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Désalcoolisation, les levures dévoilent leurs atouts

Certaines levures permettent de produire des vins moins alcoolisés. Lumière sur ces approches de désalcoolisation microbiologique.

À l’heure où les consommateurs plébiscitent les vins plus légers et moins alcooleux, la désalcoolisation est plus que jamais sur le devant de la scène. Et dans les chais, les osmoseurs pourraient bien céder leur place à… des levures ! Plusieurs firmes travaillent en effet sur des procédés microbiologiques visant à réduire les teneurs en alcool. « La filière est toujours demandeuse de levures à moindre rendement alcoolique, souligne Jean-Marie Sablayrolles, directeur de l’unité des sciences pour l’œnologie à l’Inra de Montpellier. Les vignerons y voient des méthodes plus simples à mettre en œuvre et, a priori, moins chères que les traitements physiques. » Chez AEB comme chez CHR Hansen, les experts ont orienté leurs travaux vers une souche de Kluyveromyces thermotolerans. Ce micro-organisme est capable de dégrader les sucres pour produire de l’acide lactique en lieu et place de l’éthanol. « Même s’il est difficile de donner une fourchette précise, on estime que la baisse peut aller jusqu’à un degré », souligne Nicolas Prost, œnologue au sein de la société CHR Hansen. Il s’agit là d’une nouvelle approche œnologique pour Arnaud Delaherche, du groupe AEB. « Une souche de Saccharomyces cerevisiae consomme 16 à 17 grammes de sucres pour produire 1 % d’alcool. Or ce ratio est très difficile à modifier. L’utilisation de souches non-Saccharomyces devient dès lors très intéressante », affirme-t-il.

Des souches à moindre rendement alcoolique

En revanche, mieux vaut anticiper l’impact organoleptique d’une telle méthode. « Il y a production d’acide lactique bien sûr, mais aussi de composés secondaires qui, globalement, manquent de finesse », souligne Éric Meistermann, de l’IFV de Colmar. Il conseille d’ailleurs d’assembler les lots obtenus. Nicolas Prost pointe de son côté une augmentation de certains esters tels que l’acétate d’isoamyle (arômes de bonbon anglais). « Pour une année comme 2016 avec des teneurs en acide malique très basses, cela peut également rééquilibrer les vins », avance l’œnologue. D’ailleurs, si AEB poursuit ses expérimentations, CHR Hansen commercialise d’ores et déjà sa levure sous le nom de Concerto.

De son côté, l’Inra travaille également sur la réduction des teneurs en alcool par voie biologique. Cependant, les chercheurs concentrent leurs travaux sur les souches de Saccharomyces cerevisiae. L’objectif étant d’abaisser leur rendement alcoolique sans pour autant avoir recours aux OGM. « L’idéal serait d’arriver à dévier le métabolisme des levures afin qu’elles utilisent des atomes de carbone supplémentaires. Elles pourraient ainsi produire du CO2 à la place de l’éthanol », explique Jean-Marie Sablayrolles. La piste a d’ailleurs été creusée mais les résultats jugés insatisfaisants. « Dans le meilleur des cas, nous n’arrivions qu’à 0,2 degré de moins », précise-t-il. En revanche, les travaux menés en partenariat avec la société Lallemand sur la sélection par évolution dirigée (1) portent leurs fruits. La levure Ionys, à faible rendement en alcool, vient tout juste d’obtenir une citation au palmarès du Vinitech-Sifel. Commercialisée par l’IOC, cette souche devrait permettre de vinifier des vins rouges avec une différence de degré comprise entre 0,4 et 0,8 % vol.

Désucrer le moût par respiration des levures

À l’IFV, Philippe Cottereau s’interroge quant à lui sur les limites de tels modes d’action. « Si l’on veut aller vers des baisses de degré plus importantes, il faut pouvoir aller plus loin, ce qui passe par des procédés plus complexes », souligne-t-il. C’est ce que testent la société toulousaine AB7 industries et le pôle sud-ouest de l’IFV. Il s’agit de désucrer une partie du moût en faisant respirer les levures au sein d’un fermenteur. « Ainsi, les Saccharomyces vont consommer les sucres pour produire, non pas de l’éthanol, mais de la biomasse », indique René Chelle, PDG d’AB7 industries. En théorie, cette méthode pourrait entraîner des baisses de deux à trois degrés. « Cela s’adresse aux vignerons qui veulent moins d’alcool mais aussi à tous ceux qui veulent diminuer la concentration en sucres des moûts pour faciliter la fermentation », explique François Davaux, responsable du projet à l’IFV. Les recherches se poursuivent avec de premiers essais en cave prévus pour 2016. « Ce qui va nous permettre d’évaluer l’impact organoleptique du traitement », poursuit François Davaux. En termes d’équipement, les vinificateurs devront investir dans des fermenteurs équipés de capteurs spécifiques, pour gérer la température ou la nutrition azotée. Ce type de matériel reste encore difficile à budgétiser. Malgré tout, le procédé demeure contraignant aux yeux de Jean-Marie Sablayrolles. « Il faut être capable d’apporter des quantités d’oxygène très importantes tout en évitant les accumulations de sucres, afin de laisser les levures respirer. Les producteurs de biomasse savent très bien le faire mais c’est un autre métier », estime-t-il. Quoi qu’il en soit, les démarches auprès de l’OIV devraient être engagées au printemps 2017.

(1) Voir Réussir Vigne n° 225, janvier 2016, page 26

Témoignage

« Une baisse de l’ordre de 0,5 degré »

« Nous avons commencé à utiliser la levure Concerto à des fins de bioprotection, sur des syrahs et des grenaches rentrés avec un taux d’alcool potentiel de 15 degrés. En fin de fermentation, nous avons eu la bonne surprise de constater une baisse de l’ordre de 0,5 degré. Nous avons d’abord cru à une erreur de mesure puis nous nous sommes rendu compte que c’était en fait dû à l’action de Concerto. Et cela tombait très bien car aujourd’hui nos consommateurs recherchent des vins renfermant moins d’alcool. En dehors de ça, la souche n’a pas impacté les arômes de manière significative. En revanche, nous avons observé une hausse de l’acidité totale. Mais chez nous, ce n’est pas dérangeant, au contraire, cela nous permet d’acquérir davantage de fraîcheur. Cependant, l’utilisation de Concerto reste contraignante. Il faut absolument utiliser de l’eau minérale ou de l’eau de source à 25 °C pour la réhydratation du levain. Bien sûr, l’usage de SO2 est proscrit, nous inertons donc au CO2 ou à la carboglace pour protéger les moûts. Cette méthode nous permet d’obtenir des vins plus faciles à boire et plus vendeurs. Nous comptons réutiliser la levure Concerto cette année, non plus en bioprotection mais bien pour réduire les teneurs en alcool. »

en pratique

L’utilisation de levures non-Saccharomyces requiert un protocole précis. Les populations doivent être réhydratées dans une eau non chlorée, entre 20 et 25 °C. Nicolas Prost recommande un ensemencement précoce, sur benne, à l’éraflage ou à l’encuvage, entre 25 et 40 g/hl. Les Saccharomyces cerevisiae peuvent être implantées deux à quatre jours plus tard en vue de lancer la fermentation alcoolique.

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