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Anthony Palou, journaliste et écrivain
A la recherche des halles perdues...

Dans son livre “Fruits & légumes”, Anthony Palou dresse le portrait d’une dynastie de détaillants en fruits et légumes dans la Bretagne des années 70. Sans aigreur, mais avec passion, il pose aussi un regard lucide sur la disparition du petit commerce.

C’est une des très bonnes surprises de la rentrée littéraire en cette année 2010 : “Fruits & légumes” – le roman d’Anthony Palou – a caracolé en tête des ventes et a reçu une acclamation unanime de la critique. Dans un style dépouillé, claquant comme une voile sous le vent, le journaliste au service Culture du Figaro y décrit, dans le Finistère des années 70, sans larmoiement, avec tendresse et humour, la réussite et la chute d’une famille de vendeurs de fruits et légumes. La sienne.
« Toute ma vie, il y a eu un décalage horaire entre papa et moi. Mon père était primeur. » Cette phrase au début de “Fruits & légumes” donne le ton. En 150 pages, le lecteur va apprendre à découvrir cette famille, bretonne et espagnole à la fois, à travers les yeux d’enfant, puis d’adolescent du narrateur. Il va assister à la réussite de la famille Coll aux halles de Quimper et ensuite à son déclin, les temps changeant irrémédiablement, et la distribution française avec eux. « Le souvenir le plus fort, je l’évoque au début du livre, indique Anthony Palou. J’ai environ dix ans. Très tôt le matin, vers trois-quatre heures, j’entends le bruit de la 2 CV qui démarre : mon père partait faire son marché, auprès des demi-grossistes de la région. Il revenait vers sept-huit heures pour son petit-déjeuner. Ma mère et moi, nous étions au café et aux tartines et lui, c’était plutôt un bon steak. Les odeurs de cuisine rampaient dans toute la maison. »
L’aventure de la famille Coll en terre bretonne commence avec le grand-père, Antonio : « Il était originaire de Majorque, de Puerto de Soller. Comme beaucoup d’Espagnols il a fui le pays en 1936. Mais, contrairement à beaucoup, il ne s’est pas arrêté juste après les Pyrénées et il a poussé plus au Nord. Pourquoi ? Peut-être par esprit de curiosité. En tout cas, il est arrivé à Quimper et il s’y est installé. Il n’était pas navigateur ; aller plus loin aurait été difficile. » Ayant trouvé épouse, il commence à vendre quelques légumes d’un maraîcher voisin, sans gloire, puis vient l’idée de génie : la soupe majorquine, improbable recette de légumes, qu’il va proposer aux Quimpérois qui en redemandent. Les affaires démarrent.
“Fruits & légumes” est un roman, très autobiographique, mais un roman. Anthony Palou rétablit un peu la vérité : « Même si dans le livre, la recette est authentique, ce n’est bien sûr pas avec cela que mes grands-parents ont développé leurs affaires. J’enjolive. Comme tout bon Espagnol, mon grand-père était un professionnel des agrumes. En Bretagne à cette époque, les oranges et les clémentines étaient une denrée rare. D’une manière générale, les fruits n’étaient pas très présents, mises à part les pommes, poires et fraises. Mais, les goûts étaient en train d’évoluer, en partie grâce à l’influence de la forte communauté espagnole qui s’était installée dans les environs de Nantes. »

Les agrumes font décoller les affaires de la famille Coll
A mesure que les années passent, la maison Coll prend de l’ampleur et c’est tout naturellement que le fils d’Antonio, le père d’Anthony Palou, va se lancer dans la vente de fruits et légumes à Quimper. C’est la grande époque : bientôt une Mercédès blanche apparaît dans le garage. Anthony donne rapidement un coup de main à son père. « A douze-treize ans, j’ai commencé le week-end sur les halles. J’ai beaucoup aimé l’ambiance qui y régnait, les bruits, les engueulades…. De cette époque j’ai tiré les principaux portraits de mon livre. » C’est aussi un poste privilégié pour dresser une typologie des clients. « Ils étaient très différents les uns des autres, se souvient l’auteur. Il y avaient ceux qui venaient très tôt, les vrais connaisseurs, souvent des retraités, à la recherche de la qualité et de la meilleure fraîcheur. Et puis, il y avait ceux en fin de marché : des gens bien mis que l’on prenait la main dans le sac à fouiller les poubelles et qui prétendaient récupérer les fruits et légumes pour nourrir leurs chevaux ou leurs lapins. Plus vraisemblablement pour leur soupe du soir. Je me souviens de ma grand-mère, qui pouvait être féroce, hurler sur un client qui avait eu le malheur de tâter une pêche pour vérifier sa maturité. Après ce traitement le fruit est mort. On était bien loin de la grande distribution où tout le monde se sert. » Des souvenirs puissants mais de là à reprendre le flambeau… « Très honnêtement, je n’aurais pas pu faire ce métier-là. En revanche, j’ai une très grande admiration pour ce milieu, pour tous ces petits commerçants qui exerçaient un “vrai métier”, qui savaient faire preuve de rudesse mais aussi d’une très grande générosité. Des gens qui avaient une vraie bonté. »

L’incendie des halles de Quimper marque la fin de l’Age d’Or
L’incendie des halles de Quimper le 27 août 1976, alors que la famille est en villégiature à Puerto de Soller, sonne le glas de cette période heureuse. Les primeurs se retrouvent sans toit, pratiquent leur commerce sous le vent et la pluie, les premiers hypermarchés, les “centrales” comme on dit à l’époque, apparaissent mettant en danger le métier. La dynastie Coll n’est pas épargnée et va boire la coupe jusqu’à la lie : fermeture des magasins, factures qui s’entassent, jusqu’à la visite matinale des huissiers. Anthony Palou signe ici des pages poignantes mais non dénuées d’ironie, ne versant heureusement jamais dans le pathos. « Ce livre, c’est mon histoire, argumente-t-il. Et celle de mes parents et grands-parents. L’histoire de l’ascension et du déclin d’une famille de primeurs quimpérois dans les années 70 et celle d’une double disparition : celle du petit commerce face à la grande distribution, et celle de l’Espagne de mon enfance, quand nous allions en vacances à Puerto de Soller, engloutie sous le tourisme de masse post-“ère Franco”. C’est d’abord l’histoire d’un monde évanoui. »
Anthony Palou se laisserait-il aller à la nostalgie ? « Il y a évidemment un côté madeleine de Proust. J’ai voulu dresser une galerie de portraits. Bien sûr, certains sont piquants – voire cruels – mais sans méchanceté. Comme pour l’huissier qui deviendra, par la force des choses, un intime de la famille. J’ai essayé de décrire sans juger. On sait que derrière un huissier, il y a un homme avec ses drames, ses comédies. J’ai voulu que tout le monde se retrouve sur le même pied d’égalité. Je n’ai voulu causer de problème à personne. J’ai fait relire le livre à mon père qui, contrairement à celui du livre, n’a pas eu d’AVC. Il est en bonne santé, en paix. Il a eu cette phrase : pour une fois que les fruits et légumes vont rapporter de l’argent… »
On ne dévoilera pas la fin de l’histoire. Avec un tel passé, Anthony Palou peut porter un regard acerbe un brin désabusé sur le sort des villes aujourd’hui. « Le vrai avantage du petit commerce dans les marchés face à la grande distribution, c’est cette proximité avec la clientèle, cette possibilité pour cette dernière d’entretenir une relation privilégiée avec son commerçant, de savoir d’où viennent les produits, comment on les cuisine. Selon moi, la proximité, c’est d’abord la conversation. Rien de cela avec les hypermarchés où règne plutôt l’anonymat. » Et le ton se fait plus dur. « L’arrivée de ce type de magasins, en périphérie des villes moyennes, a signé la destruction des centre-villes. Je ne parle pas des grandes métropoles régionales, ou a fortiori de Paris. Mais voyez le centre-ville des agglomérations moyennes : il n’existe presque plus de halles, plus d’épiciers, de bouchers ou de primeurs, seulement les franchises de grandes enseignes de prêt-à-porter. Et cela se répète d’une ville à l’autre. Je ne suis absolument pas passéiste. Je regrette juste de voir ainsi disparaître tous ces gens qui faisaient si bien leur travail. » Mais aussi que « la littérature n’ait que très rarement abordé le thème du petit commerce. C’est un sujet déserté. Mis à part “La place” d’Annie Ernaux ou plus loin “Au bon beurre” de Jean Dutourd, il n’y a pas grand-chose. Le grand problème avec le petit commerce, c’est que, dès que vous osez en parler, on vous traite de suite de poujadiste ».
Pourtant l’époque est à un certain retour vers l’authentique. Le bio ou les Amap pourraient en témoigner. Là aussi, les mots fusent : « La culture bio, c’est une escroquerie totale. Vous avez vu les prix exorbitants qui sont pratiqués ? ! Pas étonnant que les marchés spécialisés se trouvent à Batignolles ou boulevard Raspail. Cela me rappelle une vieille maraîchère aux halles de Quimper. Elle avait à côté d’elle un seau de terre, elle y roulait ses tomates pour qu’elles aient l’air tout juste cueillies. Et le client payait le prix fort du coup. Quant aux Amap que vous évoquez, je ne suis pas assez calé en économie pour argumenter, mais cela semble un beau fourvoiement du rôle du producteur. » Fermer le ban.
L’accueil qui a été fait à “Fruits & légumes” a été très bon, du côté de la critique comme du public, ce qui ravit l’auteur. Mais il y a plus important : « Il m’arrive régulièrement de recevoir du courrier de petits commerçants qui disent se reconnaître dans le livre. Quand des gens comme cela se donnent la peine de prendre la plume, vous pouvez vous dire que le boulot a été fait. »

Anthony Palou est né à Quimper en 1965. Journaliste au Figaro, il a reçu le prix Décembre pour son premier roman, Camille, publié en 2000 aux éditions Bartillat. Chronique sociale et familiale, “Fruits et Légumes” (éditions Albin Michel, 153 pages, 14 euros) est la radiographie des années 70 que le romancier évoque à travers l’essor et le déclin d’une “dynastie fruitière”.

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