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En ragaillardissant la souveraineté alimentaire, la guerre en Ukraine rebat de nombreuses cartes

Entre souveraineté, transition écologique et productivisme, la guerre en Ukraine ravive de nombreux débats en Europe. L’autorisation exceptionnelle d’utilisation des jachères est un premier mouvement vers une remise en cause à plus ou moins long terme de stratégies européennes.

Le mot d’ordre des politiques européennes est désormais la souveraineté alimentaire, quitte à remettre en question des stratégies déjà adoptées.
Le mot d’ordre des politiques européennes est désormais la souveraineté alimentaire, quitte à remettre en question des stratégies déjà adoptées.
© Dominique Luzy/stock.adobe.com - montage Réussir

La pandémie de Covid-19 l’avait mis en exergue, la guerre en Ukraine n’a fait qu’accentuer la tendance : la souveraineté alimentaire est désormais sur toutes les lèvres. Quitte à relancer d’anciennes controverses entre production agricole et environnement.

« Avec la PAC, nous avions des inquiétudes quant à une approche environnementaliste ou écologiste, mais là nous revenons dans le dur avec la Guerre en Ukraine », résume Martial Marguet, président de l’Institut de l’élevage et membre du bureau de la FNPL. Dans le viseur notamment : le Pacte vert (Green deal) et la stratégie Farm to Fork, deux stratégies européennes dont les objectifs orientent la politique agricole.

En France, les plus pugnaces restent les producteurs de blé qui donnent de la voix par le biais de l’AGPB (FNSEA). Mais le secteur laitier n’est pas en reste. Le président de la Fnil (industries laitières privées), Robert Brzusczak, compare le Pacte vert à une « posture égoïste »« les problèmes environnementaux obligent de produire juste pour nous ». « Ce n’est pas une attitude responsable. Nous devons tenir compte des besoins des Européens et de ceux de la planète », estime le laitier qui appelle les pouvoirs publics à mettre en adéquation le discours de réindustrialisation et leur soutien.

Souveraineté rime avec solidarité

Ce discours productiviste s’entend jusqu’au ministère de l’Agriculture. « Il faut libérer le potentiel de production agricole de l’Europe », assurait Julien Denormandie, début mars en sortie d’un conseil des ministres de l’Agriculture européens, se faisant ainsi l’écho de sa position partagée avec ses homologues.

Car ce n’est pas la ministre autrichienne qui contredira ces propos. Comme le rapporte de Bruxelles Agra Europe, Elisabeth Kostinger estime qu’ « il y a une réelle famine en Afrique du Nord […], que les ONG sont très bruyantes et nous disent ce que nous devrons faire ou ne pas faire, mais ce que nous devons faire en ce moment, c’est produire ». Le ministre roumain déclarait également fin mars que l’UE « a besoin d’exploiter chaque mètre carré de surface agricole pour produire ».

En France, le président sortant, et candidat à sa réélection à l’heure où nous mettons sous presse, Emmanuel Macron prône désormais « une adaptation » de ces stratégies européennes car « en aucun cas, l’Europe ne doit produire moins ».

Un premier pas vers moins d’écologie

La Commission européenne a d’ores et déjà fait un pas en ce sens en autorisant la mobilisation des jachères. Cette dérogation vaut pour 2022. « Nous verrons si la mesure est utile en 2023 », a pourtant déjà évoqué Janusz Wojciechowski, commissaire européen à l’Agriculture.

Pour le ministère de l’Agriculture français, ce dispositif va dans le bon sens. Elle permettra de « contribuer à la sécurisation des approvisionnements français et européens, pour l’alimentation humaine et animale, mais également aux équilibres mondiaux notamment pour les pays du pourtour de la Méditerranée et d’Afrique qui sont dépendants des importations de céréales pour leur sécurité alimentaire ». Les exportations vers pays tiers ne sont donc pas oubliées.

Si l’utilisation des 300 000 hectares de jachères hexagonales, qui sont rarement les terres les plus fertiles, ne sera probablement pas décisive pour l’équilibre alimentaire mondial, « l’autorisation d’utilisation des jachères est un signal important de la Commission car cela va à l’encontre du Pacte vert », signale Philippe Chotteau, économiste à l’Idele.

Les discussions sont loin d’être finies

Aux États-Unis, la décision a été tout autre. Tom Vilsack, secrétaire à l’Agriculture, a écarté, fin mars, la demande de la profession agricole et des Républicains de remettre en culture, au nom du « produire plus », des terres mises en jachères dans le cadre de leur politique de lutte contre le changement climatique. Selon lui, ces terres sont en majorité des terres peu productives et souvent soumises à d’importantes sécheresses. De ce fait, les remettre en culture n’apporterait qu’une hausse très marginale de la production et sans commune mesure avec le dommage causé à la lutte contre le changement climatique et au maintien de la santé des sols.

En Europe, outre cette remise en cause du verdissement, d’autres sujets sont également sur la table. La possible pénurie d’huile de tournesol ouvre des discussions en matière d’étiquetage des produits alimentaires. Certaines obligations pourraient être assouplies. La Commission européenne a également indiqué qu’elle soutenait la réduction de l’incorporation des biocarburants dans les carburants afin de reporter ces surfaces vers l’alimentation humaine. La question pour la méthanisation risque également de se poser. Enfin, dans ce contexte de crise, la publication de ses propositions de directives sur l’utilisation durable des pesticides et sur la biodiversité a été reportée à l’été. L’ordre du jour en ce moment étant déjà suffisamment chargé.

Quelles utilisations possibles des jachères en 2022 ?

Avec la dérogation dans le cadre du paiement pour les pratiques agricoles bénéfiques pour le climat et l’environnement, les agriculteurs pourront utiliser leurs surfaces déclarées en jachères (hors jachères mellifères) en 2022. Sont possibles la fauche et le pâturage ainsi que la conduite de culture de printemps de légumineuses y compris protéagineux, de céréales, et d’oléagineux hors chanvre, tout en mobilisant normalement les intrants nécessaires. Un céréalier pourra laisser pâturer des vaches ou faucher une parcelle au bénéfice d’un voisin éleveur. Les jachères représentent 300 000 hectares, soit 1 % de la SAU française et presque 2 % de la surface en terres arables.

Côté éco

La Commission européenne a débloqué une aide de 500 millions d’euros, grâce à l’utilisation de la réserve de crise. Objectif : apporter un soutien aux agriculteurs les plus touchés par la crise ukrainienne. L’enveloppe pour la France est de 89 millions d’euros.

Le saviez-vous ?

La remise sur les carburants de 15 centimes hors taxe au 1er avril, annoncée dans le cadre du plan de résilience, s’applique également au gasoil non routier des agriculteurs. S’y ajoute le remboursement anticipé de la TICPE de 2021 et, sur demande, un acompte de 25 % pour la TICPE 2022.

L’écologie tente de garder la tête hors de l’eau

 

 
Dans la mouture 2023 de la PAC, les surfaces d’intérêt écologique intègrent, les éco-régimes et la conditionnalité.
Dans la mouture 2023 de la PAC, les surfaces d’intérêt écologique intègrent, les éco-régimes et la conditionnalité. © Réussir SAS

 

Face à « une fuite en avant productiviste », certains syndicats, associations, ONG ou encore chercheurs tentent de faire entendre leurs voix. La Confédération paysanne accuse la Commission de « céder aux tenants d’une agricultrice productiviste qui, depuis le début, instrumentalisent la guerre en Ukraine pour pousser leurs pions ». « La Commission fait le choix tordu des jachères et va jusqu’à y tolérer l’usage de pesticides ! Un grand écart scandaleux avec les objectifs de la stratégie Farm to Fork et avec la fonction même des surfaces d’intérêt écologique. » Sur le volet solidarité mis en avant par certains défenseurs de l’ouverture des vannes à la production, le syndicat propose « pour assurer la sécurité alimentaire des populations vulnérables, [que] la Commission pourrait pourtant activer immédiatement deux leviers : le contrôle du prix des céréales et l’instauration de prix solidaires ». Des mesures qui permettraient, selon la Confédération, de contrer « la spéculation financière ».

Les ONG vent debout

Associations et ONG (Greenpeace, France nature environnement, Commerce équitable France, Fnab, etc.) expriment également « leurs inquiétudes sur l’orientation politique proposée à court terme par le gouvernement au sein de son plan de résilience, et les adaptations apportées à la stratégie européenne De la ferme à la fourchette ».

« Nos organisations dénoncent fortement ce rétropédalage environnemental de la Commission européenne et du gouvernement français […] qui ressemble fort à un cadeau fait aux lobbies agroindustriels, qui n’ont pas attendu la guerre en Ukraine pour promouvoir sans relâche cette fausse solution de « produire plus » pour libérer le potentiel agricole de la France », estiment-elles.

La recherche à leur secours

Enfin, des chercheurs, au travers de plusieurs tribunes publiées dans la presse, suggèrent également d’autres solutions. Fin mars dans Le Monde, 760 chercheurs français dont d’Inrae, du Cirad ou encore d’AgroParisTech, estiment que relancer la production agricole européenne serait « une erreur ». À l’inverse, ils prônent la réduction des productions animales et des agrocarburants basés sur l’utilisation de céréales et d’oléagineux. Dans une autre tribune, 200 chercheurs européens spécialisés en agriculture et écologie vantent l’intérêt des régimes alimentaires contenant moins de produits d’origine animale et l’augmentation de la production de légumineuses.

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