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Pays-Bas
Une filière caprine néerlandaise conquérante

Le développement récent et intensif de l’élevage caprin néerlandais se poursuit mais il est maintenant rattrapé par les problématiques sanitaires.

En quelques décennies, les Pays-Bas sont devenus un acteur majeur sur le marché européen du lait de chèvre. En dépit d’un cheptel caprin relativement réduit, 590 000 têtes soit 5 % du cheptel, ils se sont hissés au troisième rang européen, derrière la France et l’Espagne, avec près de 15 % de la production laitière. La production de lait de chèvre, quasi inexistante aux Pays-Bas dans les années quatre-vingt-dix, a connu depuis un essor fulgurant. Le secteur s’est révélé une alternative aux autres productions d’élevage, notamment de vaches laitières, lors des grands chocs qu’ont été la mise en place des quotas laitiers, la mise en œuvre de la directive nitrates ou la crise de l’ESB.

Le cheptel est ainsi passé de 38 000 têtes en 1985 à 77 000 en 1990 et la filière s’est progressivement construite, pour répondre à la demande des transformateurs français et à une industrie néerlandaise naissante. Le pays comptait 415 000 têtes en 2009. En 2010, un coup d’arrêt a été marqué avec l’abattage de près de 40 000 têtes dans les troupeaux infectés par la fièvre Q. L’engorgement des marchés européens entre 2010 et 2012 a aussi freiné temporairement la progression du secteur. Mais, le moteur est reparti dès 2013 et le cheptel s’est ainsi encore étoffé de près de 179 000 têtes sur les cinq dernières années. En 2018, 595 exploitations détenaient 590 000 chèvres.

13 000 chèvres pour le plus gros atelier

L’amont s’est structuré sur des exploitations familiales de grande taille, basées sur des systèmes relativement homogènes, hors-sol, simples et efficaces. Si le système alimentaire est coûteux, les performances économiques reposent sur une très forte productivité du travail, qui a poussé les structures à s’agrandir fortement.

Le cheptel moyen de chèvres laitières détenu dans les structures de plus de 20 chèvres laitières a plus que triplé entre 2000 et 2018, passant de moins de 300 à plus de 1 000 têtes (voir graphique). En 2018, plus de la moitié des exploitations néerlandaise détient plus de 500 chèvres chacune et, ensemble, 93 % du cheptel. On est loin des 190 chèvres moyennes détenues par les éleveurs français. D’autant que le plus gros atelier de 12 000 chèvres devrait être dépassé par un élevage de 13 000 chèvres dont les permis ont été accordés en 2017.

Une mentalité entrepreneuriale qui pousse à voir grand

La rentabilité de la production observée depuis les cinq dernières années, marquées par une conjoncture caprine extrêmement favorable, a fait sortir la filière caprine de son statut de simple alternative. De nombreux éleveurs ont investi pour développer leur production et de nombreux investisseurs, du secteur agricole ou d’autres secteurs économiques, se sont impliqués dans la filière, ce qui a provoqué une accélération rapide de la croissance de la production.

Hors-sol, intensif et conquérant

La rapidité de l’agrandissement des structures néerlandaises pourrait aussi s’expliquer par une mentalité entrepreneuriale des éleveurs néerlandais. « Lorsque la rentabilité de l’exploitation est insuffisante, les éleveurs doublent le troupeau pour diluer les coûts fixes, explique un responsable de coopérative néerlandais. Et lorsque l’outil est rentable et qu’ils réalisent une bonne année, ils doublent de nouveau le troupeau pour améliorer encore leur rentabilité et éviter de payer des impôts ».

Ces agrandissements sont guidés par une stratégie affirmée de simplification et de mécanisation du travail. Ainsi, les rations ont été simplifiées au maximum, la gestion des terres est souvent déléguée à des entreprises de services, la traite et l’alimentation sont souvent automatisées, efficaces et peu consommateurs de main-d’œuvre. La traite est même parfois déléguée à des entreprises extérieures, qui emploient de la main-d’œuvre néerlandaise ou en provenance des pays de l’Est.

La poudre de lait tire le marché

L’aval s’est structuré autour d’un nombre réduit de transformateurs qui bénéficient en outre de frais de collecte relativement faibles, dans un pays dont la superficie ne représente que le treizième de celle de la France. Très orientées vers l’exportation de lait vrac dans un premier temps, pour compléter les besoins des transformateurs français notamment, les entreprises laitières se sont progressivement impliquées dans la transformation du lait de chèvre. La gamme de produits néerlandais s’est élargie : des fromages à pâtes pressés traditionnels, type gouda de chèvre, aux fromages lactiques d’inspiration française, principalement pour le marché européen mais aussi vers les pays tiers. À ces fabrications fromagères, se sont rajoutées les fabrications de poudres de lait, autrefois considérées comme un produit de dégagement, qui sont récemment devenues le moteur de la transformation néerlandaise… pour répondre à la demande chinoise de poudres de lait infantile en plein boom.

Un prix du lait à la hausse mais volatile

La saisonnalité est beaucoup moins marquée qu’en France, avec notamment un quatrième trimestre qui représente 25 % de la production annuelle, contre seulement 20 % dans l’Hexagone. Cette différence peut s’expliquer par le caractère beaucoup plus intensif des systèmes de production et d’alimentation, ainsi que par la quasi-généralisation des lactations longues. Cette pratique est, en outre, présentée comme positive pour le bien-être animal dans la mesure où elle évite à la chèvre la gestation et le traumatisme de la mise bas. Les lactations longues permettent aussi d’éviter le nombre de chevreaux que les éleveurs néerlandais ont du mal à commercialiser.

Historiquement beaucoup plus bas qu’en France, le prix du lait de chèvre néerlandais a connu une très nette amélioration depuis 2010 et a amorcé un phénomène de convergence vers le prix français. Cependant, les prix affichés ne prennent pas en compte les ristournes sur résultat, la rémunération des parts sociales des coopératives et les bonus divers. L’analyse des données d’une trentaine d’exploitations entre 2012 et 2018 par l’université de Wageningen montre un écart annuel avec le prix calculé par Geitenhouderij de 24 à 58 €/1 000 litres selon les années. Ainsi, le prix du lait payé aux Pays-Bas aurait été supérieur au prix français entre 2014 et 2016, et l’écart de prix en 2018 se serait établi à 12 %.

Le geitenstop freine la dynamique caprine

L’ensemble de ces évolutions témoignent d’une filière dynamique, qui a su se développer, évoluer et s’adapter pour diversifier ses produits et ses débouchés. Néanmoins, alors que les grandes filières d’élevage (bovin lait, porc et volaille) sont aujourd’hui très impactées par la réduction draconienne des émissions d’azote et de phosphore, la filière caprine semble avoir perdu son statut de production « refuge ». Autrefois épargnée par ses considérations, elle a aussi été progressivement rattrapée par des questions sanitaires, environnementales mais aussi sociétales qui pourraient conditionner son développement futur.

Ainsi, déjà en 2009, la forte densité de population et d’élevage dans les régions du sud des Pays-Bas avait été identifiée comme facteur épidémiologique dans l’apparition de cas humains de fièvre Q. Plus récemment, en réaction à une étude épidémiologique sur la hausse des pneumopathies à proximité des élevages caprins, certaines provinces ont pris des mesures législatives visant à stopper l’installation ou l’agrandissement des troupeaux caprins. En 2019, 9 régions sur 12 avaient pris des arrêtés visant à geler les projets. Depuis, la région de la Frise, territoire à faible densité caprine, a levé cette interdiction et d’autres territoires ont commencé à assouplir ce geitenstop.

En extension vers la Belgique

Si la filière espère une levée prochaine des interdictions, la pression sociétale se fait toujours plus forte sur l’élevage caprin. À tel point que l’avenir de la filière néerlandaise pourrait se situer désormais… dans les Flandres belges voisines.

En effet, la filière caprine belge est récente et a triplé entre 2000 et 2016. Aujourd’hui, une cinquantaine d’élevages de plus de 100 têtes possèdent en moyenne 900 chèvres et regroupent près de 90 % des 50 800 chèvres de Belgique. Une partie des exploitations caprines belges livrent directement leur lait à des coopératives ou des transformateurs néerlandais, en raison notamment de leur proximité géographique, qui permet de limiter les coûts de collecte, et linguistique. Les transformateurs néerlandais considèrent en outre la production belge comme une bonne alternative face au récent geitenstop.

Vaccination des chevrettes et lutte contre les abcès caséeux

La filière caprine néerlandaise s’est aussi récemment organisée pour mener des actions collectives. Le syndicat d’agriculteur LTO Nederland a ainsi créé avec les transformateurs de lait de chèvre fédérés au sein de NGZO (Nederlandse GeitenZuivel Organisatie) une interprofession en 2017. La Platform Melkgeitenhouderij a un budget d’environ 200 000 euros alimenté par une cotisation volontaire obligatoire payée par les producteurs et les transformateurs. Cela permet de mener une campagne de promotion sur les fromages de chèvre, mais également de financer des projets de recherche et développement axés essentiellement sur la santé et le bien-être des animaux.

Fin 2018, la campagne de communication « Ontdek de geiten » (Découvrez la chèvre) a pu informer le grand public et les médias de la réalité de l’élevage caprin via un site internet. La NGZO, l’association de collecteurs et transformateurs de lait de chèvre, met aussi en avant sa charte de bonnes pratiques appelée Kwaligeit. Son cahier des charges comprend des modules portant sur les soins vétérinaires, la santé et le bien-être des animaux, la traite et l’alimentation. Au niveau sanitaire, l’éleveur doit par exemple prouver qu’il a mis en place un programme de lutte contre l’abcès caséeux ou qu’il n’y a pas d’animaux présentant des signes cliniques d’abcès caséeux. D’autre part, afin de lutter contre la fièvre Q, la vaccination des chevrettes est obligatoire et tout animal introduit dans l’exploitation doit être issu d’un élevage testé négativement ou vacciné avant introduction dans l’élevage.

Les chevreaux sous surveillance pour limiter mortalité et euthanasie

En termes de bien-être animal, le cahier des charges impose des normes sur les conditions de logement des chèvres. La surface minimale par chèvre présente est de 1,3 m² en stabulation libre et de 1,1 m² en stabulation avec caillebotis. Si ces normes paraissent peu contraignantes, la thématique de la mortalité des chevreaux semble en revanche devenir une considération majeure de la filière, avec un durcissement des règles en 2019. L’éleveur doit en effet calculer le taux de mortalité des chevreaux de son exploitation qui doit être inférieur à 12,3 % fin 2020. Par ailleurs, le cahier des charges stipule que l’éleveur doit assurer la commercialisation de ses chevreaux, afin d’éviter le développement des pratiques d’euthanasie d’animaux à la ferme.

Les deux tiers des éleveurs dans la démarche qualité

En plus de cette charte de bonnes pratiques d’élevage, LTO et NGZO (regroupés au sein de leur plateforme interprofessionnelle) ont travaillé à la mise en place d’un programme de durabilité de la filière, le Duurzame GeitenZuivel Keten (DGZK), littéralement « la chaîne de production laitière caprine durable ». L’objectif est de prendre en compte les nouvelles attentes de la société néerlandaises sur les modes d’élevage.

Ce programme, dont la réflexion a démarré en 2016, est articulé en trois axes : la santé et le bien-être des animaux, l’énergie et le climat, et l’image de l’élevage. Opérationnel depuis 2018, le DGZK fonctionne grâce à un système de points basé sur les pratiques des éleveurs. En 2019, 65 % des éleveurs caprins avaient adhéré volontairement à la démarche.

Face à la croissance effrénée du secteur depuis 2014, la filière semble vouloir s’organiser pour maîtriser la croissance du secteur, de façon responsable et durable. Aujourd’hui la filière laitière caprine est dans une situation jugée saine, avec un équilibre de l’offre et la demande, que les producteurs et transformateurs souhaitent préserver.

En savoir plus

Le dossier Économie de l’élevage daté de décembre 2019 détaille en 34 pages l’étude réalisée par la Fnec et le département Économie de l’Institut de l’élevage. Il est téléchargeable sur idele.fr ou vendu 18 euros en version papier auprès de leila.assmann@idele.fr.

Premier producteur européen de lait bio

Les Pays-Bas se sont hissés au rang de premier producteur européen de lait de chèvre bio, avec près de 32,5 millions de litres, loin devant la France et l’Espagne qui comptent chacune 11 millions de litres. 70 à 75 % de la collecte sont absorbées par la coopérative Organic Goat milk, qui assure la collecte de lait de chèvre bio aux Pays-Bas, mais aussi en Belgique et en Allemagne, et qui commercialise du lait vrac à ses partenaires commerciaux, aux Pays-Bas et en Europe.

Avec 401 chèvres par élevage en moyenne, le troupeau certifié bio néerlandais est, certes, 2,5 fois plus petit que le cheptel conventionnel mais il est par exemple près de six plus grand que le troupeau bio moyen français.

 

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