2017, la répartition des émissions atmosphériques de gaz à effet de serre dans le monde s’établissait à : dioxyde de carbone (CO2) 81 %, méthane (CH4) 11 %, protoxyde d’azote (N2O) 5 % et hydrofluorocarbures 2 % (source Parlement UE).

Cette affirmation et ce chiffre de 110 g eqCO2 pour une banane (soit 670 g eqCO2 par kilo de banane) proviennent du livre du britannique Mike Berners-Lee, professeur à l’université de Lancaster et consultant avec Small World, « Peut-on encore manger des bananes ? L’empreinte carbone de tout », paru le 14 mars 2024 aux éditions L’arbre qui marche. Il s’agit d’une version remaniée et mise à jour pour la France du best-seller anglais « How bad are bananas ? The carbon footprint of everything » (éd. Profile Books, 2010).

 

Quelles sont les raisons de l'« efficacité carbone » de la banane ?

Dans cette version française toute juste publiée, on peut donc lire, p.53, que « cette “efficacité carbone” s’explique par trois grandes raisons : la banane pousse au soleil, sans besoin de serres ; facile à conserver, elle se transporte par bateau (100 fois moins coûteux en carbone que l’avion) ; … et sa peau la dispense d’emballage ». Mais la banane pose par ailleurs « de réelles questions en matière écologique », nuance l’auteur qui évoque la monoculture d’un clone, l’usage de pesticides et fongicides, et la déforestation.

 

 

ACV, empreinte carbone : les questions à se poser sur le bilan carbone de la banane

 

Un bilan carbone critiquable

La lecture de ce livre, pour autant divertissante, pose de nombreuses questions. Opérateurs de la filière et experts ACV (analyse du cycle de vie) savent bien que le transport maritime est généralement le poste le plus coûteux en termes d’empreinte carbone. En outre, la banane est rarement vendue sans emballage  (sticker, ruban, flowpack et surtout les cartons dans les stations de conditionnement pour faire les colis). Et dans quelle mesure l’auteur a-t-il adapté ses chiffres et sa méthodologie à la réalité française (marché sur lequel les bananes sont d’origine dollar à 25 %, Afrique à 40 % et des Antilles à 35 %, selon les chiffres de l’AIB) ? En général, la filière banane export n’est pas concernée par les problématiques liées à la déforestation et le changement d’allocation des terres, alors que c’est le cas d’autres filières telles que le cacao.

 

En quelle unité exprimer l'empreinte carbone de la banane ?

D’où proviennent les chiffres de ce livre ? Rappelant que « la comptabilité carbone est tout sauf une science exacte » et que les chiffres de son livre ne sont que des estimations Mike Berners-Lee précise avoir utilisé des méthodes et sources* variées, ainsi que les modèles développés par son entreprise de consulting Small World * Parmi les données publiques issues d’ACV, l’auteur a utilisé les sources du Defra (ministère britannique de l’Environnement, l’université de Bath, l’Association européenne des fabricants de matière plastique, etc. La version d’approche “entrées-sorties” utilisée par l’auteur est celle de Small World qui repose sur les données de l’OCDE, de la Division statistique de l’ONU et de la base de données européenne d’émissions de gaz à effet de serre EDGAR. Pour les produits alimentaires, le modèle de calcul de l’empreinte carbone repose sur le modèle que Small World a mis en place pour les supermarchés Booths et de l’ensemble de leur chaîne d’approvisionnement. Ce modèle “Booths” inclut le transport, le traitement, l’emballage, la réfrigération et toutes les autres opérations réalisées tout au long de la chaîne logistique des magasins.

« Dans une ACV, il faut toujours voir ce qui est pris en compte : le périmètre de l’étude : volumes produits, les étapes de la filière, confirme Carolina Dawson, agroéconomiste au Cirad. L’unité fonctionnelle est aussi une question méthodologique. Faut-il envisager le calcul par kilo de produit, à l’hectare de production, ou encore en calories pour faire le lien entre produits et alimentation ? En fait une bonne pratique en ACV est d’exprimer les résultats en plusieurs unités. C’est quelque chose qui se fait déjà couramment dans les études. Ce qui est en discussion c’est dans le cadre de l’affichage environnement, où ils discutent encore de l’unité « officielle » à adopter par tous. La balance penche sur le kilo de produit

 

Il faut comparer des bilans carbone comparables

L’agroéconomiste insiste aussi sur le risque de comparer ce qui n’est pas comparable, par exemple des empreintes carbone qui n’auraient pas été calculées sous même méthodologie, ou périmètre (certaines études s’arrêtent au stade import, d’autres intègrent le magasin et même le consommateurs, d’autres encore regardent uniquement le stade champ) ou avec recours à des bases de données différentes. Ainsi, si la littérature fournit quelques exemples d’empreinte carbone, la spécialiste déconseille de les prendre pour argent comptant. Il s’agirait plutôt d’en avoir une vision.

Même son de cloche du côté du Forum Mondial de la Banane, organe de la FAO, qui en 2017 publiait un guide sur la méthode de calcul de l’empreinte carbone de la filière banane basé les normes ISO 14 064, ISO 14 040, ISO 14 044 et PAS 2050. La FAO rappelle dans ce guide que « les résultats du calcul peuvent varier considérablement en fonction de la méthodologie, de la portée et du cadre sélectionnés et du fait que chaque étude doit être adaptée aux conditions et aux facteurs d’émission locaux ».

La FAO définit le calcul de l’empreinte carbone d’un produit comme la somme de tous les matériaux, l’énergie et les déchets produits au cours de toutes les activités de son cycle de vie, multipliée par les facteurs d’émissions et potentiels de réchauffement planétaire. 

 

FAO, Plátano de Canarias, Banane de Guadeloupe et Martinique : quelques bilans carbone de la banane

 
  • Quel bilan carbone pour un kilo de banane selon la FAO

Compilant les différentes (et à l’époque rares) publications sur le sujet, la FAO avait estimé en 2017 l’empreinte carbone des bananes très variable selon la méthodologie, le périmètre et les données utilisées, entre 324 g et 1 124 g de eqCO2 par kilo de banane.

Au-delà du chiffre qui finalement ne signifie pas grand-chose, les auteurs du guide insistent sur l’identification du transport maritime (dont l’utilisation de réfrigérants) comme principal contributeur à l’empreinte carbone de la filière banane, suivi de la fabrication et l’utilisation des engrais et la fabrication et préparation des boîtes en carton

 
  • Quel bilan carbone pour la banane des Canaries ?

Dans le bilan 2022 (chiffres 2021) de la Plátano de Canarias -la banane des Canaries- le transport et l’étape de mûrisserie étaient effectivement la part la plus importante de son empreinte carbone (40 %). L’Asprocan, l’association des organisations de producteurs de plátanos de Canarias, considère une fixation du carbone par ses bananeraies de -154,65 g de eqCO2 par kilo de banane, ce qui lui permet d’aboutir à une empreinte carbone de 120,71 g de eqCO2 par kilo de banane !

« Les Canariens sont fiers d’afficher une baisse de leur empreinte carbone depuis 2016 [195,16 g de eqCO2 par kilo de banane en 2016 selon les calculs de l’Asprocan, NDLR]. Je pense qu’ils doivent avoir une des plus basses empreintes du monde bananier, vu la proximité avec le marché final, le mode de production etc. », analyse Carolina Dawson.

 
  • Quel bilan carbone pour la Banane de Guadeloupe et Martinique ?

De leur côté, les Antillais n’ont plus n’ont pas à rougir de leur effort. Il y a deux ans, la Banane de Guadeloupe et Martinique avait présenté à la presse le bilan carbone de sa banane, selon la méthode de l’Ademe et pour les données de 2020. Il est encore trop récent pour être renouvelé, nous a précisé l’UGPBAN début avril. (en revanche, l’ACV pour la banane française a été calculée en 2006 et sa mise à jour est justement en cours ; les résultats sont attendus dans le courant de l’année 2024.)

Dans ce travail de 2022, l’UGPBAN avait obtenu une empreinte carbone de 800 g eqCO2 par kilo de banane (à comparer avec 700 g pour la cerise française, 2,1 kg pour l’œuf et 28,6 kg pour le bœuf, chiffres obtenus avec cette même méthode de l’Ademe). C’était une forte baisse des émissions de gaz à effet de serre de -14 % par rapport aux calculs de 2006, mais une comparaison à relativiser, comme l’avait souligné l’UGPBAN, puisque la méthodologie et le périmètre (production moindre en 2020) n’étaient pas tout à fait les mêmes.

La production représentait 70 % de l’impact carbone et la plus grosse et bonne surprise de ce travail avait été sur le poste transport maritime : seulement 130 g eqCOémis par kilo de bananes, grâce au travail fait avec la CMA CGM. Le stade mûrisserie représentait 50 g d’émissions.

Lire aussi : Un bon bilan carbone pour la banane de Guadeloupe et de Martinique

 

Quel est l’utilité pour une entreprise ou une filière de calculer son empreinte carbone ?

« Au-delà d’afficher leur progression aux consommateurs, ces calculs d’empreinte carbone et d’ACV par les entreprises sont surtout une opportunité dans leur travail interne d’écoconception, pour dresser un état des lieux  et identifier les points un peu plus problématiques et donc entrer dans une démarche de progrès », explique Carolina Dawson.

Lire aussi : Vers plus de fruits et légumes zéro carbone en rayon ?

Ce n’est toutefois pas donné à n’importe qui, ajoute-t-elle. « Il faut différencier une filière intégrée et organisée, comme la Banane de Guadeloupe et Martinique ou la Plátano de Canarias, du petit producteur au fin fond de l’Equateur. Une filière organisée ou d’ailleurs de grandes entreprises de la production ou des multinationales qui peuvent avoir des services dédiés à la collecte et analyse des données, avec du personnel formé à ces méthodes ou faire appel à des cabinets d’études et donc y consacrer du budget. C’est compliqué de recueillir et d’analyser les données -il faut une vraie formation-, cela implique un coût, du temps et du savoir-faire . » 

« Il faut une vraie formation pour recueillir les données nécessaires à une ACV » - Carolina Dawson, Cirad

Dans ce contexte, le guide du Forum Mondial de la Banane -et l’ensemble des travaux de calcul d’empreinte carbone d’ailleurs- peut être vu comme un indicateur pour ces producteurs, une piste pour progresser.

Le coût carbone n'est jamais affiché sur une étiquette

Une clé de lecture plutôt qu’un résultat immuable ? C’est d’ailleurs ce même message que tient à faire passer l’auteur du livre « Peut-on encore manger des bananes ? L’empreinte carbone de tout ». Mike Berners-Lee souligne au fil des pages la complexité du calcul carbone et la nécessité de prendre du recul avec les résultats. Il s’agit pour lui davantage de donner des clés de lecture pour orienter nos choix. « En général, nous [consommateurs] savons combien coûtent les choses sans avoir à regarder le prix. A tout le moins nous avons appris à comparer (…) Dans l’idéal, il nous faudrait affuter de la même façon notre “instinct carbone” [car] le coût carbone n’est jamais affiché sur une étiquette. »

 

Ne pas réduire l’empreinte environnementale des fruits et des légumes au seul carbone

Enfin, et c’est sans doute l’autre point le plus important à retenir, c’est qu’une empreinte carbone ne traduit pas un impact environnemental dans sa globalité. Elle vient seulement refléter les émissions de gaz à effet de serre

Ne regarder que le carbone, bien que ce soir la donnée populaire, c'est un peu réducteur

« Mais les impacts d’une filière ou d’un produit sur l’environnement ne se cantonnent  pas uniquement aux gaz à effet de serre. Quid de la pollution des eaux et des écosystèmes, de la biodiversité ? Il faut les prendre en compte. Ne regarder que le carbone, bien que ce soit la donnée populaire, c’est un peu réducteur », explique Carolina Dawson.

 

La méthode PEF préconisée par la Commission européenne

Aujourd’hui, si plusieurs méthodes existent pour l’évaluation des impacts environnementaux, la Commission européenne préconise la méthode PEF (Empreinte environnementale des produits : Product Environmental Footprint) qui repose sur l’ACV (Analyse de Cycle de Vie), socle méthodologique de référence au niveau international (normes ISO 14040 et 14044).

Les 16 indicateurs d’impact pris en compte dans la méthode ACV :

  • Utilisation de l'eau 
  • Acidification
  • Changement climatique
  • Ecotoxicité, eau douce
  • Matières particulaires
  • Eutrophisation marine
  • Eutrophisation, eau douce
  • Eutrophisation terrestre
  • Toxicité humaine, cancer
  • Toxicité humaine, non cancéreuse
  • Rayonnement ionisant
  • Utilisation des sols
  • Appauvrissement de la couche d'ozone
  • Formation d'ozone photochimique
  • Utilisation des ressources, fossiles
  • Utilisation des ressources, minéraux et métaux


Or ces résultats multicritères sont peu interprétables pour le grand public et l’idée de la Commission européenne mais aussi d’initiatives privées est d’aboutir à une affichage simplifié faisant l’agrégation de tous les indicateurs d’impact en un score unique. Parmi les initiatives privées, citons le Planet-score développé par l’Institut technique de l’agriculture biologique ou encore l’Eco-score par un consortium d’entreprises françaises.

Freshfel Europe et ses partenaires se sont lancés dans des travaux pour calculer l’empreinte environnementale des fruits dont la banane et des légumes consommés en Europe. Une première consultation publique est en cours jusqu’au 30 avril.

A lire dans Empreinte environnementale des fruits et légumes frais : Freshfel ouvre une première consultation publique de son outil en construction

Carolina Dawson avertit toutefois : « Avec un indicateur unique, on introduit de l’incertitude à cause des agrégations successives qui reposent sur de multiples hypothèses. A vouloir simplifier quelque chose de très complexe, on perd des informations et en finesse. »
 

 

Un indicateur unique perdrait en précision

Mais le sujet est d’importance. Comme le soulignent les co-auteurs du Cirad, dont Sandra Payen, Yannick Biard, et Carolina Dawson dans l’article « L’affichage environnemental des produits alimentaires » de Fruitrop de janvier-février : « Les faibles impacts environnementaux d’un produit peuvent être un atout commercial. Et si les résultats d’impacts environnementaux ne sont pas favorables ? Il est important de les avoir quantifiés afin de mettre en place une démarche d'amélioration (éco-conception). »

*Article « L’affichage environnemental des produits alimentaires », dans Fruitrop n°291 janvier-février 2024 par Sandra Payen, Yannick Biard, et Carolina Dawson, du Cirad.

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