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S’armer de patience hors cadre familial

La retraite approchant et étant sans repreneur, Alain Tramier, vigneron dans le Ventoux, a opté la vente de ses vignes à un jeune désireux de construire son domaine. La transmission a duré près de trois ans, avec de nombreux rebondissements.

À présent, Alain Tramier est prestataire et mentor d'Olivier Legranger.
© E. Brugvin

En fin de carrière, Alain Tramier, a fait ses comptes. Sa retraite devait lui rapporter 714 euros, celle de son épouse 640 euros. De plus, ce viticulteur en Ventoux, coopérateur et ancien président de cave n’avait pas de successeur pour reprendre ses 17 hectares, répartis entre les villages de Bédoin et de Caromb. « Mon fils n’était pas intéressé, explique-t-il. J’ai abandonné l’option du fermage car cela rapporte trop peu dans notre région, autant que le coût d’investissement pour maintenir le vignoble à niveau. Enfin, vendre à d’autres viticulteurs m’aurait permis de céder rapidement les plus belles parcelles. Mais les autres me seraient restées sur les bras. D’où ma décision de céder la totalité à un jeune. »

Plus d’un an avant de trouver un repreneur

En 2013, la difficile décision de vendre est définitivement prise. Alain Tramier en fait alors la publicité et en parle largement à ses connaissances, ses confrères, ses fournisseurs. Ce n’est qu’un an plus tard, lors d’un repas chez des amis, que l’un des convives le met en relation avec un autre invité, Xavier Vignon, à la recherche d’un domaine. Cet œnologue-conseil de Châteauneuf-du-Pape se dit prêt à reprendre toutes les vignes.

Mais Xavier Vignon, veut garder ses activités de conseil. Son statut le met en position défavorable pour défendre un dossier devant la Safer. Il décide alors de partager le projet avec un proche, Olivier Legranger, 28 ans aujourd’hui, prêt à devenir Jeune Agriculteur, un statut qui pèse avantageusement dans les décisions d’attribution de parcelles. Il possède un CV idéal : un BTS viti-oeno obtenu dans sa région à Avize près d’Épernay, une licence de commerce à Supagro Montpellier, 18 mois d’expérience dans la vinification en Australie, Nouvelle Zélande et aux États-Unis, des postes de maître de chais dans le Languedoc, le Gard et à Mont Redon en Châteauneuf-du-Pape, puis la vente de vins français à deux importateurs américains. « Ensemble, nous avons fait le tour des parcelles et nous avons vite sympathisé », précise Alain Tramier qui y trouve son compte. Il décide de céder la quasi-totalité de ses parcelles, mais de conserver 0,85 ha de vignes et 1 ha d’oliviers pour compléter ses revenus à la retraite. Il compte en effet tirer 4 000 euros par an de ses ventes de raisins à la coopérative et 12 500 euros de l’huile d’olive.

Patience et longueur de temps…

En 2015, de cette propriété éclatée, le Comité technique de la Safer ne laisse que 7 ha à Olivier Legranger. Le jeune agriculteur, dépité, obtient finalement de la Safer 1,5 ha supplémentaire de blanc et autant de vignes en mauvais état. La surface est trop faible. Xavier Vignon abandonne l’affaire. Mais il prend néanmoins une part minoritaire au capital du GFA. « Mon conseiller juridique m’a engagé à opter pour cette forme, adaptée à un nombre d’actionnaires important », précise Olivier Legranger. Grâce au soutien de cinq autres personnes de sa famille, emballées par le projet, les sept actionnaires rassemblent très rapidement 80 000 euros de capital. « Il restait encore un obstacle à franchir, assure Paul Joly, référent transmission à la chambre d’agriculture du Vaucluse, sollicité par Olivier Legranger. Le projet devait intéresser une banque. »

Le repreneur cherchait en effet 260 000 euros pour acquérir le foncier et 40 000 euros de trésorerie. Olivier Legranger sollicite cinq établissements et perd plus de huit mois avant d’obtenir un prêt sur 15 ans pour le foncier et d’un an sur la trésorerie, auprès d’une agence spécialisée de la BNP, à Châteauneuf-du-Pape. En attendant la réponse des banques, Alain Tramier part à la retraite le premier janvier 2016 alors que la vente n’est pas encore bouclée. Heureusement, la Safer loue alors les terres à Olivier Legranger qui les exploite. Cédant et repreneurs passent enfin chez le notaire en juillet 2016.

Le retraité endosse le rôle de maître d’apprentissage

Jusqu’alors responsable export et maître de chais, Olivier Legranger reconnaît ne disposer que de connaissances théoriques dans la conduite de la vigne. Alain Tramier décide encore de s’adapter à la situation et s’engage à assurer, le temps que son repreneur maîtrise bien son sujet, tous les travaux mécaniques dans les terres, « à un prix inférieur à ce que m’aurait coûté un prestataire extérieur », souligne le jeune vigneron. De même, le jeune retraité lui laisse pour l’instant gratuitement l’utilisation de ses remises.

Outre les travaux de la vigne, Alain Tramier, 67 ans aujourd’hui, endosse bénévolement le rôle de maître d’apprentissage très soucieux de transmettre dans les meilleures conditions des terres familiales héritées de plusieurs générations. Olivier Legranger peut compter sur les conseils, les coups de main et les coups de gueule amicaux d’Alain Tramier, passé du statut de cédant à celui de prestataire et de mentor.

Portrait d’un néo-viticulteur

En viticulture, une transaction sur cinq s’effectue hors cadre familial, par des personnes issues principalement de professions indépendantes ou de cadre. L’an dernier, 9 190 transactions ont permis à 15 580 hectares de vignes de changer de main pour 783 millions d’euros d’après la Safer. Les particuliers non agriculteurs réalisent 23 % des achats, contre 18 % treize ans plus tôt. D’après l’Observatoire économique des vignerons Indépendants, 21 % des repreneurs n’auraient pas d’ascendant direct dans l’agriculture. Près de 34 % étaient cadres dans le privé ou le public, 32 % travailleurs indépendants, 11 % employés, 8 % techniciens…

Les acquisitions par des jeunes hors cadre familial sont quasiment inexistantes dans les vignobles les plus chers. Les vignes en AOP s’échangent en moyenne à 140 600 euros/ha (avec des prix en baisse l’année dernière de 2,6 % en Champagne, en croissance 3,8 % hors Champagne) et à 13 400 euros/ha hors AOP (prix en hausse de 2,2 %). Pour conserver un tissu agricole d’indépendants, le Conseil départemental de la Gironde lance, par exemple, une formule de rachat des terres. L’institution devenue propriétaire, loue au repreneur le domaine pendant cinq ans et place les loyers. Ces sommes conservées deviendront l’apport personnel du viticulteur pour acheter définitivement son outil de travail. Partout en France, des chambres d’agriculture signent des conventions de partenariat avec la Safer pour améliorer l’accompagnement des repreneurs individuels.

Pour trouver un repreneur, plusieurs solutions s’offrent au cédant. En parler à son entourage, son banquier, son notaire, aux conseillers de la chambre d’agriculture, venir aux journées d’information organisées dans chaque département, prévenir la Safer, s’inscrire sur repertoireinstallation.com et autres plates-formes d’échange en ligne.

repères

2013 Alain Tramier décide de vendre son domaine

2014 Alain Tramier rencontre un premier acheteur intéressé, Xavier Vignon, mais qui ne répond pas aux critères de la Safer

2015 Alain Tramier rencontre un deuxième acheteur, Olivier Legranger, prêt à devenir jeune agriculteur qui dépose un dossier à la Safer et sollicite cinq banques. La Safer n’accorde qu’une partie du domaine.

2016 Le premier janvier, Alain Tramier part à la retraite, alors que la vente n’est toujours pas finalisée car un souci administratif avec une première banque retarde le projet. La Safer loue alors les terres attribuées au repreneur jusqu’en juillet, date de la vente effective

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