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Voir et toucher, pour mieux déguster

La dégustation est un exercice complexe, même pour les palais les plus avertis. Mais en mettant de côté le vocabulaire technique, la vue et le toucher permettent une autre approche du vin.

Pas moins de 216 pages ! Voici ce qu’il a fallu à l’auteur champenois Éric Glatre pour écrire son dictionnaire de la dégustation des vins. Autant dire que le champ sémantique est varié et complexe. Et que ce soit pour assembler des lots ou rédiger une contre-étiquette, les professionnels y perdent parfois leur latin. Ce qui amène les chercheurs à penser à d’autres modes de communication. « Certains raccourcis intellectuels sont assez osés, commente Jordi Ballester, maître de conférences à l’institut de la vigne et du vin de Dijon. Lorsqu’on évoque des tanins verts ou gras, il n’est pas du tout sûr que la personne en face de nous comprenne de quoi on parle. ». Le scientifique a travaillé sur la texture du vin. Un volet difficile à verbaliser, qui suscite parfois de nombreux débats lors des dégustations techniques. Pourtant les professionnels disposent de plusieurs champs lexicaux appropriés. Tels que les connotations corporelles (charnu, maigre…), les textiles (soyeux, velours…), les descriptifs physiques (dur, plat, mou…) ou encore, les qualificatifs géométriques (rond, anguleux…). Mais Jordi Ballester a voulu voir les choses différemment. En rapprochant la texture en bouche des sensations perçues au bout des doigts. Il a donc soumis un panel d’experts à un exercice plutôt atypique, en leur demandant de décrire des vins sans mots, en s’appuyant sur des planchettes. Lesquelles étaient recouvertes de différents matériaux (papier de verre, papier bulle, essuie-tout…), que les jurys pouvaient toucher à l’aveugle. Et le résultat est concluant. Quatre dimensions se distinguent de manière nette à la fin de la dégustation. Il s’agit des matériaux associés aux notions d’onctuosité, de fluidité, de fermeté et de rugosité. « Je verrais bien une petite mallette de matières, sous forme de livre ou d’éventail, observe Jordi Ballester. On pourrait l’utiliser pour déguster les vins. »

Un lien cérébral entre la vue et l’olfaction

Cette expérience prometteuse fait la lumière sur un sens souvent mis en retrait : le toucher. « Nous avons tenté de soumettre aux dégustateurs des images de ces matériaux, mais cela ne fonctionnait pas, regrette Stéphanie Marchand, maître de conférences à l’institut des sciences de la vigne et du vin (ISVV) de Bordeaux. Il n’y a pas de lien cérébral entre le toucher et le visuel. » À l’inverse, les travaux de Gil Morrot, à l’Inra de Montpellier, montrent que les cortex cérébraux liés aux perceptions olfactives et visuelles fonctionnent en simultané. Ainsi, quand l’un des deux s’active, l’autre suit. De leur côté, les thèses de Marie-Line Hamtat et Sophie Tempère, à Bordeaux, ont confirmé ce lien. « Il en est ressorti que les images facilitent la perception des odeurs », commente Stéphanie Marchand. Et c’est de ce constat qu’est né le projet ProGusto. Une application de dégustation dédiée aux professionnels et basée sur un imagier. « Nous nous sommes rendu compte de choses étonnantes, raconte la chercheuse. Dans certains cas, les dégustateurs associent davantage l’odeur à un objet ou un contexte qu’au produit en lui-même. C’est ce qui se passe avec le poivrier ou la râpe à muscade. » L’outil s’appuie sur cette base d’images, validée par les professionnels, pour accompagner la dégustation. Elle s’adresse à tous publics, des courtiers aux vignerons, en passant par les journalistes. Lorsqu’ils dégustent du jus ou du vin, les dégustateurs ont accès à l’imagier pour décrire les arômes au nez et en bouche. En allant du niveau le plus général (famille fruitée) vers le plus précis (citron, fraise…). « La dégustation peut être plus ou moins profonde, en fonction du temps qui lui est consacré », indique la chercheuse. Le côté visuel se retrouve aussi dans la structure des vins. « Les gens ont accès à des courbes pour définir la dynamique en bouche sur l’attaque, le milieu et la finale », poursuit-elle. À la fin, ProGusto offre la possibilité d’émettre des préconisations et de noter l’échantillon. « L’utilisateur peut exporter la fiche au format. pdf et au format Excel », assure Stéphanie Marchand. Exit donc les feuilles volantes et les notes éparpillées. « Il n’y avait pas d’outil de traçabilité sur les dégustations, observe la chercheuse. Ce qui complique parfois la communication. ProGusto répond à ce besoin. » En revanche, aucune donnée ne sera stockée sur un serveur. Et ce pour des raisons de sécurité. « C’est pour cela que l’outil sera payant. De l’ordre d’une vingtaine d’euros par an. » L’application devait être disponible sous Androïd cette fin mars.

Aussi simple qu’un glissement de doigts

Quant au grand public, il n’est pas en reste. Comme en témoigne le lancement de l’application Œnobook, gratuite et simple d’utilisation. Tout comme ProGusto, l’outil s’appuie sur le visuel pour plus de pédagogie. Il suffit de rechercher le vin dégusté dans la base, ou de lui créer une fiche. Le reste se fait d’un glissement de doigt. « Nous avons gardé les codes classiques de la dégustation », précise Cyril Issanchou, PDG d’Œnobook. En toute logique, la première étape consiste donc à évaluer la robe, à l’aide d’un nuancier. « La palette de couleur permet à chacun de se créer des référents colorimétriques », poursuit-il. Puis vient l’heure de décrire les arômes du vin. Pour cela, l’application propose un large cercle aromatique découpé en six grandes familles. Et comme sa consœur, Œnobook n’utilise que des visuels. Pour définir les catégories et réunir les images appropriées, les fondateurs d’Œnobook ont travaillé avec un panel d’experts de l’ESA d’Angers. « Ainsi, nous utilisons des fruits coupés plutôt que des fruits entiers, explique Cyril Issanchou. Car cette image est beaucoup plus évocatrice du parfum. » Il faut ensuite évaluer l’intensité de ces arômes. Mais là encore, hors de question d’utiliser des mots ou des systèmes d’échelle. Tout se fait par simple toucher. L’utilisateur fait bouger son doigt de l’image centrale vers les bords du cercle aromatique. Initialement ronde, la représentation graphique du vin se transforme alors en tâche, malléable à souhait. Last but not least, les dégustateurs doivent qualifier la structure en bouche. Ils disposent de trois indicateurs : l’acidité, le gras et les tanins. En jouant sur les curseurs respectifs, ils modifient l’apparence de la tâche. Celle-ci devient plus anguleuse, à mesure que le vin est perçu comme acide, ou s’empâte si le vin est jugé charpenté, avec beaucoup de tanins. Pour l’instant, l’application est orientée vers le grand public, mais elle devrait rapidement s’étendre au monde professionnel.

repères

Des applis pour déguster autrement

ProGusto est une application dédiée aux professionnels. Elle devrait être lancée sous Androïd d’ici mars 2017. Son prix devrait avoisiner 20 euros par an.

Œnobook se destine aujourd’hui au grand public, mais devrait s’étendre au monde professionnel sous peu. L’application est gratuite et disponible sur iPhone et sur Androïd.

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