Olivier Fourcadet, professeur d’économie, groupe Essec
Discours de la méthode à l’usage des f&l
Vétérinaire et économiste de formation, Olivier Fourcadet ausculte le cerveau du consommateur pour en détecter les comportements et envisage l’avenir des filières agroalimentaires. Rendre les f&l plus accessibles, tel est son credo pour sortir la filière de la crise.



Peut-on prévoir l’avenir des fruits et légumes ? Vaste question, un peu hasardeuse. Cependant, dans un contexte de crise et de baisse de consommation, comprendre les ressorts des comportements, cibler les leviers qui permettraient de relancer la consommation apparaissent comme des enjeux vitaux pour la filière. C’est sur ce sujet, et d’autres, que travaille depuis 2005, la Chaire Européenne “Filière d’Excellence Alimentaire” de l’Essec, et dont Olivier Fourcadet et Francis Declerck sont les deux professeurs titulaires.
Diplômé de l’Ecole nationale vétérinaire d’Alfort (Val-de-Marne), économiste formé aux Etats-Unis (« pour son approche plus analytique qu’idéologique de l’économie »), Olivier Fourcadet est d’abord un enseignant au département “Management” de l’Essec. C’est sur le terrain de l’agroalimentaire, en tant que chercheur, qu’il travaille sur une approche de ce secteur à l’horizon 2020, incluant aussi bien les questions énergétiques, environnementales, sociales et aussi l’innovation. La Chaire Européenne “Filière d’Excellence Alimentaire” de l’Essec s’est donnée pour mission d’accompagner par des projets de recherche le développement des filières agroalimentaires en Europe. Elle est assistée dans cette aventure par des partenaires de premier plan, les groupes Danone et Carrefour ainsi que le Cabinet de droit communautaire Coutrelis & Associés, avec sa compétence particulière en alimentaire.
Olivier Fourcadet revient sur les origines. « Les rapports de l’OMS et la FAO en 2004 et 2005 sur le développement de l’obésité dans le monde ont été un véritable déclencheur. La problématique du surpoids est clairement remontée sur la liste des préoccupations des entreprises agroalimentaires. Auparavant, ce n’était pas une inquiétude majeure. » Défi crucial en soi, ce sujet a pris rapidement une autre tournure. « A cette époque, d’autres sujets sont apparus dans la galaxie agroalimentaire : l’émergence de nouveaux médias comme Internet, le développement durable, le changement climatique, le problème de l’énergie. Nous étions clairement à un croisement, ou du moins dans un changement de phase, qui allait impacter sur la manière de faire des affaires dans le secteur. Une configuration nouvelle était en train d’émerger et nous avons voulu, d’une certaine manière, “soulever le couvercle de la marmite” pour voir ce qui se passait. Nous avons alors réfléchi aux méthodes qui permettraient de se projeter dans le futur de l’agroalimentaire. »
Faits, tendance et structure
Faire de la prospective sur un tel domaine s’est révélé ardu. « L’avantage d’une grande école, c’est habituellement de produire des résultats rapidement. Dans le cas présent, la complexité du sujet ne le permettait pas. Nous avons orienté nos efforts sur l’amélioration des méthodes existantes. Nous avons ainsi cherché à formuler des méta-scénarii en intégrant des micro-scénarii plus faciles et rapides à produire, très intéressants, mais portant sur des thématiques limitées, comme la démographie professionnelle et les territoires. On a ainsi connecté le présent à des possibles futurs. J’insiste, il s’agit d’envisager tous les possibles, pas le plus probable. Il est évident que nos scénarii doivent être crédibles et d’envisager la totalité des possibles sous la forme de quatre ou cinq scénarii très contrastés », précise Olivier Fourcadet.
Ce travail rigoureux répond aussi à un vade-mecum tout aussi précis. « Lorsqu’un industriel nous confie une problématique, notre démarche est toujours la même. Il s’agit, d’une part, de se donner une méthode, c’est-à-dire une technique d’analyse pure permettant de détecter le problème et, d’autre part, une évaluation du contexte, qui permet, selon que celui-ci est stable ou en crise, de définir une gestion idoine. Avec comme objectif final un bénéfice au long terme pour l’entreprise. Nous sommes amenés à considérer les faits dans leur totalité. Par exemple, le comportement des adolescents face aux jeux vidéo et l’impact de ceux-ci sur l’alimentation des jeunes. De l’ensemble de ces faits émerge une tendance. Nous posons alors la question de savoir s’il existe des ruptures dans celle-ci. De la synthèse de l’ensemble de ces informations, il est alors possible de discerner la structure sous-jacente et de créer un modèle. »
La cherté des fruits et légumes : un alibi bien facile
Le secteur des fruits et légumes est en crise depuis plusieurs années et surtout la consommation demeure fébrile et semble engagée dans une spirale baissière. Autant de raisons faisant de la filière un terrain d’étude intéressant. « Travailler sur les fruits et légumes nous à amener à aborder un domaine difficile, reconnaît Olivier Fourcadet. Chez un économiste, il existe une règle sacro-sainte : la rationalité. Celle-ci caractérise une conduite cohérente, voire optimale, par rapport aux buts de l’individu. Sans verser dans l’irrationnel, la rationalité de nos contemporains est souvent bien différente de celle de l’économie. Nous avons privilégié une approche positive, c’est-à-dire ancrée dans la réalité. Ainsi, s’opposer aux OGM, c’est une réalité objective même si elle n’est pas systématiquement fondée sur la science. L’important ici est de comprendre la logique à l’œuvre dans cette réalité. Finalement, nous travaillons sur la façon dont le cerveau du consommateur, comme du manager agroalimentaire, fonctionne. »
Un des travaux de la Chaire a été de connaître la représentation que le consommateur se faisait des fruits. « Cela offrait des pistes pour comprendre pourquoi la consommation de fruits en France, malgré les multiples campagnes de sensibilisation, n’arrivait pas à décoller. Parce que finalement, dans une société où le choix est libre, ceux qui consomment des fruits le font très certainement parce qu’ils aiment les fruits ; mais peut-on affirmer pour autant que ceux qui n’en consomment pas ne les aiment pas ? Notre comportement ne reflète nos attitudes que de manière imparfaite. Nous nous sommes aperçus que la relation du consommateur au fruit était essentiellement de nature autobiographique, c’est-à-dire fondée sur une représentation issue de l’expérience personnelle, bonne ou mauvaise. Lorsqu’un interviewé évoque le fruit comme la dernière chose qui l’empêchait de sortir de table pour aller jouer, il dit beaucoup sur sa relation au produit. Et bien évidemment il y a un lien direct avec le comportement réel dans l’acte d’achat ou non. Du coup, les discours visant à faire augmenter la consommation ne sont pas vraiment visualisés par les consommateurs. Je dirais qu’ils sont plus entendus qu’écoutés. »
L’autre cheval de bataille, c’est la cherté des fruits et légumes. L’occasion pour Olivier Fourcadet de battre en brèche quelques idées préconçues. « On ne parle même plus de prix ici, mais plutôt d’un vocable répété à l’envie : “c’est cher”. Lorsque vous demandez à un consommateur le prix d’un fruit ou d’un légume “cher”, il ne peut pas toujours donner de réponse, même approximative. Ce qui ne l’empêche pas néanmoins de justifier sa faible consommation par le caractère onéreux du fruit. C’est un alibi fréquemment mis en avant. Mais c’est avant tout le message dominant, relayé par les médias, une association sémantique entre “fruit” et “cher”. En fin de compte, c’est d’abord dans la tête du consommateur que tout se passe. » Baisser les prix trouverait rapidement ses limites. « On demande à une personne si elle achèterait plus de tomates si son prix diminuait, elle répond oui. On lui demande si elle passerait sa consommation de 1 à 1,5 kilo par semaine avec un prix toujours plus bas, elle dira non. La demande n’est pas élastique et la grande distribution le sait bien. »
Aujourd’hui, il semble qu’une nouvelle donne soit nécessaire pour une relance durable de la consommation. « Que met-on en avant aujourd’hui ? Le prix, la qualité, le label… Parfait, mais cela fait plus d’une décennie que la filière agit sur ces leviers et cela ne marche pas : la consommation de fruits et légumes au mieux stagne, au pire baisse. Il reste certainement des leviers à redécouvrir. L’innovation, c’est d’abord dans la tête, c’est se donner la possibilité de bâtir une vision différente du monde », précise Olivier Fourcadet. Et c’est aussi savoir agir à la marge. « S’attaquer au squelette de la structure, ce qui la constitue, c’est s’exposer à une levée de boucliers immédiate. Voyez l’état des relations entre producteurs et distributeurs. Agir à la marge, c’est mettre en œuvre des leviers, qui ne nécessitent que peu de force mais qui amènent potentiellement de grands effets. Et qui sont aussi fédérateurs pour tous les acteurs. Pour ce qui est des fruits et légumes, cela passe très certainement par la multiplication des occasions de consommation. Il serait par exemple pertinent de remettre au goût du jour les compotiers : ils permettent d’exposer les fruits qui sont habituellement confinés dans le frigo, et qui restent cachés aux yeux de tous les membres de la famille. C’est l’occasion qui fait le larron ! Il faut rendre le fruit plus proche, plus visible. Les écoles sont à mon avis un partenaire stratégique pour les filières car on voit bien que les enfants sont souvent éloignés des fruits, l’école est un lieu où on peut les rapprocher. Encore faut-il que l’expérience soit positive ! Autre sujet : “offrir plus de choix aux consommateurs entraîne plus de ventes”. Ce dogme est aujourd’hui challengé par des expériences réalisées aux Etats-Unis. Une action importante est aussi à mener sur la reconquête des saveurs. Nous avons détecté ces signaux, mais un travail en profondeur reste encore nécessaire. Cela laisse de belles perspectives pour les fruits et légumes. »