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Intégrer les principes de la permaculture en vigne

Certains vignerons cherchent à appliquer les techniques de permaculture dans un contexte de production viticole. Rencontre avec des pionniers et consultants permacoles, pour décrypter une autre vision de la viticulture.

Une parcelle en permaculture au Mas de Lupéria, dans l'Hérault.
© A. Malard

" Ici, on ne laboure plus les vignes. On introduit les arbres ou les buissons autour et dans les parcelles, on développe les couverts végétaux, on plante en suivant les courbes de niveaux et on ajoute tout ce qui pourrait être indispensable pour limiter les intrants, pour favoriser la production de raisins authentiques et de vins les plus naturels possible. On observe et on développe la résilience ", résume Alain Malard, vigneron et consultant en permaculture.

Des principes mis en application au Mas de Lupéria, sa propriété viticole sur les hauteurs de Neffiès dans l’Hérault, qu’il a créé en permaculture sur près de 5 hectares. L’aménagement des parcelles a été organisé en conséquence avec des rangs de vigne qui suivent les courbes de niveau, des mares et des noues (fossés fermés), des haies plantées pour abriter la faune sauvage et une diversité dans les rangs de vignes qui accueillent selon un ordre établi des arbres et des plants de petits fruits.

Le design, la base d’une création en permaculture

Le design de la parcelle est en effet selon Alain Malard, " la base de la création d’un vignoble en permaculture ". La démarche permacole commence par une étude de la parcelle tant sur le plan topographique, hydrologique que sur le plan de la nature du sol ou encore de l’observation de la faune et de la flore présentes. " La permaculture est une approche globale où la vigne sera un des éléments du paysage ", explique Alain Malard.

" Les plantes à petits fruits, les arbres et les plantes aromatiques ou encore les couverts végétaux sont à la fois des éléments de production mais aussi d’apport de diversité et de biodiversité ", ajoute-t-il. La mise en place de mares et l’aménagement de noues permettra non seulement de stocker l’eau mais également de canaliser la faune et le gibier présents sur la parcelle. Et puisque dans la nature rien n’est droit, les vignes sont plantées selon des courbes de niveau pour mieux retenir les pluies de l’automne et du printemps.

Plusieurs fonctions pour chaque élément du paysage permacole

En permaculture, poursuit Alain Malard, " chaque élément du paysage a plusieurs fonctions, ce qui permet au vignoble ainsi organisé d’être équilibré, autonome, redondant et productif ". Les arbres vont ainsi participer à l’exploration et à la vie du sol avec des racines plus profondes que la vigne. Ils abritent une faune auxiliaire (oiseaux, chauves-souris) susceptible de réguler les ravageurs de la vigne et ils assurent une production de fruits, par exemple.

Le foisonnement de diversité et la génétique variée de la vigne (due à la sélection massale) empêchent même le mildiou et l’oïdium de s’installer, selon le viticulteur. " En 2018 je n’ai pas vu une seule tache sur la parcelle de Neffiès ", assure-t-il. Il faut dire que ce nouveau vignoble étant éloigné des zones viticoles existantes, la pression y est ainsi faible. " J’aurai probablement besoin d’avoir recours au cuivre et au soufre un jour, ajoute-t-il. Dans les parcelles de vignes permacoles que je suis, et qui sont dans des contextes viticoles plus denses, deux traitements sont nécessaires. "

Les couverts végétaux captent l’azote de l’air, fissurent le sol sur plusieurs mètres, permettent la mycorhization accélérée du sol et assurent ainsi la fertilité. Les ports droits du carignan et de la clairette, couplés à une taille en gobelet, permettent de s’affranchir du palissage.

La permaculture c’est aussi souvent l’expérimentation ", souligne le consultant, comme planter des légumes au pied des vignes ou encore introduire des poules au printemps pour manger les escargots ou des moutons à l’automne pour nettoyer les parcelles. " C’est une approche évolutive où l’on apprend chaque jour de la nature ", résume Alain Malard.

Un investissement humain important

Au niveau économique, la permaculture prend plus de temps, que ce soit pour la mise en place du vignoble ou pour l’intégration de techniques permacoles. " Tout est manuel, un tracteur ne pourrait même pas entrer dans la parcelle. L’investissement humain est donc important, bien que de nombreuses choses s’équilibrent et s’autogèrent. Au Mas de Lupéria, j’estime le coût de production à 3,50 € HT/bouteille ", observe Alain Malard. C’est aussi un investissement financier. Pour les 4,5 hectares qu’il a créés en permaculture, la dépense est estimée à 200 000 €.

Pour l’heure, ses premières productions (en 3e feuille) se situent à environ 10 hl/ha, mais son objectif est d’atteindre 50 hl/ha. " Avec nos 3200 pieds par hectares et en taillant un peu plus long, je pense que c’est réalisable ", estime-t-il. Ses bouteilles sont vendues en moyenne 10 € HT au départ du domaine, " pour que ce vin nature reste accessible à tous ". Ce qui ne l’empêche pas d’envisager quelques cuvées très sélectives à un prix beaucoup plus élevé pour " porter l’image qualitative des vins issus de vignobles conduits en permaculture ".

Alain Malard et son fils Camille ont également introduit les techniques permacoles sur l’autre vignoble qu’ils exploitent depuis 2017, le Clos Sainte-Pauline dans l’Hérault. En tant que consultant, Alain Malard œuvre à la mise en place de quatre projets de permaculture en viticulture dans l’Hérault (Domaine Allégria), en Corrèze (Domaine Saint-Bazille-de-la Roche), en Gironde et dans le Vaucluse (Clos Saint Michel).

Témoignages : Delphine et Benoît Vinet, Domaine Émile Grelier en Gironde

" Organiser la diversité, favoriser la biodiversité, penser complémentarité "

" La vigne est une monoculture et dès notre installation en 2003, nous avons eu la volonté de rétablir les équilibres environnementaux en favorisant la diversité et la biodiversité. À partir de 2008, nous avons décidé de planter des arbres fruitiers et des feuillus dans nos parcelles de vignes. Une démarche d’agroforesterie à la base, mais déjà orientée permaculture avec pour objectif de casser les vents dominants, de créer des corridors écologiques, de développer des systèmes racinaires plus profonds mais aussi d’avoir une production diversifiée avec une récolte de fruits.

Au final, entre 2008 et 2019, avec le soutien de nombreuses organisations liées à l’environnement, nous avons planté plus de 560 arbres et 448 mètres de haies, mis en place 50 nichoirs pour les prédateurs d’insectes, 10 gîtes à chauve-souris qui nous permettent de réguler les vers de la grappe et nous avons créé 6 mares qui pour que les animaux s’abreuvent tout en favorisant la biodiversité. Notre sol n’est plus labouré mais recouvert de mélanges de légumineuses, condimentaires et mellifères.

Dans nos parcelles ainsi organisées, nous ne pensons plus concurrence mais complémentarité aux côtés de la vigne, les arbres fruitiers nous offrent une production, les couverts végétaux favorisent le développement des vers de terre, les arbres sont des relais pour les oiseaux… Aujourd’hui, ce sont plus de 54 espèces différentes d’oiseaux qui sont référencées sur le vignoble. Ce nouvel équilibre nous permet de produire un vin naturel, gourmand, délicat, harmonieux et équilibré (50 000 bouteilles par an) très apprécié des cavistes, restaurateurs et épiceries fines, à un prix accessible entre 10 et 12 €. "

aller plus loin

Un livre Introduction à la permaculture de Bill Mollison, tomes I et II

Un groupe Facebook Vins, Vignes et Permaculture

Un lieu pour échanger Le domaine de la Chapelle à Preignac en Gironde, où était organisé les 4 et 5 avril derniers un colloque sur le thème Permaculture et Biodiversité, domaine-de-la-chapelle.org

Aux origines de la permaculture

Le premier agriculteur qui a mis en place des techniques permacoles était un paysan australien dans les années 1940 car il avait constaté que la pluie ne tombait pas au bon moment pour ses céréales. Il a alors travaillé ses parcelles selon des courbes de niveau, implanté des arbres… et en quelques années il a doublé ses récoltes. Bill Mollison et David Holmgren, deux auteurs australiens ont développé plus tard cette notion de permaculture ou agriculture permanente qui avait été évoquée par ailleurs par un japonais Masnobu Fukuoka et sa philosophe de l’agriculture sauvage ou de l’agriculture du non agir.

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