Aller au contenu principal

Argentine : pourquoi le travail du sol fait un retour en force dans le pays ?

Les céréaliers d’Argentine réintroduisent du travail du sol en système semis direct. Ce retour au binage est leur seule façon de décompacter les sols et de lutter contre les adventices devenues résistantes à certains herbicides suremployés.

<em class="placeholder">Les agronomes Marcelo Arriola et Andrés Madias sont chercheurs au sein de l’association argentine des producteurs en semis direct (AAPRESID).
Marcos Sincovich et Edgardo ...</em>
En haut : Les agronomes Marcelo Arriola et Andrés Madias sont chercheurs au sein de l’association argentine des producteurs en semis direct (AAPRESID).En bas : Marcos Sincovich et Edgardo Tibaldo sont agriculteurs en Argentine, dans la province de Santa Fe.
© M.-H. André

Cela fait plus de 20 ans que les céréaliers d’Argentine ont cessé de retourner leurs terres. Mais à force de pratiquer le système du semis direct en se contentant de ne plus labourer les sols, ils en ont vite trouvé les limites. Les autres piliers sur lesquels repose le succès des systèmes en non-labour n’ont généralement pas été mis en place. Différents interlocuteurs ont témoigné sur ce sujet à l'occasion du salon de machinisme agricole Expoagro qui s’est tenu en mars dernier à San Nicolás, zone de grandes cultures dotée d’un port fluvial situé à mi-chemin entre Rosario et Buenos Aires. La ville est située le long du fleuve Paraná, voie qui dessert le marché mondial en soja et tourteaux de soja« Seulement 15 % environ des céréaliers du pays font tourner les cultures sur leurs terres et implantent des couverts. Dans la majorité des cas, la monoculture du soja est devenue la norme tout comme l’usage répété des mêmes herbicides. Des tolérances sont apparues et la structure des sols a pâti de l’absence de graminées dans les rotations », indique Marcelo Arriola, chercheur au sein de l’association argentine des producteurs en semis direct (AAPRESID), un club de grands fermiers de la Pampa férus de non-labour, fondé en 1989 et sis à Rosario.

Face à cela, le retour au labour se généralise actuellement en Argentine. Il concernerait près de la moitié des parcelles cultivées, alors qu’il y a deux ans à peine, le non-labour était encore appliqué sur 96 % des surfaces, soit 38 millions d’hectares. « Le non-labour reste la norme en Argentine, mais il recule, selon les images satellitaires analysées par l’Institut national de technologie agricole », précise Andrés Madias, également chercheur à l’AAPRESID. « D’après ces données, on peut affirmer que le semis direct pur et dur ne serait plus pratiqué que sur environ 60 % des surfaces », admet son confrère Marcelo Arriola.

« Le labour s’impose avant d’implanter une luzerne. Mais c’est également utile lorsque les parcelles sont en mauvais état, piétinées par le bétail ou envahies d’adventices », témoigne Marcos Sincovich, agriculteur. Il sème pour son compte 300 hectares (ha) en soja, blé et maïs dans le district de Rafaela, au centre de la province de Santa Fe. Il intervient aussi sur 2 500 ha en tant que conseiller de voisins agriculteurs.

Des sols compactés qui nécessitent un labour superficiel

Les fortes chaleurs et la sécheresse à répétition rendent pourtant indispensable le non-labour et le semis direct. « Les grandes cultures se font sans irrigation en Argentine. Or, nos sols sont plutôt limoneux qu’argileux. De plus, nous sortons de quatre campagnes consécutives sèches avec des vagues de chaleur de plus de 40 ºC. Sous un tel climat, si nous labourions nos sols en profondeur, les cultures sécheraient. L’eau est notre ressource la plus précieuse », considère l’agriculteur.

Même son de cloche chez Edgardo Tibaldo qui cultive 800 hectares en non-labour à Llambi Campbell, dans la province de Santa Fe, au nord de l’Argentine. Dans cette région subtropicale, il lui paraît indispensable de travailler en semis direct, car les chaleurs d’été sont intenses et les pluies aléatoires. La conservation de l’humidité de ces sols limoneux est sa priorité absolue.

Pour autant, le compactage des sols semble finir par poser problème. « Le semis direct provoque le compactage des sols, à la longue, par le passage des machines : le tracteur, le semoir, la moissonneuse… les racines finissent par ne plus disposer d’oxygène dans le sol », expose Marcos Sincovich. « Il arrive un moment où je dois forcément décompacter les sols, alors je les bine à 25-30 cm de profondeur », confirme Edgardo Tibaldo.

Les couverts peu utilisés

Aujourd’hui, d’après Marcos Sincovich, le retour au labour ne signifie pas forcément le retour d’un travail profond du sol. « Il est courant de faire un labour superficiel de 5 à 10 cm tout en passant un rouleau niveleur. En deux ou trois passages, le sol est prêt, décrit-il. Le problème est qu’on applique toujours davantage d’herbicides, alors que le glyphosate ne contrôle presque plus rien. » Pour faire face à ces résistances, le travail du sol est parfois la seule parade, même si pour lutter contre les adventices comme le « yuyo colorado » (Amaranthus), la chloris ou l’éleusine, les producteurs utilisent du 2-4 D à condition de semer des variétés de soja et de maïs qui y sont résistants.

Peu de céréaliers voient en outre l’intérêt d’implanter des couverts en raison de leur coût. « Personnellement, j’implante des couverts en vesce, seigle et avoine, pendant l’automne au lieu d’une jachère, explique l’agriculteur. Le coût est de 100 dollars par hectare, mais ça permet de garder le sol vivant, de conserver l’eau et la structure poreuse du sol. C’est un investissement intéressant. »

Les ZNT, facteur de retour au labour

Autre facteur explicatif du retour du labour : les zones de non-traitement aux pesticides (ZNT) établies en périphérie des villages. « J’ai fait récemment un tournesol dans une de ces ZNT. Faute de pouvoir utiliser des phytos, j’ai dû retourner la terre, ce qui n’est jamais bon pour elle, regrette Edgardo Tibaldo. Ce désherbage mécanique coûte plus cher que l’option chimique. Le résultat comparatif au niveau agronomique est satisfaisant à court terme, mais le labour dégrade la capacité de rétention d’eau des sols. »

Marcos Sincovich explique également que la non-régulation du marché foncier agricole pour les fermiers locataires rend difficile l’investissement à long terme dans un système d’exploitation des sols durables, que celui-ci soit en labour ou semis direct. « Ceux qui font de belles affaires, ce sont les propriétaires des champs que nous louons au prix fort. En l’absence de loi du fermage, ils font jouer la concurrence sans scrupule. Tout est à ultracourt terme », lâche-t-il.

Les raisons du succès du non-labour en Argentine

Le semis direct est apparu en Argentine dans les années 1980 pour limiter l’érosion hydrique et éolique des sols aggravée par le labour, soit bien avant la mise sur le marché argentin en 1995 des semences de soja OGM Roundup Ready. Le succès du semis direct a ensuite été favorisé par l’accès à ces variétés résistantes au glyphosate et au bas prix de cet herbicide. « Le succès du semis direct en Argentine s’explique aussi par la grande dimension des domaines. Le coût opérationnel du désherbage chimique est bien moindre ramené à l’hectare », ajoute Gabriel Fontana, fabricant de bineuses.

Rédaction Réussir

Les plus lus

<em class="placeholder">Matthieu Kohler, agriculteur à Sélestat (67) :« Ma priorité numéro 1 avec l&#039;épandage de produits résiduaires organiques est l&#039;enrichissement de mes sols en matière ...</em>
En Alsace, « j’économise plus de 100 €/ha sur les parcelles qui reçoivent des produits résiduaires organiques »

À Sélestat, en Alsace, chez Matthieu Kohler, une trentaine d’hectares reçoit chaque année des épandages de différents produits…

<em class="placeholder">Moisson des céréales. Moissonneuses-batteuses Claas dans une parcelle d&#039;orge dans la plaine céréalière de la Marne. chantier de récolte des orges avec des rendements ...</em>
Moisson 2025 : quels impacts du pic de chaleur actuel sur les céréales à paille ?

Des températures qui dépassent les 30 degrés, une absence de pluies depuis plusieurs semaines…, des inquiétudes pointent dans…

<em class="placeholder">Les agronomes Marcelo Arriola et Andrés Madias sont chercheurs au sein de l’association argentine des producteurs en semis direct (AAPRESID).
Marcos Sincovich et Edgardo ...</em>
Argentine : pourquoi le travail du sol fait un retour en force dans le pays ?
Les céréaliers d’Argentine réintroduisent du travail du sol en système semis direct. Ce retour au binage est leur seule façon de…
<em class="placeholder">Jérôme Noirez, agriculteur et gérant au sein de la SEP Poinsirez à Arraincourt, en Moselle, pratique l’agriculture de conservation des sols</em>
En Moselle, « nous gérons le couvert d’interculture courte entre deux céréales comme une culture à part entière »

Jérôme Noirez, gérant au sein de la SEP Poinsirez à Arraincourt, en Moselle, pratique l’agriculture de conservation des sols.…

<em class="placeholder">Desséchement précoce des feuilles du bas des plantes dans une parcelle de maïs.</em>
Canicule et sécheresse : quelles conséquences sur le maïs ?

Du nord au sud, la canicule frappe la France avec des températures qui dépassent localement les 35 degrés. Les parcelles de…

<em class="placeholder">Tas de compost vegetal dans une parcelle cerealiere avant son epandage. </em>
Amendement organique : quels intérêts présentent les composts pour les sols ?

Parmi les produits résiduaires organiques, les composts présentent un profil intéressant pour améliorer les sols sur plusieurs…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 96€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Grandes Cultures
Consultez les revues Réussir Grandes Cultures au format numérique sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Grandes Cultures