Aller au contenu principal

Augustin Rosenstiehl, président du Laboratoire d’urbanisme agricole
Des fermes en ville...utopie ou future réalité ?

Face à l’emprise croissante de la ville sur le territoire agricole et à l’engouement pour l’alimentation de proximité, l’architecte Augustin Rosensthiel croit au développement d’une pratique maraîchère urbaine qui enrichirait la cité sans la dénaturer.

Produire des fruits et légumes dans des tours au cœur des villes ne sera peut-être plus seulement un rêve demain. Le développement des circuits courts et le retour des produits de saison soulignent le désir du consommateur citadin à davantage de proximité avec son alimentation. Mais de là à imaginer des fermes en centre-ville... C’est pourtant ce sur quoi réfléchissent Augustin Rosenstiehl et son équipe au sein du Laboratoire d’urbanisme agricole (LUA). Créé en 2012, celui-ci est l’aboutissement d’un travail de prospective mené depuis dix ans par le cabinet d’architecture parisien SOA, dont Augustin Rosenstiehl est l’un des deux fondateurs. Dès 2005, SOA emportait un prix d’architecture pour sa “Tour Vivante”, édifice mêlant bureaux, habitat... et production légumière. Depuis, les idées se sont succédé, certaines particulièrement provocatrices à l’instar de “Banurban”, une mûrisserie de bananes logée dans un immeuble en plein centre des Champs-Elysées. Ces propositions, restées au stade de projets, ont permis de mieux faire comprendre la place de l’agriculture dans les villes. Car, derrière les dessins d’architectes, le travail a toujours été soutenu par une réflexion pertinente sur l’évolution du lien entre le terroir et la ville, l’agriculteur et le consommateur. « Tout est parti d’un constat, celui de la perte de contact des citadins avec le lien ancestral que nous entretenons avec l’agriculture et l’alimentation, explique Augustin Rosenstiehl. Ce lien est important bien sûr en termes de santé, de culture, d’identité et surtout en termes d’enseignement que nous apporte la nature, ce qui fait qu’il est au fondement de notre civilisation. Cet enseignement s’exprime de deux façons. D’une part, à travers l’amendement, c’est dire l’échange entre homme et nature : je sème, je cultive, je récolte, je consomme et je redonne mes déchets à la terre. Avec ce cycle, nous entretenons le mécanisme de la vie. D’autre part, il s’exprime à travers la diversité : les différentes variétés selon les saisons, les différentes pratiques de l’agriculture, plus ou moins avancées technologiquement. »

“Reconnecter” citadin et agriculteur
Pour le président du LUA, les cinquante dernières années ont modifié profondément cet attachement : « A l’orée des années 1960, ce lien s’est défait, avec la naissance de la grande distribution. Celle-ci avait un message simple : “Vous, consommateurs, payez trop cher votre alimentation” tout en distillant l’idée que les agriculteurs profitaient de la situation. Fort de ce précepte et du poids de plus en plus important qu’elle a pris, la GMS a commencé à modeler un monde nouveau, sans rapport à l’agriculture ancestrale, à travers des exigences de plus en plus contraignantes : en termes de logistique d’une part, avec le développement de la réfrigération et la systémisation de la récolte des produits encore verts, et en termes de marketing, d’autre part, avec le développement de la monoculture et la surexploitation des terres. C’est ainsi que lentement mais sûrement, le lien de confiance entre l’agriculture et l’urbain s’est rompu, l’agriculteur se trouvant de plus coupé d’un savoir-faire immémorial. Au point qu’aujourd’hui, l’urbain croit quelquefois ce dernier responsable du manque de qualité des produits. » C’est à cette reconnexion entre citadin et agriculteur que le LUA s’attache à travers ses projets, « pour essayer d’aller vers un futur qui ne soit ni la vision apocalyptique d’une alimentation issue des éprouvettes, ni le fantasme angélique d’une ville nourricière autonome. »
Seulement, on pourrait se demander si l’agriculture a bien sa place dans les villes. Pour Augustin Rosenstiehl, il n’y a pas de doute : « C’est tout à fait possible dans la mesure où on ne se laisse pas aller au fantasme de la ville verte totalement autarcique en matière d’alimentation. Il ne s’agit pas de refaire le plan Voisin de Le Corbusier avec ses immeubles cruciformes et son espace fortement structuré. Ce n’est pas la démarche de SOA et du LUA : nous ne proposons pas de solution idéale. Il n’est pas question non plus de substituer l’agriculture à la campagne par une en ville. Nous proposons plutôt d’interroger les limites de compatibilité entre les besoins techniques de l’agriculture et le patrimoine culturel des cités. Ne perdons pas de vue qu’une ferme verticale propose bien une solution d’agriculture urbaine intensive. Néanmoins, une nouvelle pratique agricole urbaine, si elle doit voir le jour, devra répondre à plusieurs objectifs : proximité, diversité... Une ferme urbaine ne tire sa légitimité que si elle peut représenter une entité sociale. L’enjeu ici dépasse les pratiques individuelles ou collectives des jardins potagers qui, lorsqu’on leur trouve un tant soit peu de place, font l’unanimité. »
Cette dimension humaine est au cœur de la démarche de SOA et du Laboratoire d’urbanisme agricole. « Notre projet de “Tour Vivante” avait suscité une certaine résonance médiatique. Cependant, à l’analyse, la place de l’être humain n’y était pas assez affirmée. Ce projet allait peut-être trop loin dans l’autonomie complète. Mais, finalement, c’est à travers l’étude de cas et les projets que le sujet peut avancer. Il est indispensable d’expérimenter afin d’éviter toute tentation utopique. Et par cette expérimentation, créer un espace critique sur les pratiques et les méthodes. » Un credo que le cabinet d’architecture SOA a toujours mis en pratique. En 2008, il a organisé un workshop regroupant des étudiants venus d’Europe et Dickson Despommier, professeur à l’Université de Columbia aux Etats-Unis ayant défini, sans l’inventer, la théorie de l’agriculture verticale. Une sommité en la matière en tout cas. Pendant dix jours, ils ont étudié les travaux théoriques de l’Américain et ont tenté de les mettre en image.
« De ce travail, nous avons conclu que la question de l’architecture restait toujours en suspens, regrette Augustin Rosenstiehl. Réintégrer l’agriculture au sein des villes a déjà fait l’objet d’études. Mais, celles-ci relevaient de l’ingénierie. La façon dont la notion de production de denrées était intégrée au bâtiment et le récit qui doit accompagner la création d’un bâtiment n’étaient finalement pas pris en compte. Et c’est là le rôle de l’architecte. Dans un monde complexe, où le terrain qu’est la ville se caractérise par des bâtiments aux destinations diverses (services, habitations...), l’architecte, en orchestrant la problématique bâtiment/agriculture tout en prenant en compte son environnement, et en se mêlant peut-être de ce qui ne le regarde pas, ouvre un nouveau champ de réflexion totalement lié à l’étude du phénomène urbain et à l’organisation de la ville et de ses territoires. En assumant son rôle d’urbaniste en somme. »

Des projets qui intéressent les municipalités de Bordeaux et Romainville
A force de propositions, SOA et le Laboratoire d’urbanisme agricole ont finalement interpellé les politiques. Alors qu’à Singapour la première ferme verticale commercialement viable a ouvert cet automne (composée de 120 tours en aluminium montant à 9 mètres de haut, produisant pour l’instant des salades), la municipalité de Romainville (Seine-Saint-Denis) a fait appel au cabinet d’architectes pour développer un tel concept. De même, SOA a travaillé cette année sur la Ferme Musicale à Bordeaux. Il s’agit d’un projet pilote qui entend allier ferme (zones de culture, locaux techniques), scène musicale et galerie pédagogique, situé dans l’un des vestiges de la caserne militaire Niel. Reste que les aspects techniques sont aussi à prendre en compte. « Une ferme urbaine répond à une obligation de verticalité – nous sommes dans un milieu urbain après tout – et demande l’usage de techniques hydroponiques sur substrat. Le verrou technique dans la perspective d’une ville dense, c’est le poids de la structure. Mais ce n’est pas un obstacle insurmontable », affirme Augustin Rosenstiehl. La réponse est venue des techniques de Jean-Pierre Rey, inventeur. S’inspirant des techniques ancestrales d’agriculture de sa Haute-Savoie natale, plusieurs fois primé, le système de production verticale qu’il a développé allie bacs de terre arable avec un arrosage gravitaire en circuit fermé, qui autorise une mise en place en étages. Est-ce à dire que nous sommes appelés à voir fleurir nombre de tours “maraîchères” dans les cités ? Ce n’est peut-être pas souhaitable. « La ville est un terrain fertile, vivant, qui présente des situations diverses. En ce sens, elle tend à rejeter les systèmes trop imposants ou ce que j’appelle le “potage urbain”, un mélange de tous les styles et tous les usages comme passés au mixeur, reconnaît Augustin Rosenstiehl. Mieux vaut adopter une volonté de développement doux, naturel, qui ne soit pas trop démonstratif. Tout est une question d’échelle. Le raisonnement est ici au niveau hyperlocal, tout juste à celui du quartier. A terme, il s’agit d’engager une nouvelle dynamique urbaine, de requalifier l’espace public. Et de renouer ce lien  entre les citadins et les producteurs. »

Les plus lus

Les chaufferettes Wiesel commercialisées par Filpack permettent un gain de température à l'allumage supérieur à celui des bougies.
Chaufferettes contre le gel en verger : un intérêt sur les petites parcelles très gélives

Le risque de gel fait son retour sur cette deuxième quinzaine d'avril. Plusieurs entreprises proposent des convecteurs à…

Parsada : ouverture ce 12 avril d'un appel à projets porté par FranceAgriMer

Initié au printemps 2023, le Plan stratégique pour mieux anticiper le potentiel retrait européen des substances actives et le…

verger abricot Drôme - Emmanuel Sapet
En Ardèche, de fortes pertes dans les vergers d'abricotiers sont à déplorer

Des chutes physiologiques importantes de fleurs sont à déplorer dans des vergers d'abricotiers d'Ardèche, de la Drôme et de l'…

Fraises hors sol cultivées en France
Fraise française : un bon début pour la commercialisation... à poursuivre

En retard par rapport à l’an dernier, la saison de la fraise française a bien commencé d’autant que la fraise espagnole est…

Prix des fraises françaises : il n'est « pas lié aux faibles quantités espagnoles », revendique l’AOPn

Les fraises espagnoles sont pour le moment quasi absentes de nos étals français. Pourtant, ce n’est pas cette absence ou cette…

PNR BARONNIES PROVENCALES
L’IGP Abricot des Baronnies sur la rampe de lancement

L’abricot des Baronnies, qui attendait ce printemps la toute dernière validation de son IGP, est d’ores-et-déjà en ordre de…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 354€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site filière Fruits & Légumes
Profitez de l’ensemble des cotations de la filière fruits & légumes
Consultez les revues Réussir Fruits & Légumes et FLD au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce aux newsletters de la filière fruits & légumes