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Aléas climatiques : quand l’assurance ne fait pas tout

Professionnels, pouvoirs publics, assureurs et sénateurs : tous ces acteurs ont engagé une réflexion pour une meilleure prise en compte du réchauffement climatique et de ses conséquences sur les cultures. Mais l’assurance apparaît déjà comme une solution insuffisante. Et qui doit être revue et corrigée si elle veut toucher le plus grand nombre.

« En deux fois dix minutes, le 15 juin et le 5 juillet derniers, ce sont quelque 30 000 t d’abricots qui ont été perdues », indique Bruno Darnaud, président de l’AOP pêches-abricots et lui-même exploitant touché par ces orages de grêle qui se sont abattus dans la Drôme. Au total, 4 000 ha de vergers ont été affectés pour des pertes estimées à 62 millions d’euros, selon les chiffres de la Chambre d’agriculture de la Drôme. « Entre l’assurance que j’ai contractée et la déduction pour aléa (DPA), cet argent mis de côté en cas de coup dur, je vais pouvoir limiter la casse financière », explique Bruno Darnaud. « Je vais aussi accélérer la couverture en filets de mes vergers. Car je le constate, contre les aléas climatiques, il n’y a pas de solution unique. Il faut être capable de jongler avec la protection physique des cultures, avec les opportunités qu’offrent la fiscalité et l’assurance récolte. Dans ce contexte de changement climatique et avec tous les risques que celui-ci induit, l’agriculteur qui n’est pas capable de combiner les trois n’a plus qu’une seule chose à faire : changer de métier ». Une formule, certes abrupte, mais que ne renie pas Gilles Tallotte, chef du service Entreprises à la Chambre d’agriculture de la Drôme et qui a dû et doit encore gérer les conséquences de ces orages dévastateurs. « Face à des évènements aussi forts, l’arboriculteur doit, en effet, mettre au cœur de sa réflexion tous ces éléments. Il ne peut pas tout attendre des calamités agricoles. La solidarité ne trouvera jamais de quoi couvrir les 62 millions d’euros de perte enregistrés ».

« Une logique de boîte à outils »

La FNSEA s’est aussi exprimée sur cette question de la gestion des risques climatiques et sa position est claire : non au tout assurance. Elle l’a d’ailleurs fait savoir au ministre de l’Agriculture. « L’assurance fait bien évidemment partie du dossier mais il ne faut pas oublier le volet prévention qui se matérialise, par exemple, pour les fruits et légumes par des filets paragrêles mais aussi par des technologies qui, demain leur permettront de résister au gel », explique Luc Smessaert, vice-président de la FNSEA et président de la Commission gestion des risques. « Nous devons compter aussi sur l’innovation variétale pour obtenir des végétaux capables de résister à la sécheresse. Et pour lutter contre celle-ci, nous avons besoin d’un véritable plan Marshall de l’eau afin de mettre en place des zones de stockage ». La FNSEA insiste également sur le volet fiscal qui a vu la mise en place par la loi de Finances 2019 de la déduction pour épargne de précaution, qui remplace la DPA, permettant de lisser d’une année sur l’autre les résultats soumis à l’impôt sur le revenu, constituant une réponse à la volatilité des prix mais aussi une « auto-assurance » pour faire face aux aléas climatiques.

Pour Groupama, également, l’assurance ne peut pas être non plus le seul outil de gestion des risques climatiques. « Ce que nous voulons promouvoir, c’est une logique de boîte à outils et c’est ce que nous proposons dans la phase de concertation qu’a engagée le ministre de l’Agriculture », indique Delphine Létendart, directrice du marché agricole chez Groupama. Didier Guillaume, après l’épisode de grêle drômois, a en effet lancé une concertation avec le monde agricole et le secteur de l’assurance afin de mettre en place « un système d’assurance généralisée », fin 2019-début 2020.

Rendre le dispositif assurantiel incitatif

Car si l’assurance doit être un des éléments de la gestion du risque climatique, encore faut-il qu’elle soit accessible et adaptée aux besoins des agriculteurs. Et que ces derniers soient encouragés à souscrire de tels contrats. Groupama rappelle que seulement 15 % des surfaces légumières et 5 % des surfaces arboricoles sont assurées. « Notre objectif est de tendre vers 65 % de surfaces pris en charge. Un tel niveau de couverture aurait un effet de mutualisation permettant d’abaisser le niveau des primes », souligne Delphine Létendart. Dans une résolution adoptée le 10 septembre dernier, les sénateurs qui ont également planché sur la question de la gestion des risques climatiques et l’évolution des régimes d’indemnisation, estiment que le dispositif assurantiel actuel n’est, en effet, pas assez incitatif. Ils préconisent, pour le développer, de saisir les opportunités offertes par l’Europe et de mettre en application le règlement dit omnibus qui permet d’augmenter le taux de subvention des contrats de 65 à 70 % et de faire passer de 30 à 20 % de perte, le seuil de déclenchement de l’assurance. Une proposition approuvée sans réserve par la FNSEA et qui demande au gouvernement sa mise en œuvre sans plus attendre. Les sénateurs suggèrent aussi d’encourager la simplification des contrats d’assurance. Un point sur lequel va travailler Groupama. « Mais nous devons aussi revoir le contenu de ces derniers pour l’adapter notamment aux productions fruitières. Il faudrait, entre autres, réviser le mode de calcul de la moyenne olympique qui se fait actuellement sur cinq ans pour tenir compte des phénomènes d’alternance », souligne Delphine Létendart. « Quant au maraîchage, le multi-récoltes est un frein à l’assurance puisque le dispositif assurantiel ne tient compte que d’une récolte par année ». La FNSEA souhaite enfin adresser un message aux assureurs : « il nous faut de la transparence », clame Luc Smesssaert. « On doit savoir combien nous coûte l’assurance/ha, déduction faite de l’aide européenne. Que soient mis à notre disposition des outils informatiques qui nous permettent de calculer son coût et d’évaluer son intérêt ».

Calamités agricoles versus assurance climatique

Trouver un « subtil équilibre » entre l’amélioration de la couverture assurantielle et le régime des calamités agricoles, afin que celui-ci perdure : telle est l’une des autres propositions formulées par les sénateurs. Ils proposent notamment de déplafonner la contribution payée par les agriculteurs « pour renforcer la soutenabilité du régime », considérant que les dépenses du Fonds national de gestion des risques en agriculture qui indemnise ces calamités et finance les aides au développement de l’assurance vont largement augmenter dans les années à venir, du fait du changement climatique. Les sénateurs plaident également pour que cesse « une pratique budgétaire presque usuelle mais regrettable », consistant pour l’Etat à prélever une partie du fonds pour boucler son budget. « Ce fonds doit revenir aux agriculteurs », estiment les sénateurs.

Bruno Darnaud, président de l’AOP pêches-abricots de France : « Contre les aléas climatiques, il n’y a pas de solution unique. Il faut être capable de jongler avec la protection physique des cultures, avec les opportunités qu’offrent la fiscalité et l’assurance récolte »

Trois témoignages d'agriculteurs touchés

Alexandre Clut, Gaec de Vernaison (Drôme)

« Nous sommes assurés contre la grêle. Celle-ci fait partie du jeu. Mais ce qui s’est passé ce 15 juin dans la Drôme, ce n’était pas une grêle. Ce fut une catastrophe. Cet événement dramatique a remis en cause notre stratégie d’entreprise. Nous avions prévu d’arracher des arbres âgés de 15 à 20 ans mais nous allons les garder car nous avons dû en arracher âgés de trois-quatre ans. Tout ceci nous a amenés également à réfléchir à une meilleure protection du verger. Il ne peut être question de le protéger en intégralité. Mais quitte à investir, nous ne planterons qu’un hectare au lieu de deux mais en veillant à bien protéger celui-ci. »

Christian Nagearaffe, producteur de noix à Montmiral (Drôme)

« Plus de 3 000 noyers ont été frappés par les orages de grêle dans la Drôme. En ce qui me concerne, 40 ha ont été touchés dont environ 20 % à 100 %. Je suis assuré sur 60 % du capital. Je ne sais pas combien je vais toucher. Cela va me permettre de payer les charges engagées. Mais ce n’est pas une assurance de confort puisque toute la récolte n’est pas assurée. Je vais vivre sur les réserves. C’est une béquille. »

Benjamin Junion, arboriculteur dans la Drôme

« 100 % de l’exploitation a été touché par les orages de grêle de ce début d’été. Je pense que nous allons mettre trois ans à nous en remettre. L’exploitation était assurée depuis 2013. Les assureurs sont venus et m’ont versé un acompte. Par contre, je n’avais pas de protection sur le verger. J’avais fait faire un devis pour couvrir 10 ha mais c’était cher et puis il y avait le temps à passer pour plier et déplier les filets. Je n’ai pas pris ce virage. Sauf que cela fait deux années de suite que je prends de la grêle et compte tenu des pertes enregistrées, si j’avais investi, mes filets auraient été payés. »

« Avoir des abris aux normes, assurables et assurés »

« Avoir des outils de protection ou des abris aux normes afin qu’ils soient assurables et assurés », Christophe Lacoste, animateur de la société d’ingénierie financière Agri Abri Aquitaine, n’a qu’un seul credo pour se prémunir des risques climatiques.

« Avant de songer aux solutions qui permettront de se remettre d’un aléa climatique, il faut avant tout faire de la prévention », estime Christophe Lacoste, animateur de la SA Agri Abri Aquitaine, qui aide les maraîchers de la région Nouvelle-Aquitaine, à trouver des solutions de financement pour des projets de constructions de serres et abris. Les maraîchers doivent veiller lors de la construction de serres au respect des normes par les fabricants. « Pour les arboriculteurs, cela passe par la mise en place de filets paragrêles capables de résister à des vents violents ou à d’importantes chutes de grêle. Ce qui suppose des installations solides, répondant là encore à des normes en vigueur et qui seront, de ce fait, d’autant plus facilement assurables et assurées », précise-t-il. Une partie de la mission d’Agri Abri Aquitaine est donc de travailler avec les fabricants de serres afin que ces dernières soient aux normes mais aussi avec les assureurs afin qu’ils continuent à les assurer. « En effet, avec le réchauffement climatique et la probable augmentation des aléas qui va avec, les assureurs sont de plus en plus sollicités et ont tendance à se retirer du marché de l’assurance des serres, soit parce qu’ils doivent faire face à des problèmes de réassurance, soit parce qu’ils ont des engagements en capital-risque déjà très importants dans des zones où il y a beaucoup de serres », explique Christophe Lacoste. Et de poursuivre : « dans le Sud-ouest, on arrive encore à faire assurer des outils potentiellement soumis aux tempêtes, qui sont le risque le plus grand dans cette région, avec certaines compagnies nationales. Mais cela devient plus difficile et elles concèdent bien souvent à assurer les serres que si l’agriculteur est un client fidèle de longue date et si celui-ci a tous ses contrats d’assurance au sein de la compagnie. Pour assurer uniquement des serres, il y a actuellement quelques compagnies plus présentes qui sont Pacifica, Hagelunie, une compagnie néerlandaise et une autre, allemande, Hortisecur. Je n’imagine pas encore le moment où aucun assureur ne voudra plus assurer une serre. Cela voudrait dire que l’on construirait moins de serres ou que les fonds de calamités agricoles publics seraient plus sollicités. Ce qui ne serait guère satisfaisant pour les finances publiques. Que chacun continue à faire son métier. Pour ma part, je n’arrêterai pas de prêcher qu’il faut construire des installations solides et aux normes afin de pouvoir résister aux événements climatiques, s’assurer et ainsi se protéger ».

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