UE/USA : deux visions sanitaires divergentes
La décontamination des carcasses de poulet est largement pratiquée aux États-Unis pour garantir la sécurité sanitaire des viandes. Les Européens privilégient une maîtrise des pathogènes à chaque maillon de la chaîne de production.

Le fameux « poulet chloré » est devenu le sujet emblématique des opposants européens à l’accord de libre-échange. Au-delà de la baisse des tarifs de douane, les négociations en cours portent aussi sur une harmonisation des normes. En matière de maîtrise sanitaire, les approches divergent entre les Européens et les Américains.
L’Europe s’est dotée depuis plusieurs années d’un arsenal réglementaire incluant des plans de surveillance et de lutte contre les pathogènes à chaque maillon de la filière, selon le principe de « la fourche à la fourchette» (paquet hygiène). Les autorités américaines concentrent plutôt leurs efforts sur l’aval de la chaîne de production, avec notamment la décontamination des carcasses à l’abattoir. Celle-ci est en général réalisée par trempage ou pulvérisation à l’aide de solutions chimiques (à base de chlore et de plus en plus d’acide péroxyacétique). Cette pratique, non autorisée en Europe (1), explique l’absence d’importations américaines sur nos marchés. « L’approche sanitaire européenne a montré son efficacité, en témoigne la 'succes story' du plan de lutte contre Salmonella en volailles», a relevé Sylvie Coulon, de la Direction générale de la santé de la Commission européenne, lors des dernières JRA (2).
Selon le rapport 2013 de l’Autorité européenne de sécurité des aliments, pratiquement tous les États membres ont atteint leurs objectifs de réduction. Les cas de salmonelloses chez l’homme baissent pour la huitième année consécutive. Par contre, les toxi-infections à Campylobacter progressent régulièrement en Europe. Pour leur part, les autorités américaines et les industriels peinent à trouver de nouvelles solutions pour réduire la contamination des viandes de volailles par Salmonella, qui infecte chaque année 1,2 million de personnes aux États-Unis. « Les dernières épidémies, dont celle de l’an dernier impliquant le sérotype Heidelberg, conduisent les industriels à augmenter les traitements chimiques en abattoir», indique l’étude.
La biosécurité davantage mise en avant en UE
Il est difficile de comparer l’efficacité des deux systèmes de maîtrise sanitaire. Les procédures de rappels de produits porteurs de salmonelles ou de notifications de cas humains ne sont pas identiques. «Il est tout de même possible d’estimer les niveaux de contamination, poursuit Jean-Yves Ferré, de la SNGTV. Les résultats en termes d’incidence de toxi-infections alimentaires sont nettement plus favorables en France qu’aux USA pour Salmonella et Campylobacter." À l’inverse, la moyenne européenne, plus élevée, cache une grande disparité entre États membres. Pour le vétérinaire, la sécurité alimentaire des aliments ne se limite plus à l’absence d’agents pathogènes sur les produits mais doit désormais tenir compte de l’émergence d’antibiorésistances. «Le travail de biosécurité en élevage est essentiel pour réduire la prévalence de pathogènes, limiter les antibiothérapies 'correctives' et le risque d’émergence de pathogènes résistants.»
(1) Seule l’utilisation de l’acide acétique pour réduire la contamination microbiologique de surface des carcasses bovine est autorisée en Europe, depuis 2013.
(2) Présentation aux JRA 2015 La qualité hygiénique des produits : vision américaine et européenne, par Sylvie Coulon, Jean-Yves Ferré et Gilles Salvat.
Pour en savoir plus, voir aussi article Echanges commerciaux USA-Europe : la crainte d'un raz-de-marée américain.
L’UE opposée à la décontamination chimique comme seule arme sanitaire
À la demande des USA, l’Agence européenne de sécurité des aliments (EFSA, l’équivalent de l’Anses en France) a publié le 26 mars 2014 un avis sur l’utilisation d’acide péroxyacétique pour décontaminer les carcasses de volailles. Il indique l’absence de toxicité humaine et un faible risque d’augmentation de l’émergence de résistances aux antimicrobiens. Toutefois, « cet avis repose sur des données américaines où les taux de prévalence sur les carcasses sont beaucoup plus élevés à l’entrée des abattoirs américains qu’européens, tempère Sylvie Coulon. La Commission Européenne n’a pour l’instant pris aucune décision pour autoriser ou non l’utilisation de ce décontaminant. La sécurité alimentaire est un objectif prioritaire de l’UE. Elle est opposée au recours à la décontamination chimique comme seule arme de maîtrise sanitaire. Celle-ci pourrait néanmoins être considérée comme un outil additionnel aux bonnes pratiques d’élevage.» Aucune décision n’est attendue avant plusieurs mois voire plusieurs années.