Plutôt que rester en position défensive, l’élevage aurait-il intérêt à attaquer ?
Elsa Delanoue - « Jusqu’à récemment, la stratégie de défense paraissait normale, puisque le modèle critiqué était en position de dominance. Et d’autant que ces 'attaques' venaient d’un monde extérieur à l’élevage. Aujourd’hui, il s’agit de communiquer et les filières sont en train de mettre en place une stratégie. La difficulté de cette contre-offensive est accrue par la difficulté à investir un terrain d’affrontement peu connu. Je veux parler des réseaux sociaux et du militantisme de terrain. Néanmoins, les lignes bougent par le biais d’initiatives personnelles. Des éleveurs parlent de leur quotidien sur YouTube. Pour eux, il s’agit d’être transparents et de montrer une réalité. »
L’éleveur qui ressent est-il plus crédible que l’expert qui rationalise ?
E. D. - « Effectivement, c’est la parole des éleveurs qui est la mieux entendue et jugée la plus crédible. Depuis une trentaine d’années, avec les grandes crises sanitaires, les filières et les experts ont totalement perdu la confiance des consommateurs, sauf l’agriculteur. Il est le mieux placé pour porter le message que le bien-être animal est pris en charge. Au même titre que la comptabilité, les éleveurs vont devoir apprendre un nouveau métier. La communication s’apprend en maîtrisant la technique et la forme. La formation d’éleveurs est déjà en cours et devrait se développer pour que tous puissent en parler à travers leurs mots. Chacun est un jour ou l’autre rattrapé par les questions sur le bien-être animal. Autant s’y être préparé. »
Faut-il chercher un consensus avec les opposants ou convaincre les consommateurs ?
E. D. - « Il est impossible de tarir une controverse soulevée par des mouvements convaincus que l’élevage est immoral ou non éthique. En revanche, on peut agir directement sur les citoyens-consommateurs. La majorité d’entre eux sont favorables à l’élevage, mais ils se disent inquiets par rapport aux pratiques dénoncées par les abolitionnistes et se trouvent mal informés. Ils veulent être rassurés pour continuer à consommer des produits animaux. Le fait que le consommateur se préoccupe encore de son alimentation est une source d’opportunités pour le secteur de l’élevage qui a besoin de retrouver une place dans la société. »
Quels arguments mettre en avant ?
E. D. - « Tout dépend de la cible ! Écoutons d’abord quelles sont les inquiétudes. Les arguments à marier et à varier sont de l’ordre du réglementaire, de la technique et de l’émotion. Respecter la réglementation, c’est la base. Or même si nous savons tous que les réglementations française et européenne sont les mieux disantes au monde, la portée de cette réponse peut être assez limitée. Expliquer les pratiques sous l’angle technique est aussi important en veillant à être compris facilement. Éviter le jargon professionnel du genre 'tarir une vache' ou 'poule élevée au sol'. Enfin, le registre émotionnel et affectif ne doit surtout pas être négligé, alors qu’il est plutôt dénigré dans le secteur agricole. Pourtant au quotidien, les éleveurs témoignent d’un lien fort avec leurs animaux, ils les observent, voire leur parlent. La plupart ont des anecdotes à raconter pour rassurer les consommateurs. Les gens adorent entendre ces histoires. »
Quelles sont les pratiques les plus critiquées ?
E. D. - « Il ne faut pas seulement dire qu’on fait bien, il faut le prouver et améliorer certaines pratiques. La société refuse catégoriquement tout ce qui peut faire souffrir l’animal. Si des alternatives existent (anesthésie par exemple), la pratique peut être comprise et acceptée par une partie des consommateurs, tandis que d’autres ne voudront pas des produits qui en sont issus. Nous sortons désormais du règne de la science et de la technique. La société demande à l’élevage de tenir plus compte d’une éthique et d’une morale à redéfinir. »
« Replacer l’élevage dans la société »