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Brexit, la filière vin se prépare à franchir une nouvelle frontière

Le feuilleton que constitue la sortie du Royaume-Uni de l’Union Européenne est en passe de prendre fin. Mais pour les entreprises qui exportent outre-Manche, c’est une nouvelle histoire qui est en train de s’écrire.

Il va falloir s'y faire ! Avec le Brexit, le Royaume-Uni rejoint la catégorie "pays tiers" pour les exportations. Une frontière "informatisée" se met en place.
© DR

Officiellement sorti de l’Union européenne le 31 janvier 2020, le Royaume-Uni n’est pas encore un « pays tiers » d’un point de vue commercial. Ce sera le cas le 31 décembre 2020, au terme d’une laborieuse période de transition qui doit dessiner les contours des relations commerciales à venir entre Européens et Britanniques. Cette bascule implique de nombreux changements à anticiper pour les entreprises françaises qui font commerce outre-Manche.

L’instauration inédite d’une « frontière intelligente »

Emmanuelle Gidoin, chargée de mission Action économique et entreprises, à la sous-direction du commerce international des Douanes, décrit comment ces dernières travaillent pour faire face au Brexit. « La douane s’y est prise très tôt, dans un contexte où les entreprises ne croyaient pas à la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Une première campagne de communication, ‘Dédouaner, c’est pas sorcier’, a été lancée il y a deux ans dans toute la France avec nos pôles d’action économique (PAE). Une nouvelle campagne ‘Brexit : êtes-vous prêt ?’ est lancée depuis fin septembre, avec des réunions douane-entreprises en région, et les entreprises sont très nombreuses à y assister. »

Le confinement printanier et les atermoiements diplomatiques ont eu du bon côté douanier. « Nous avons mis à profit les reports successifs du Brexit pour améliorer le dispositif de frontière intelligente que nous avons bâti avec nos partenaires », se souvient Emmanuelle Gidoin. Trois principes sont au cœur de cette nouvelle solution : anticipation des formalités, identification du moyen de transport, et automatisation des notifications de passage. « Il est important que les entreprises comprennent que ce système est unique, insiste la représentante de la Douane. Il consiste à créer une frontière informatisée, ce qui est totalement inédit ! Mais ce dispositif ne fonctionnera qu’avec la collaboration des opérateurs économiques qui devront anticiper les procédures et préparer en amont leurs opérations logistiques et de dédouanement. »

Du changement pour les petits opérateurs

Dans le monde du vin, « les gros opérateurs qui font régulièrement des opérations d’import-export sont armés pour maîtriser les opérations de dédouanement, soit avec des services dédiés à l’export, ou à travers des prestataires. Cependant, certains vignerons ou coopératives n’expédient que quelques cartons par an à destination de pays tiers ; c’est surtout pour eux que les choses vont changer », affirme Emmanuelle Gidoin.

En Champagne, pour qui le Royaume-Uni est un partenaire commercial fidèle (premier marché export en volume avec 27 millions de bouteilles, deuxième en valeur avec un chiffre d’affaires de 431 millions d’euros HT), les grandes maisons ne semblent pas forcément inquiètes en cette période d’instabilité.

Clovis Taittinger, directeur général chargé des questions commerciales et marketing de la maison de Champagne du même nom, est serein. Alors que la marque familiale rémoise réalise 15 % de ses ventes mondiales outre-Manche, elle n’a « jamais pris de disposition (pour atténuer les effets du Brexit) et n’en prendra jamais » : le dirigeant préfère « agir a posteriori, voir comment la situation évolue et opérer des réorganisations lorsqu’on saura si on doit procéder ainsi. » Taittinger, qui exporte ses champagnes dans 140 pays, peut sans doute se le permettre : du point de vue administratif, « on fera face. Nous sommes en contact quasi quotidien avec les Douanes. » « Le vrai problème du Brexit, mais qui est en fait global, c’est le taux de change qui affaiblit la livre sterling et renchérit le coût de nos cuvées pour le consommateur anglais », souligne le directeur général.

Laurent d’Harcourt, président du directoire du champagne Pol Roger, reste optimiste lui aussi. Contrairement à ses concurrents de Reims, la maison d’Épernay (qui réalise 18 à 20 % de ses ventes au Royaume-Uni, son premier marché) avait pris quelques précautions. Les expéditions de fin 2019 avaient été anticipées au 31 mars « par mesure conservatoire », Pol Roger possédant une filiale en Angleterre. Un surplus de stockage qui n’a pas été reconduit cette année. « Nous avons toujours au moins deux mois de stock d’avance », développe Laurent d’Harcourt. Pour le dirigeant, la transcription de la protection des marques européennes dans le droit anglais a constitué un réel soulagement. A contrario, ni l’émergence des sparkling wines domestiques, ni le montant des futurs droits de douane ne semblent le faire frémir.

Les pôles d’action économique en soutien

« Il reste encore des irréductibles qui considèrent qu’il sera toujours temps de faire face le moment venu, ou que le Brexit n’aura pas lieu », note Emmanuelle Gidoin. Avec ou sans accord bilatéral, « les formalités administratives seront rétablies, pour les passagers comme pour les marchandises ».

« En tout état de cause, les entreprises peuvent compter sur les 42 PAE régionaux pour les conseiller gratuitement sur les meilleures procédures à adopter par rapport à leur schéma logistique et leur stratégie de développement », rappelle la chargée de mission. Ces interlocuteurs restent joignables par mail, téléphone et visioconférence pendant le confinement.

« La douane a un rôle économique majeur visant à permettre aux opérateurs de dédouaner plus vite et à moindre coût. C’est indispensable quand on sait que les délais d’acheminement des marchandises constituent des enjeux de compétitivité », conclut Emmanuelle Gidoin.

Lire aussi : Coup de froid sur les exportations de vins et spiritueux

Le Brexit vu d’Angleterre

"Malheureusement, il faudra peut-être compter sur une hausse des prix", Peter Crawford, cofondateur de l’importateur Sip Champagnes à Londres.

« Les vins français – et en particulier le champagne – sont très bien positionnés en on-trade (consommation sur place, hôtellerie et restauration) comme en off-trade (supermarchés et cavistes).

Bien entendu, la baisse des ventes des vins français au Royaume-Uni nous préoccupe. Et il est probable que le Brexit renforce ces tendances. Cependant, nous pensons que le maintien d’une offre aussi diversifiée que possible bénéficiera à terme à nos clients.

Nous avons consacré ces derniers mois à peaufiner notre logistique afin de garantir une transition aussi fluide que possible. Cela étant, des arriérés aux douanes sont à prévoir, ce qui retardera les livraisons. Nous allons probablement réaliser les expéditions du premier et du deuxième trimestre 2021 au cours du mois à venir : cela nous permettra d’évaluer la situation avant de devoir reconstituer les stocks en milieu d’année. Malheureusement, il faudra peut-être compter sur une hausse des prix afin de s’adapter à d’éventuelles règles commerciales fixées par l’OMC. »

"Ces derniers temps, nos clients restaurateurs ne nous passent plus de commandes", Tim Hall, journaliste et directeur de la société d’import de vins Scala Wine.

« Pour l’instant, il est difficile de prévoir quoi que ce soit, tant que nous ne savons pas si les vins seront exemptés de taxes. Toute notre logistique est gérée par une entreprise partenaire, à travers un entrepôt au Royaume-Uni où les vins sont mis de côté avant le règlement de la TVA et des droits d’accise. Je ne vois guère de changement à venir, mais comme tout le monde, j’aimerais savoir quelles règles vont être appliquées !

Ces derniers temps, nos clients restaurateurs ne nous passent plus de commandes. Les importations sont par contre sensiblement stables et devraient le rester. Si la stupidité du Brexit se concrétise jusqu’au bout, on devrait voir des poids lourds coincés au-delà du tunnel sous la Manche…

Sur le court terme, le Brexit va causer des dégâts au Royaume-Uni, mais d’ici quelques années, cela n’aura que peu d’effet sur le PIB ici ou en Europe. »

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