Des prévisions au doigt mouillé

Fortement reconnu par ses pairs, Philippe Chalmin nous a reçus pour faire le point sur l'histoire économique et bien entendu les prévisions sur le marché des matières premières rassemblées dans le tout dernier rapport Cyclope. Fort de cette prospective, Philippe Chalmin a rappelé combien il était aléatoire de faire des prévisions sur le volet agricole tant la météo joue un rôle plus que fondamental dans les oscillations du marché mondial. Si la météo est parfaitement prévisible, nul n'est capable d'en mesurer l'impact avec précision. Pour autant, le doigt mouillé est en fait une psychologie intuitive des professionnels chevronnés. En effet, le fait de commercialiser est une confrontation récurrente entre acheteurs et vendeurs pour que le marché se déroule bien. Un fournisseur prévisionniste doit à tout prix prendre l'ascendant sur l'acheteur. Il est donc primordial de ne pas avoir qu'un seul acheteur pour éviter d'être trop dépendant en tant que vendeur. Fort de ce constat, se pose la question du vendeur chevronné. Comment naît-il, comment influence-t-il les marchés des matières premières ? Pifomètre ou doigt mouillé la question reste entière et l'on se rapproche de ce qu'est un nez dans le domaine des parfums. Comme l'explique Philippe Chalmin, un producteur de fruits et légumes est par essence quelqu'un qui spécule et c'est après le changement de politique européenne en 2006 que la spéculation s'est faite encore plus forte. On n'a plus cherché à intervenir sur les marchés et davantage à soutenir le revenu des agriculteurs par des aides directes plus ou moins conditionnées selon l'intérêt des pays. C'est aussi le moment où le monde a pris conscience que le défi majeur du XXIe siècle portait sur le défi agricole et alimentaire. Trois crises ont fortement marqué ces marchés, l'année 2008, celle de 2010 et 2012. Elles ont à chaque fois provoqué des flambées de prix et dans certains cas des émeutes de la faim, ce qui a permis, comme le dit Philippe Chalmin, de remettre le dossier agricole sur le sommet de la pile des préoccupations mondiales. L'accord de l'OMC est devenu presque secondaire, l'arbre agricole cachant de plus en plus mal la forêt des différends commerciaux. Et cela, moins sur le commerce des marchandises que sur les services, la propriété intellectuelle, etc. Le grand changement porte davantage sur la capacité du monde à nourrir le monde.