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Semences-Les attentes du marché
Des semenciers à l’écoute du consommateur

Origine locale, respect de l’environnement, offre diversifiée, variations climatiques... Comment les semenciers répondent aux attentes des consommateurs souvent opposées à leurs attitudes en magasin.

Visionnaire, “profiler”... Tels sont les qualificatifs à employer lorsque l’on veut aborder le métier de semencier. « L’anticipation est presque une seconde nature chez les semenciers, tant notre métier est basé sur du long terme. Nous passons notre temps à réfléchir à ce dont nos clients auront besoin dans deux, cinq ou dix ans, voire parfois plus ! (.) Il est donc hors de question de réfléchir “au trimestre” et pour ce qui est des attentes de nos clients, tous les canaux sont utiles pour déceler les tendances à venir (échanges avec les producteurs, maladies, contraintes hydriques, non-renouvellement des homologations de produits de traitement…) », précise Basile de Bary, responsable des ventes France chez Clause. Un discours que reprend mot pour mot Claude Guérin, en charge du développement Europe chez Nunhems : « Pour pouvoir répondre aux attentes des marchés, il faut avoir une description exacte du produit idéal et bien connaître les filières, être en quelque sorte un “profiler” du couple produit/marché. » Chez Sakata, le directeur de recherche Jean-Michel Meunier estime : « Nos études de marché doivent être visionnaires. Aussi on observe les effets de la crise, on s’intéresse aux tendances lourdes et la crise financière n’est pas sans avoir d’impact pour notre filière. Les banques auront plus de mal à faire des avances sur investissements aux producteurs qui n’auront pas suffisamment de fonds propres pour gérer leurs nouvelles cultures. » En clair, un engrenage rapidement grippable si les producteurs ne font pas assez de gain. Revient ici la notion de profitabilité du produit mis en marché, c’est ici que la redistribution des gains dans la chaîne alimentaire a toutes ses conséquences. Aussi, alors que l’économie générale est en berne, que les consommateurs sont de plus en plus attentifs à ce qu’ils mangent et à leur environnement, les semenciers s’organisent pour répondre aux demandes du marché tout en collant aux exigences de transparence que réclame l’opinion publique. En pleine réforme de la Pac, les semenciers ont donc une carte à jouer, car tous s’accordent à dire qu’il est nécessaire de se rapprocher de la recherche et de l’agronomie pour faire progresser l’agriculture et donc les marchés afférents. Des spécificités de marché qui poussent les semenciers à créer des “couples” Chef produit/Sélectionneur pour décider plus avant des orientations à donner aux programmes de recherche et de sélection. Claude Guérin (Nunhems) ajoute : « Aujourd’hui en toile de fond, il faut mettre en parallèle la crise financière de 2009 qui a modifié le regard des consommateurs avec une tendance lourde de croissance du marché du snacking, dont le finger food et la restauration nomade qui séduit les jeunes et cela pèse sur le comportement d’achat de nos clients. »

Un consommateur très exigeant et de plus en plus méfiant
Les semenciers doivent aussi prendre en compte le fort paradoxe existant chez l’ensemble des consommateurs : leur demande n’étant pas forcément représentative des achats réels constatés sur le marché.  «Nous sommes face à une exigence et une méfiance forte de la part du consommateur, indiquait ainsi Jean-Christophe Gouache, directeur de la branche potagères de Limagrain lors de l’assemblée générale de l’UFS, l’Union française des semences. On nous demande zéro défaut sanitaire tout en voulant plus de diversité alors qu’il faut une production uniformisée toute l’année. Or on est capable d’avoir une diversité colossale, notamment en tomates. » Il est important aussi de tenir compte des évolutions des marchés de consommation « L’objectif premier de la création variétale est d’assurer la consommation humaine, indique Jean-Michel Meunier (Sakata). La difficulté principale, c’est de nourrir 7 milliards d’humains, dont 60 % d’entre eux vivent dans les villes. Il faut l’accepter et prendre en compte la durée de conservation des produits destinés aux marchés urbains en expansion. Ce faisant, nous devons gérer les contraintes liées à la “longue conservation” et ce que nous gagnons en conservation, nous le perdons fatalement en goût. C’est un équilibre à trouver tout en sachant qu’il existe un écart entre les souhaits et la réalité. Avec, au final, le consommateur qui fait son choix en ajoutant une nouvelle contrainte : son pouvoir d’achat. » Selon les firmes, les équipes choisissent de répondre à des marchés spécifiques, celui de la production tout au long de l’année voire une segmentation plus pointue aux volumes plus faibles.
Certains ont fait le choix de développer des démarches “clubs” sans vouloir atteindre le consommateur final, une démarche B to B en quelque sorte, comme l’explique la firme Rijk Zwaan qui développe de nouvelles variétés répondant à l’ensemble de ses clients. « Nous ne prenons pas en compte uniquement les souhaits des producteurs ou des développeurs de plants, mais aussi ceux des distributeurs et des transformateurs et finalement ceux des consommateurs. Pour cela, nous avons dédié nos directions par marché afin d’harmoniser au mieux les souhaits de chacun, note Bauke van Lenteren, directrice marché “convenience” de Rijk Zwaan. Un bon exemple de cette orientation de marché, c’est l’attention spéciale que nous avons prise pour répondre à la progression du marché “convenience”. Avec Salanova, nous avons créé une marque consommateur que nos clients peuvent utiliser dans leurs activités commerciales dédiées au consommateur final. »

B to B : des démarches de marques produits en développement
D’autres insistent sur le fait que le club « est un outil qui ne doit être utilisé que dans des cas très particuliers notamment dans le cas d’une génétique “hors norme” qui ne trouverait pas sa place dans un marché classique, précise Basile de Bary (Clause). Le fenouil Babyfino – que nous avons lancé il y a deux ans sous forme de club européen avec des spécialistes du mini-légume – avait pour but de valoriser une génétique spécifique pour ce type de produits. Et nous avons, par exemple, des projets en cours en tomate cerise en Italie. » La firme Syngenta, quant à elle, a développé un lancement en exclusivité avec le distributeur Marks & Spencer pour le poivron sans pépin Angello (faisant partie des dix produits innovants sélectionnés à Fruit Logistica). « Nous favorisons et renforçons nos liens avec nos producteurs et nos semenciers pour répondre au mieux aux demandes de nos clients en magasin, indique Stuart Forder, chef des ventes f&l chez Marks & Spencer. Et le poivron sans pépin est un excellent exemple de collaboration de l’ensemble des parties pour fournir une nouvelle innovation sur le marché. Et nous avons des facilités dans ce commerce en fruits, salades et légumes dont de nombreuses avec les semenciers, producteurs et expéditeurs. »
Des démarches similaires, il en existe d’autres, à l’image des brocolis fins de Monsanto “Bellaverde”. A ce sujet la firme, regroupant dans les potagères Seminis et De Ruiter, devait présenter sa nouvelle stratégie de marque au salon Fruit Logistica. Au programme, la laitue Frescada et le nouveau super brocoli Beneforte. « L’avantage des démarches clubs, indique Jean-Michel Meunier (Sakata), c’est qu’elles redonnent du pouvoir aux producteurs sur l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement. Chez Sakata, nous avons développé un produit dans la famille des brocolis [le Bimi, NDLR], dont la mise en marché est contrôlée avec soin et rigueur. On veut assurer le côté gustatif de nos produits jusqu’au distributeur final. » Sans oublier le fait que la démarche a pour but de mieux répartir la marge générée entre la semence et le produit final.
Pour accompagner le lancement de nouvelles variétés, nombre de semenciers l’accompagnent de tests consommateurs et de présentation aux champs pour les producteurs. « Les résultats de ces panels tests sont d’importantes sources d’informations pour nos activités », note Bauke van Lenteren (Rijk Zwaan). Des tests consommateurs que réalise aussi la société Clause : « Ces tests organoleptiques, nous les réalisons de manière systématique pour les melons et certains types de tomates et de manière plus ciblée pour d’autres espèces ou créneaux. Tout dépend de l’attente de nos différents clients. » C’est le cas pour le marché de la mâche avec le concept “Princess” (cf. page 35) ou certaines variétés signées Enza Zaden adaptées à la production de salade IVe gamme. En clair, « il faut nous adapter aux défis environnementaux, aux besoins en consommation énergétique et tout cela dépend fortement du marché dont on parle », préfère préciser Basile de Bary.

Le “fait-maison” et le “produit chez soi” investissent le marché des semences
Le retour de la cuisine et du fait chez soi joue aussi sur les innovations semences. Chez Rijk Zwaan, la marque de salade Salanova vient tout juste de se décliner au format “cultivée à la maison”, une box dans laquelle pousse directement la salade chez le consommateur et les présentations et animations en magasin sont légion pour présenter l’intérêt d’une salade effeuillable rapidement. En parallèle, pour surfer sur le produit et le fait chez soi, les maisons d’édition s’en donnent à cœur joie, on ne compte plus le nombre de livres donnant toutes les techniques pour produire des légumes sur son balcon, dans son jardin. Et les semenciers ne s’y sont pas trompés, les ventes de graines potagères pour le grand public explosent. « Avant de parler de consommateur, il faut parler d’individu, a précisé le sociologue Gérard Mermet lors de l’assemblée générale des semenciers. Depuis dix ans on assiste à tout un tas de changements, de siècle, de millénaire et tout cela dans un contexte de crise morale sans précédent. D’où un développement fort d’une certaine méfiance vis-à-vis de l’offre mais aussi une exigence accrue. Les Français ont amélioré leurs compétences mais pas tant que cela en matière alimentaire et l’on a affaire à trois types de consommateurs : les mutins (à l’aise avec la modernité), les mutants (qui appliquent le principe de précaution) et les moutons (ils suivent les autres). » Quant au régional, les firmes estiment que si elles doivent répondre à leurs clients, elles doivent faire leurs expérimentations à proximité des marchés qu’elles vont fournir. « Certaines cultures potagères ont des bassins de production qui appartiennent au domaine culturel, expliquait ainsi Jean-Christophe Gouache (Limagrain). Cela paraît marginal à l’échelle mondiale mais ils ne doivent pas être oubliés, c’est notre capacité à répondre au local qui est importante. »

Les changements climatiques et l’utilisation des intrants en question
Quant aux changements climatiques et demandes de restriction d’utilisation d’intrants d’Ecophyto 2018 par exemple, « dans notre centre d’expérimentation, explique Jean-Michel Meunier (Sakata), depuis deux ans nous n’utilisons plus de produits phytosanitaires pour savoir comment se comportent nos futures variétés en lutte intégrée, voire bio. Certes cela ne va pas aussi vite que d’habitude mais on a décidé d’adapter nos méthodes d’aujourd’hui aux contraintes de demain (développement durable). Nous voulons nous mettre au plus près des conditions d’un agriculteur qui devra de plus en plus assurer la pérennité de son exploitation et des méthodes de cultures. » Chez Nunhems, Claude Guérin note « on assiste à un rapprochement entre les lignes produits conventionnelles et celles issues de la lutte intégrée. Les producteurs utilisent de moins en moins de produits de protection des cultures pour devancer les attentes consommateur. Nous avons donc développé une offre variétale aux tolérances naturelles permettant de résister jusqu’à la récolte finale sans traitement. Mais attention, on propose une variété qui a des potentialités mais on ne peut pas forcément garantir un résultat du fait de multiples facteurs extérieurs (climat, sol...). Là-dessus, il faut ajouter que le producteur reste le maître d’œuvre, le chef d’orchestre. »
Sur le dossier de l’eau, Jean-Michel Meunier (Sakata) ajoute : « Nous sommes présents dans plusieurs pays où la ressource en eau est fondamentale (Jordanie, Maroc) et limitée. Mais il faut bien comprendre que pour les potagères, nous devons apprendre à gérer l’augmentation de la salinité des eaux, plutôt que le manque d’eau, l’irrigation des potagères s’effectuant majoritairement au goutte-à-goutte. Une salinité élevée de l’eau a un impact sur la conduite des cultures. Nous avons d’ailleurs engagé des travaux à ce sujet depuis déjà quelques années. Pour lancer sur le marché une nouvelle variété, il faut être sûr d’avoir des produits homogènes pour les caractères recherchés. Pour cela il faut presque dix ans pour passer d’une idée à sa réalisation variétale. » L’état des sols doit aussi être pris en compte. Et dans cette prise en compte de l’ensemble de ces facteurs ou contraintes, cette “amélioration” de variété n’entraîne pas forcément de valorisation sur le marché alimentaire. A l’avenir, l’accès aux ressources naturelles et fertilisants sera un moyen de déterminer les futures puissances agricoles.
Quant au bio, « le potentiel est énorme », indiquait Jean-Christophe Gouache (Limagrain), lors de l’assemblée générale des semenciers. Estimant qu’il y a « quelques risques à instrumentaliser la demande du citoyen, cela conduit à des situations ubuesques qui nous empêchent de travailler ». ProNatura a fait le choix, les semences doivent être bio ou au mieux non traitées et non enrobées, il s’agit d’un travail coopératif avec les semenciers. Pour autant, « on est victime de la baisse de choix car nous sommes en bout de chaîne, note Anne-Claire Lambersy chez ProNatura. En tomates et fraises, par exemple, on travaille fortement en amont pour redonner de la diversité à des consommateurs qui sont curieux gustativement et nous avons à répondre à cette demande. » Même si les quantités sont encore faibles, les firmes ne s’y trompent pas, Enza Zaden a une filiale bio Vitalis dont il vient d’acquérir la totalité des actions au 1er janvier. Clause a, elle aussi, une filiale : Hild. Pour l’heure les quantités de semences bio sont encore faibles, mais ce marché est en hausse permanente. Si l’avenir est à l’inquiétude, les semenciers restent optimistes : « Les distorsions de coûts du travail finissent année après année à avoir une incidence sur la production. Pour autant, nous restons optimistes, certains projets de construction de serres à Nantes, en Provence ou dans le Sud-Ouest sont prometteurs. Et nous avons ouvert de nouveaux marchés qui sont en forte progression (Chine et Amérique Latine, entre autres) », énumère Hervé de Saint Pierre (Enza Zaden).

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