« Des analyses de marché à affiner »
Francisco Moya, le directeur de Negonor, estime que ce qui s'est passé en chair ferme était prévisible. L'amélioration des outils de prévision s'avère indispensable.



Tirer définitivement un trait sur les deux dernières campagnes serait une grave erreur. Bien sûr, elles ont été fortement atypiques, et parfois dévastatrices, mais bien à l'opposé l'une de l'autre ! Car autant les prix se sont maintenus dans des niveaux élevés au début de la campagne 2013-2014, autant la production de la campagne 2014-2015 a été pléthorique, entraînant des cours historiquement bas. Selon le CNIPT, les cotations au stade expédition ont été de 341 €/t pour la variété Agata, soit une baisse de 24 % par rapport 2013-2014 et de 37 % sur 2012-2013 ! Pour la variété Bintje, les cours étaient en retrait au stade expédition de 67 % par rapport à 2013-2014.
Fiabilité des analyses de marchéCertains opérateurs s'interrogent sur les raisons qui ont provoqué cette fin de campagne imprévisible marquée par un certain redressement des cours… alors que tous les prévisionnistes prédisaient une fin de campagne catastrophique ! « Personne n'avait prévu cette remontée des cours, même pas les analystes », souligne Francisco Moya. Pour le directeur de Negonor, un tel scénario pose la question de la fiabilité des analyses de marché publiées tout au long de la campagne. « Ne fait-on pas une interprétation trop linéaire des chiffres de marché ? », explique-t-il à fld. Pour lui, « il demeure dangereux de faire une analyse globale d'un produit qui est pluriel et qui possède des débouchés bien distincts ».
A l'avenir, il faudra sûrement disposer d'analyses de marché beaucoup plus fines pour ne pas se retrouver dans les mêmes situations que la campagne dernière… « C'est d'autant plus important que, si nous adressons nos messages aux professionnels de la filière, ils sont également destinés aux grossistes et aux acheteurs de GMS. Il revient à l'interprofession de renvoyer aux opérateurs des messages un peu plus pluriels », estime-t-il.
Cette dernière campagne 2014-2015 a laissé des traces chez certains opérateurs, notamment spécialisés en chair ferme. « C'est un marché fortement contractualisé. Nous avons constaté des effets diamétralement opposés aux termes de ces deux campagnes… mais qui sont les mêmes symptômes d'une même problématique. La crise de l'an passé a provoqué automatiquement la réduction des taux de contractualisation pour cette campagne en cours, notamment en prix fixe », analyse Francisco Moya.
Un fort déséquilibre Le phénomène était sûrement prévisible. En observant l'évolution des variétés proposées à l'inscription en chair ferme, le développement des entreprises spécialisées sur ce créneau et l'augmentation de rendement de ces nouvelles variétés inscrites…, il fallait bien qu'un jour on parvienne au fort déséquilibre que l'on a connu l'an passé, d'autant plus important que les facteurs météorologiques ont sûrement aggravé le phénomène… « Ce fort déséquilibre doit nous interpeller et nous faire réfléchir sur la politique contractuelle », avance Francisco Moya. En effet, si certains opérateurs ont beaucoup gagné en 2013-2014, ils ont perdu deux à trois fois plus l'année suivante ! « Le résultat ne s'est pas fait attendre : les opérateurs ont ainsi diminué fortement leur taux de contractualisation pour cette campagne 2015-2016. Il faudra donc bien à un moment ou à un autre mener une réflexion salutaire pour tous et savoir ce que l'on emblave (variétés, superficie…) et pour quelles destinations. »
Politique contractuelle Une politique contractuelle sur les variétés chair ferme doit reposer avant tout sur un équilibre offre-demande. Faudra-t-il aller jusqu'à réfléchir à une politique contractuelle similaire à celle qui prévaut dans l'industrie de transformation ? La question ne semble pas inappropriée quand on sait que la production de tubercules chair ferme représente le tiers du commerce français… Mais pour Francisco Moya, même si on peut s'inspirer de la politique contractuelle développée par l'industrie, il n'en reste pas moins que les deux secteurs (chair ferme et industrie) ne sont pas tout à fait similaires. Car qui dit politique contractuelle, dit automatiquement cotations de référence, indexation sur la durée… En attendant que s'ouvrent d'hypothétiques réflexions sur le sujet, les opérateurs se sont engagés dans une nouvelle campagne. Les primeurs, tout comme les variétés hâtives ou semi-hâtives, ont laissé peu de stocks. En revanche, l'approvisionnement du marché est actuellement relativement tendu en ce début de campagne sur un marché physique assez actif provoqué par le peu de stocks en culture. Cette tension à l'approvisionnement a favorisé les échanges en septembre dernier.
Côté chair ferme, « la cause est entendue. On a des rendements moindres avec des emblavements moindres », analyse le directeur de Negonor. De ce côté-là, les cours devraient donc se redresser durant cette nouvelle campagne. Quant aux variétés tardives, elles ont plutôt rattrapé leur retard en fin de cycle en profitant des pluies de septembre.
En revanche, on s'interroge sur la qualité de certains lots sur lesquels la sécheresse de l'été aurait provoqué un phénomène de repousse. Les pluies incessantes sur la bande côtière allant de la Normandie à la frontière belge pourraient également avoir des conséquences qualitatives. Les prochaines semaines devraient être instructives.
Rendez-vous est d'ores et déjà pris pour la fin octobre où l'on pourra véritablement préciser la physionomie de cette nouvelle campagne.