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Ethnozootechnie
L’histoire mouvementée du pastoralisme caprin en Provence

Occupant les zones dépeuplées par la peste puis mal vu par l’église et par les forestiers, l’élevage caprin de Provence a retrouvé un gain d’intérêt avec l’arrivé des soixante-huitards.

Le pastoralisme et l’élevage caprin sont l’objet de nombreux fantasmes et légendes. Le pastoralisme est une composante essentielle du paysage provençal. À l’occasion de la réunion annuelle du groupe d’ethnozootechnie caprine les 7 et 8 octobre derniers à Carmejane dans les Alpes-de-Haute-Provence, organisée par Kacem Boussouar, Frantz Jénot et Bernard Leboeuf, les participants se sont exprimés devant une assemblée composée d’élèves d’AgroSup Dijon et de passionnés d’élevage. En début de réunion, Jacky Salingardes, président de la Fnec et de l’Anicap, a souligné l’importance du pastoralisme caprin en Provence et en France. Pour Jean-Yves Royer, historien et universitaire provençal, l’histoire de la chèvre et du pastoralisme provençal "commence bien dans l’antiquité, quand des chèvres ont été importées par bateau sûrement par des voyageurs venus de Palestine". La transhumance quant à elle participe au paysage provençal depuis l’antiquité. Mais c’est après 1348 et la grande épidémie de peste noire "qui a radicalement modifié les habitudes et la vie économique en dépeuplant la région que le pastoralisme a pris de l’ampleur". Ainsi, les zones dépeuplées sont devenues des zones d’estives pour les troupeaux. Afin de continuer à avoir des moyens de subsistance et la main-d’œuvre manquant, l’élevage en plein air s’est beaucoup développé à cette période.

Élevage caprin et provençaux : histoire d’un désamour

Mais l’élevage caprin, s’il est maintenant répandu en Provence, n’a pas toujours eu bonne réputation pour les Provençaux. Selon Joël Corbon, éleveur provençal, "pour des questions de religion d’abord le bouc et la chèvre sont considérés comme des animaux lubriques associés au diable". Ainsi, il était très mal vu pour un homme provençal d’élever des chèvres. Joël Corbon confie même "qu’encore maintenant, le nom de ma femme est inscrit sur les fromages car je ne voudrais pas avoir d’ennuis…" De plus aux 17e et au 18e siècles, les chèvres étaient jugées responsables de la déforestation. L’élevage caprin en Provence a donc bien failli s’éteindre, d’autant plus qu’au 20e siècle, au moment de la modernisation de l’agriculture, l’élevage ovin s’est intensifié portant encore préjudice à l’élevage caprin. Après mai 1968, des néoruraux, des soixante-huitards, sans préjugés vis-à-vis de l’élevage caprin ont redonné une nouvelle jeunesse à cet élevage en s’installant avec des troupeaux de chèvres. Ils ont ainsi créé la filière fromagère locale. Ils ont également redynamisé l’utilisation des parcours et le pastoralisme caprin provençal.

Le pastoralisme caprin, un outil de lutte contre les incendies

Mais il a fallu attendre longtemps avant que les chèvres ne soient tolérées à l’abord de forêt. Denis Capel, éleveur de la "génération 68" se souvient de ses premiers gardiennages où il a dû s’opposer à des gardes forestiers pour pouvoir faire pâturer ses chèvres. Le syndicat caprin provençal a mené un long combat pour faire reconnaître l’utilité du pastoralisme caprin dans la gestion des incendies. Il a fallu attendre 1990, un changement de génération à l’Office nationale des forêts et les problèmes de grands incendies, pour pouvoir mener des campagnes d’agropastoralisme, avec des chèvres, pour diminuer les surfaces combustibles sans pour autant déforester.

Les participants ont aussi pu échanger sur la problématique du loup qui, même en élevage caprin, est un problème majeur. Pour Laurent Garde, technicien pastoral au Centre d’études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (Cerpam), spécialiste du pastoralisme, "le loup a un impact majeur sur l’élevage en plein air d’animaux productifs comme les chèvres".

à venir

Luc Falco, éleveur passionné, raconte l'histoire de la chèvre du ROve

D’après une légende, la chèvre du Rove serait arrivée en Provence il y a près de 2500 ans. Un bateau grec se serait échoué au large de Marseille et des chèvres auraient rejoint le rivage pour se perdre dans le paysage provençal. Si cette histoire est une légende, il est toutefois vrai que la chèvre du Rove est en Provence depuis près de 2000 ans et son histoire est intimement liée au pastoralisme ovin. Les bergers se servent en effet de cette chèvre pour guider les troupeaux mais aussi pour nourrir les agneaux orphelins et se nourrir eux-mêmes. Cette race est extrêmement rustique et permet d’utiliser et de valoriser des terrains très pauvres (garrigues, maquis, pinèdes, friches). Elle supporte la vie dans la neige comme la grande sécheresse. Habituée aux parcours accidentés et difficiles, elle participe à la valorisation et à la sauvegarde des espaces méditerranéens. Mais, après la seconde guerre mondiale, les élevages de chèvre mettaient l’accent sur la productivité et la chèvre du Rove a bien failli disparaître. Quelques passionnés ont permis sa conservation. Entre 2003 et 2013, l’effectif a doublé et on comptait 10 500 chèvres du Rove en 2013. La chèvre du Rove n’est donc plus en voie de disparition. Elle reste liée au pastoralisme car "produire du lait à partir avec des chèvres élevées en intérieur ne serait pas rentable" selon Luc Falco. En France, environ 33 000 hectares sont pâturés par des chèvres du Rove.

L’AOP brousse du Rove en bonne voie

Si cette chèvre ne produit pas de lait en grande quantité, ce lait a cependant des taux intéressants. Grâce à ce lait, on peut produire de la brousse du Rove ; un produit emblématique de la Provence, aussi connu à Marseille que la bouillabaisse. Ce qui en fait un produit très prisé des locaux et des touristes. Luc Falco se souvient, enfant, des vendeurs ambulants qui descendaient des collines pour venir vendre la brousse à Marseille. Avec la brousse du Rove, l’éleveur estime "vendre de la nostalgie aux Provençaux". Mais avec la notoriété vient souvent la copie et la brousse du Rove n’est pas encore un produit protégé. Un dossier est donc déposé à l’Inao (Institut national des appellations d’origine) pour la création d’une AOP (Appellation d’origine protégées) brousse du Rove. Il devrait passer devant la commission nationale de l’Inao en novembre prochain après dix ans de procédure. La brousse du Rove pourrait obtenir son AOC (Appellation d’origine contrôlée) fin 2017 et son AOP (niveau européen) en 2019. Le cahier des charges est très restrictif. "On voulait garder un produit de qualité et traditionnel". Ainsi, les chèvres du Rove doivent pâturer tous les jours de l’année, ne pas manger d’OGM et de concentré du commerce, ne pas être désaisonnalisées, etc.

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