Le flux de sève pour guider l’irrigation
En Minervois, le domaine de l’Ostal Cazes, propriété des domaines Jean-Michel Cazes, irrigue au plus près des besoins de la plante grâce à l’enregistrement en continu du flux de sève, une technologie développée par Fruition Sciences.
Été 2010. “ Il faut irriguer la parcelle ! Il faut irriguer la parcelle ! ”, alertent Thibault Scholasch et Sébastien Payen, deux Français fondateurs de la société Fruition Sciences, depuis la Californie. Branché sur Skype, Fabrice Darmaillacq, directeur technique du domaine de l’Ostal Cazes, reçoit cette année-là les premiers conseils de Fruition Sciences par ordinateurs interposés. Le domaine vient tout juste d’équiper deux parcelles du vignoble de capteurs de flux de sève. 10 000 kilomètres séparent le domaine de Fruition Sciences dont le siège est, à cette époque, basé en Californie. L’alerte est sérieuse, les courbes enregistrées montrent un déficit hydrique qui s’accroît de jour en jour. Il y a urgence, la vigne est en souffrance, assurent les deux Français depuis la côte Ouest. Mais Fabrice Darmaillacq a du mal à y croire : il a beau chercher le plus petit signe de stress hydrique, la syrah d’IGP Oc semble se porter comme un charme… Le manque d’eau sur cette parcelle montrera que lorsque la syrah souffre trop de déficit hydrique, le profil de vin est affecté négativement même si les signes visuels de sécheresse sont absents. Ainsi, la vigne ne montre pas immédiatement qu’elle est en souffrance : c’est l’une des toutes premières connaissances que l’installation de Fruition Sciences apporte au domaine de l’Ostal Cazes. Une meilleure compréhension de l’influence climatique sur le régime hydrique de la plante est aussi amenée par cette technologie qui permet même de revoir certaines idées pré-conçues. Ainsi, en cette zone du minervois très ventée, les besoins en eau en été sont souvent plus importants par temps couvert et tramontane que lors d’une journée ensoleillée où souffle un vent marin.
L’expérience humaine indispensable
L’objectif de la stratégie d’irrigation proposée par Fruition Sciences est clairement qualitatif. “ Il ne s’agit pas de rechercher à augmenter le rendement mais bien de préserver une quantité et d’optimiser la qualité des raisins, explique Sébastien Payen. Le potentiel de rendement est déterminé à la véraison par la taille et les travaux en vert. L’apport d’eau intervient ensuite pour préserver ce volume potentiel et surtout obtenir un équilibre qualitatif des composants de la baie. ” Concrètement pour les IGP d’Oc de l’Ostal Cazes, l’irrigation a pour objectif la qualité du profil aromatique des vins pour un rendement de 50 hl/ha (bien loin du rendement de l’IGP qui est de 90 hl/ha).
L’apport d’eau est raisonné grâce à l’enregistrement du flux de sève qui permet de mesurer la quantité d’eau utilisée par la plante. Le capteur l’interroge pour savoir si elle a soif. Moins elle transpire, moins il y a d’eau dans le sol et plus la vigne a besoin d’eau. L’intérêt de la mesure est qu’elle ne se limite pas à l’état hydrique du sol mais est aussi le reflet des conditions climatiques : le facteur asséchant du vent est ainsi pris en compte, ce qui n’est pas le cas des capteurs hydriques placés dans le sol. Le relevé des mesures s’effectue de deux à trois fois par semaine par l’équipe de Fruition Sciences et est alors disponible sur l’ordinateur de Fabrice Darmaillacq. Ces relevés permettent de tracer des courbes de déficit hydrique “ que je peux consulter partout, ce qui me permet de prendre la décision d’irriguer en toutes circonstances ”, souligne Fabrice Darmaillacq. Cette décision fait largement appel à l’expérience du viticulteur car, pour l’instant, il n’existe pas de seuil défini a priori permettant de déclencher l’irrigation. Ce seuil dépend de nombreux facteurs comme les spécificités du terroir, la capacité d’utilisation d’eau par la plante qui diffère d’un cépage à l’autre, la surface foliaire. Mais l’expérience, l’Ostal Cazes l’a, notamment grâce à un coup de chance. Le millésime 2011 a été quasi idyllique en termes de chaleur et d’apport d’eau (les pluies estivales espacées de 15 jours ont notamment apporté la quantité d’eau correspondant aux besoins de la plante). Enregistrée par les capteurs, l’année 2011 fait ainsi référence pour déclencher l’apport d’eau les années suivantes. Elle conforte aussi les préconisations de Fruition Sciences concernant le volume et le rythme d’apport. “ Nous pensons qu’il ne faut pas réaliser des apports quotidiens de quelques millimètres d’eau : cela perturbe la vigne. Il vaut mieux simuler une bonne pluie, soit un apport d’environ 15 millimètres et l’espacer d’une quinzaine de jours ”, insiste Sébastien Payen. Ce temps permet à la plante de rééquilibrer son fonctionnement physiologique avant de boire à nouveau. “ Les relevés montrent que ces quinze millimètres sont entièrement consommés par la plante. Il n’y a quasiment pas de percolation ”, précise Sébastien Payen.
Un outil global de pilotage du vignoble
Le service proposé par Fruition Sciences ne s’arrête pas là. “ Nous cherchons à offrir un outil global de pilotage du vignoble ”, explique Sébastien Payen. Du coup, le logiciel propose des cartes de NDVI : indice de la vigueur de la vigne. “ Cela nous permet de réaliser certains travaux en intégrant la variabilité intra-parcellaire, notamment nous adaptons le chantier de vendange ”, explique Fabrice Darmaillacq. Sont aussi disponibles le suivi de températures (notamment sous forme de degré jour pour raisonner au plus près des besoins physiologiques de la plante) et des précipitations. Sont aussi consultables les analyses pétiolaires, analyses de maturité des baies… De quoi constituer une immense bibliothèque de données qui peuvent être analysées années après années. L’outil est complété en 2014 d’une interface sur tablette qui permet de réaliser la saisie de données sur le terrain. Fruition Sciences cherche ainsi à gérer et enregistrer au mieux les données techniques. “ Nous utilisons également les données de nos clients dans le cadre de notre recherche et développement. L’objectif final étant de comprendre très finement les besoins de la plante pour optimiser la production et la composition du fruit. Aujourd’hui, la stratégie d’irrigation se décide après que la contrainte est détectée. Demain, nous comptons anticiper les besoins et savoir à quel moment le déficit hydrique est bénéfique et à quel moment il faut l’éviter ”.
En clair L’installation des capteurs
Une parcelle reçoit deux capteurs placés sur deux pieds choisis en fonction de la valeur du NDVI et de l’expérience du vigneron. Les capteurs chauffent la plante et mesurent la vitesse de déplacement de la chaleur pour calculer le flux de la sève. Les mesures sont exportées dans un boîtier qui stocke les données. Le tout est alimenté par une batterie reliée à un panneau solaire. En Californie, les données sont envoyées par wifi en temps réel sur l’ordinateur du viticulteur. Le système ne fonctionne pas en France du fait d’une topographie et d’un cadastre parcellaire beaucoup plus complexe. Fruition Sciences fait donc elle-même les relevés. Il faut compter environ 3000 euros pour l’installation et le suivi d’un site.