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Selon François Léger, « la coexistence des modèles agricoles est souhaitable»

François Léger, enseignant-chercheur, était l’un des invités des journées Agrobiosciences, tenues fin juillet à Marciac (32) et consacrées à la coexistence. Ces rencontres tentent de dessiner les contours d’une agriculture performante et plus lisible aux yeux du consommateur.

Ingénieur agronome et docteur en écologie, François Léger est enseignant chercheur à AgroParisTech et ingénieur de recherche au ministère de l’agriculture. Proche du terrain, il s’intéresse de près à l’agro-écologie abordée d’une manière pluridisciplinaire.
Ingénieur agronome et docteur en écologie, François Léger est enseignant chercheur à AgroParisTech et ingénieur de recherche au ministère de l’agriculture. Proche du terrain, il s’intéresse de près à l’agro-écologie abordée d’une manière pluridisciplinaire.
© X.Cresp

On parle beaucoup d’un manque de compétitivité agricole. Pour s’en sortir, faut-il adopter les systèmes productivistes de grande taille ?

François Léger-" Je ne suis pas très à l'aise avec ce mot « compétitivité ». Comment en parler sans désigner les concurrents ? On devrait plutôt parler de la capacité des entreprises à créer de la plus-value dans un univers concurrentiel mondialisé ; en se positionnant sur des marchés cohérents avec leurs atouts et contraintes propres. La fuite en avant consistant à ne raisonner qu'en termes d'accroissement des volumes est de plus en plus risquée. La filière avicole l’illustre bien : la production de poulets pour l'export est en grande difficulté ; celle du poulet fermier, adaptée au marché national voire régional, s’en sort visiblement beaucoup mieux. La logique de production adossée à la demande est certainement une voie à suivre, quitte à réduire quelquefois la voilure."

Dans ces conditions, les agriculteurs « médians » ont-ils un avenir?

F. L-« Les agriculteurs médians ont de moins en moins la possibilité de s'en sortir par des effets d'échelle. Ils doivent être plus intelligents dans leurs choix stratégiques pour trouver une alternative à l’agrandissement. Image d’une agriculture moderne, ni industrielle ni dépassée, ils incarnent l’esprit des exploitations dites familiales. Ils sont des producteurs, mais aussi les garants des espaces ruraux et de leurs écosystèmes, autant que d'un certain "fond culturel" français. Leur survie passe par leur capacité à être acteurs de leurs choix de système de production et de mise en marché. Ces choix seront ceux qui apportent la plus forte chance de garantir un seuil de revenu accepté et assurant la pérennité de l'entreprise dans un contexte de plus en plus incertain. Le poulet Label représente bien cette tendance. On raisonne en termes de qualité et de débouchés tout en conservant un prix plancher déterminé. »

La France agricole, notamment avicole, prend-elle le chemin de la dualité ?

F. L-« Si on réduit le débat à la dualité petits/gros, il restera 100 000 agriculteurs dans dix ans. Les très petites structures ne survivent que parce qu'elles on fait des choix : pluriactivité, transformation fermière, circuits courts etc. Ce qui pose problème aujourd'hui, c’est la survie des médians, à la croisée des chemins : s'agrandir à un coût de plus en plus élevé ou innover en raisonnant revenus, qualité, marchés. Dans ce cadre, il n'y a pas un modèle d'innovation unique mais certainement plusieurs. C'est en ce sens qu'on doit parler d'avenir pluriel, et pas dual. »

Qu’est-ce qui pourrait freiner ou éviter cette évolution ?

F. L-« L’enjeu, c’est comment être acteur de la construction de ses marchés. On peut y arriver tout seul dans son coin, mais c'est très difficile. Il faut reconstruire des alliances pour mieux valoriser les productions et chercher de vraies substitutions, ciblées. Le modèle d’excellence en France, c’est la coopération. À condition qu‘elle ne raisonne pas en considérant seulement l'efficacité des outils communs et en oubliant les coopérateurs, quand ce n'est pas sur leur dos.

Cette question des alliances ne doit pas se raisonner au niveau des seuls producteurs agricoles. À bien des égards, les entreprises artisanales, essentielles dans le tissu agroalimentaire français, connaissent les mêmes problèmes que les agriculteurs médians : grandir à un coût croissant et pour un bénéfice de plus en plus incertain, ou innover en raisonnant autrement. La reconstruction d'alliances équitables, à bénéfices partagés, est la condition de leur survie comme de celle des agriculteurs. »

Croyez-vous à l’effritement de l’agriculture « familiale » tant défendue par le passé par le syndicalisme et les politiques publiques ?

F. L-« Si l’ensemble des composantes de la filière agroalimentaire sait s’organiser et sortir des égoïsmes et des querelles de clochers, chacun peut trouver sa place, à condition d'élaborer des règles de répartition des plus-values équitables et bénéfiques à long terme pour chacun, tant dans la production que la transformation et la commercialisation. »

Pourquoi le bien être et l’environnement sont souvent ressentis comme des contraintes plutôt que des atouts ?

 

F. L-« Ils sont construits sur des normes conçues sur le modèle, « plus on est gros plus c’est facile ». Celles-ci devraient logiquement se différencier en fonction des types de systèmes de production, de taille, d’organisation, de méthodes. Cette spécificité française d’en rajouter, finit par masquer l’essentiel : ne pas déroger sur les fondamentaux. La tragédie serait l’uniformisation avec un devenir formaté de l’agriculture. Si le capital investi dans un élevage devient une question clé pour le revenu, les surcoûts liés aux normes doivent s’apprécier avec l’efficience du modèle. L’exemple du poulet sans antibiotique démontre la montée en puissance de l’information chez le consommateur, et l’arbitrage effectué entre producteurs et transformateurs pour coller aux nouvelles aspirations. »

Le modèle avicole hors-sol, utilisant du soja importé, vous semble-il durable ?

F. L-« Est-il rationnel d’importer du soja pour réexpédier de la volaille ? Sur le plan de l’économie mondiale, le poulet industriel n’a pas d’avenir en France. Sur le plan hexagonal, pourquoi pas, avec un retraitement des effluents. Au regard d’une critique très médiatisée de ce type d’élevage, du chemin reste à faire. Dans ce cas, autant créer des unités industrielles en zones portuaires … Mais pourrait-on encore parler d'agriculture ? »

 

L’agro-écologie, une mode ou un modèle viable à terme ?

F. L-« La pensée de nos sociétés modernes s'est fondée sur la volonté de s'abstraire de la nature et de ses dangers par la technique. On a voulu la chasser ; elle est revenue par la fenêtre avec les crises environnementales et le changement climatique. L’agro écologie survient dans ce moment-clef où nous prenons conscience que nous ne pouvons pas jouer contre la nature. On redécouvre la nature et l’agronomie, grâce aux liens entre l’écologie et les technologies de pointes. C’est une révolution des connaissances. Cette nouvelle alliance n’est pas une soumission. Elle permet de rebattre les cartes et concerne toute la Société. Le monde agricole français n’y échappe pas. Il doit même profiter de cette formidable opportunité pour retrouver son équilibre et sa place dans un univers multidimensionnel. »

 

L’agriculture écologiquement intensive, vous y croyez?

F. L-« On ne doit pas raisonner pas uniquement rendement. L’idée est de produire et d’entretenir, mais on ne peut pas maximiser les deux en même temps. Nous devrons trouver des arbitrages entre production et reproduction des services écosystémiques qui en constituent le support. Il s’agit d’inventer ce que j’appelle plutôt une « agriculture écologique à haute valeur économique. »

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