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La lutte contre Drosophila suzukii s'organise

Depuis son apparition dans le vignoble français en 2014, Drosophila suzukii fait figure d'ennemi public n° 1. Tour d'horizon des différents moyens de lutte actuels et futurs contre ce ravageur potentiel de la vigne.

Plusieurs pièges existent déjà sur le marché, mais les attractifs actuels ne sont pas assez performants pour assurer une bonne efficacité.
Plusieurs pièges existent déjà sur le marché, mais les attractifs actuels ne sont pas assez performants pour assurer une bonne efficacité.
© DR

Drosophila suzukii a littéralement créé le buzz lors de la dernière campagne. Si nombre de viticulteurs ont fait le parallèle entre son apparition et l'attaque de pourriture acide, l'ensemble de la communauté scientifique est aujourd'hui unanime pour dire que cette pourriture était majoritairement imputable à un millésime compliqué. Malgré cela, des doutes subsistent. « J'ai un avis toujours partagé, avoue Florent Martinelli, viticulteur dans la Drôme. C'est vrai que l'année se prêtait à la pourriture acide. Mais tout de même, sur des grappes saines... ». L'année 2015 sera l'occasion d'en apprendre davantage sur le comportement de l'insecte vis-à-vis de la vigne, car « nous manquons cruellement de recul », comme le rappelle Bernard Molot, de l'IFV Rhône-Méditerranée. Des expérimentations sont prévues dans l'ensemble des régions viticoles françaises pour essayer de déterminer la place de ce potentiel ravageur, quelle importance lui accorder et comment lutter s'il y a lieu. Car il y a de fortes chances pour que D. suzukii soit, cette année encore, au rendez-vous. « La pression en début de saison était plus forte que l'an dernier », assure Benoît Dufaÿ, du domaine expérimental La Tapy, à Serres dans le Vaucluse. La forte population à l'automne 2014, couplée à un hiver peu rigoureux a donné lieu à un stock de drosophiles important au printemps. Les très fortes chaleurs du mois de juillet n'ont visiblement pas freiné l'insecte, dont le vol est resté régulier. La pression pour cette campagne est donc identique à celle de l'année dernière.

En attendant d'en savoir plus, les techniciens préconisent à ceux qui souhaitent d'ores et déjà se prémunir de mettre en oeuvre des mesures prophylactiques. Celles-ci sont d'ailleurs détaillées dans la note nationale BSV (Bulletin de santé du végétal) publiée en juin dernier. Il est, entre autres, conseillé d'aérer les grappes, car la ventilation limite les attaques et réduit l'activité larvaire, et d'éviter les blessures des baies, qui attirent généralement les mouches.

Les méthodes de biocontrôle sont encore à améliorer

S'il s'avérait que D. suzukii ravage effectivement le vignoble, les viticulteurs disposeraient de peu de solutions concrètes. En biocontrôle, les premières recherches se sont d'abord tournées vers le piégeage de masse. Plusieurs pièges existent déjà sur le marché (Droso-trap d'Andermatt, Moskisan-trap de Koppert, Maxitrap de Probodelt...), mais les attractifs actuels, composés de solutions nutritives ou bien de vinaigre et sucre, ne sont pas assez performants pour assurer une bonne efficacité. Le réservoir de population est souvent immense, et plus de cent pièges par hectare sont nécessaires pour obtenir un premier résultat.

Les filets sont une seconde piste de recherche, mais s'ils venaient à prouver leur efficacité, ils devraient encore être autorisés par l'Inao. Et l'on imagine déjà les contraintes techniques et financières que cela apporterait au vignoble (pour l'installation notamment).

D'autres essais portent sur la pulvérisation de poudres blanches (argiles, chaux, talc...) pour « camoufler » les raisins, car l'insecte est attiré par la couleur rouge. Mais les premiers résultats ne sont pas concluants. Le domaine expérimental de La Tapy mènera également des expérimentations cette année sur l'application d'huiles essentielles.

Mais la meilleure solution de biocontrôle viendra peut-être de la nature : l'insecte a de nombreux parasites ; de tout petits hyménoptères qui utilisent la pupe de D. suzukii pour élever leur progéniture. À l'Inra de Sophia Antipolis, les chercheurs ont été sollicités dès la fin de 2014 pour travailler sur le sujet. « L'Inra a pris le problème très au sérieux et a mobilisé beaucoup de personnes dans toute la France, explique Marcel Thaon, chercheur, mais il ne faut pas se leurrer, cela va prendre beaucoup de temps. Nous venons juste d'obtenir les autorisations, maintenant il va nous falloir chercher des parasitoïdes indigènes efficaces. Si nous n'en trouvons pas, nous irons vers les espèces exogènes. Il ne faut pas s'attendre à des résultats avant au moins cinq ans ». Une dernière solution de biocontrôle pourrait résider dans le lâcher de mâles stériles, ou « lutte autocide ». Ceux-ci entrent en concurrence avec les mâles sauvages et entraînent ainsi une baisse des populations. Cette technique a notamment permis l'éradication de la mouche du fruit aux États-Unis.

La lutte chimique est, dans l'état, peu adaptée

Pour ce qui est de la lutte chimique, trois molécules sont actuellement autorisées contre les mouches : la lambda cyhalothrine (Karaté), la deltamethrine (Decis) et le spinosad (Success 4). Ces produits, strictement adulticides, nécessitent un délai avant récolte (DAR) de 7 à 14 jours, ce qui est relativement long par rapport au cycle biologique de l'insecte. Toutefois, les arboriculteurs ont eu droit à une dérogation cette année réduisant le DAR du spinosad à trois jours au lieu de sept.
Deux autres molécules sont efficaces contre D. suzukii mais ne sont actuellement pas autorisées en vigne : le diméthoate et le phosmet. S'ils faisaient l'objet d'une autorisation, ces produits larvicides pourraient être utilisés en préventif et améliorer la protection du vignoble. Pour l'heure, il n'existe pas encore en France de stratégie de lutte phytosanitaire pour la vigne, mais des essais seront menés au cours de la campagne pour définir si elle présente un intérêt. En Allemagne, certains viticulteurs réalisent d'ores et déjà des applications, à l'aide de rampes de désherbage tournées vers le haut. Ils diminuent les doses de produit, ce qui leur permet de réaliser trois à quatre passages de spinosad avant la vendange.

Quoi qu'il en soit, il n'existe pas de solution miracle, et la clé, si les viticulteurs venaient à lutter contre D. suzukii, sera certainement la combinaison de plusieurs de ces techniques associées à des mesures prophylactiques...

 

 

« Tout porte à croire que les dégâts de 2014 en Alsace venaient de suzukii »

C'est l'avis de Jean-Philippe Becker, vigneron au domaine Becker, à Zellenberg (Haut-Rhin). « Malgré les dires des scientifiques, je reste persuadé, comme bon nombre de viticulteurs alsaciens, que D. suzukii a sa part de responsabilité dans nos pertes de récoltes en 2014, explique t-il. Il y a des éléments troublants : l'attaque a été plus importante sur les cépages rouges : elle a commencé sur les pinots noirs, puis sur les muscats noirs et ensuite sur les pinots gris. Plus déroutant, des pieds de muscats rouges au milieu de parcelles de raisins blancs ont eux seuls été touchés par la pourriture acide. Il y avait eu d'ailleurs quelques piqûres acétiques sur ces muscats en 2013, alors que l'année ne s'y prêtait pas. Et puis nous connaissons bien la grêle et ses effets, elle n'explique pas l'état sanitaire de la saison dernière. Pour moi, les techniciens n'ont pas relevé de D. suzukii sur les grappes pourries acides car elle perfore seulement la pellicule pour pondre et qu'ensuite c'est effectivement D. melanogaster qui s'installe. Je suis allé à des formations en Allemagne cet hiver. Pour eux et pour les Suisses, il n'y a aucun doute sur la nuisibilité de l'insecte sur la vigne. De l'autre côté du Rhin, ils ont traité et ont fait le plein... J'ai donc commencé à prendre mes dispositions pour cette année, en effeuillant la zone des grappes, comme le préconisent les techniciens. »

 


" Peu de pontes de Drosophila suzukii avérées"

Pour Bernard Molot, technicien à l'IFV Rhône-Méditerranée, " la présence de Drosophila suzukii au vignoble est avérée. Dès que l'on pose un piège dans une parcelle de vigne, on trouve des individus. Mais les dégâts qui lui sont imputés sont beaucoup plus flous. Les cas de ponte sur baie de raisin ayant pu être démontrés sont rares : seulement un à Bordeaux et un dans la vallée du Rhône. Lors de nos investigations, les drosophiles capturées sur les grappes atteintes de pourriture acide en 2014 étaient principalement les mouches habituelles, D. melanogaster, malgré la forte présence de D. suzukii au vignoble. "

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