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"Une tranche de vie consacrée à la santé du porc"

En 1977, François Madec intégrait la toute jeune « station de pathologie porcine de Ploufragan »(1). Sous-directeur du laboratoire, responsable du secteur porcin depuis 1996, il fait valoir ses droits à la retraite et nous délivre des messages forts sur la production porcine et la recherche.

© cg

En 1977, diplômé de l’Ecole nationale supérieure d’agronomie de Rennes, vous êtes recruté par Jean- Pierre Tillon, alors directeur de la Station de pathologie porcine de Ploufragan. Quel poste occupiez- vous ?

J’ai effectivement rejoint en tant que stagiaire la Station qui faisait ses premiers pas en 1974. Puis, en 1977, j’ai intégré l’équipe en place afin que soit constitué un « trépied » scientifique, avec Philippe Vannier en virologie, Marylène Kobisch en bactériologie et moi-même en épidémiologie. Les installations expérimentales étaient pilotées par R. Cariolet. Une problématique de l’époque consistait en des troubles de la reproduction des truies et de survie des porcelets: avortements en série, infertilité, diarrhée du porcelet... autant de symptômes que les animaux ne manifestaient plus dès lors qu’ils étaient transférés dans nos installations de Ploufragan. C’était bien la preuve qu’au-delà des contaminants, la composante « élevage », donc la zootechnie devait être prise en compte au même titre que la virologie ou la bactériologie. Depuis, nous avons toujours travaillé dans le même état d’esprit, en plaçant nos projecteurs à la fois sur les contaminants et sur les conditions de leur expression délétère, en élevage.

Les sujets de recherche se sont enchaînés en étroite relation avec les professionnels.

Depuis 1974, la profession a en effet dû faire face à beaucoup de problèmes sanitaires ayant une cible et un impact divers . Certains ont pu être éradiqués – peste porcine classique, Aujezsky... Pour d’au- tres, les choses se sont avérées bien plus complexes. Je pense tout spécialement à l’apparition de la MAP qui reste dans ma mémoire une période particulièrement difficile. Car au-delà des animaux, de la mortalité en élevage, il y avait des hommes et des femmes qui souffraient terriblement. Nous étions le dos au mur, nous ignorions tout de la maladie et du pathogène associé. Heureusement, la mobilisation de tous nous a permis d’avancer. La confiance des responsables des groupements de producteurs et des coopératives, ainsi que la participation à nos investigations d’éleveurs volontaires... nous ont permis de progresser rapidement dans la compréhension du phénomène : pourquoi les porcelets placés à la station dès le sevrage ne développaient-ils pas de symptômes aussi violents qu’en élevage de production ? Je tiens aussi à saluer tous les chercheurs de la station qui, en dépit des travaux programmés et qu’ils avaient à mener, se sont mobilisés en cette situation de crise. Je pense que, si nous avons pu effectivement jouer notre rôle, c’est parce que nous étions à même de disposer sur place à la fois des moyens expérimentaux, des compétences scientifiques, et la confiance des professionnels du porc: éleveurs, techniciens, vétérinaires. Je formule le vœu que ces trois conditions restent réunies afin que la recherche vétérinaire à Ploufragan puisse poursuivre efficacement ses missions, au contact des faits et au bénéfice de tous.

Vous avez aussi été expert européen dans le dossier du bien-être du porc.

En effet, entre 1990 et 2004, j’ai participé en tant qu’expert à des groupes de travail de l’UE et de l’EFSA. C’était une phase intéressante de ma carrière mais souvent délicate. Je me suis heurté à des collè- gues dont la position était avant tout de donner au porc les moyens de satisfaire le répertoire comportemental naturel de l’espèce. Je propo- sais de plutôt caractériser le « mal-être » des animaux en intégrant les aspects de souffrance manifeste, de santé en général voire de perfor- mances...

Quels messages feriez-vous passer aujourd’hui aux éleveurs ?

Je dirais d’abord aux éleveurs qu’ils doivent continuer à être de très bons animaliers et des managers attentifs, prenant soin de leurs animaux et du milieu dans lequel ils les placent. La mécanisation ne doit pas éloigner l’éleveur de l’animal. J’encourage aussi les éleveurs à s’ouvrir sur le monde qui les entoure ; rester, comme ils le sont déjà, curieux, ne pas s’enfermer dans le microcosme de l’élevage porcin. Et plus globalement, penser l’agriculture dans sa multifonctionnalité. Certes, la finalité est de produire pour alimenter les hommes et bien sûr en tirer un revenu. Mais l’agriculture doit aussi être soucieuse de l’environnement, de la qualité et de la salubrité des denrées produites... L’équation est compliquée. Il faut être proactif, se projeter dans futur, anticiper, ne pas attendre que des textes «tombent » et alors subir les règlements comme autant de contraintes.

Et concernant l’avenir de la recherche ?

D’une manière générale, il faut veiller à placer l’éthique dans les programmes de recherche. Je pense particulièrement au domaine de la génétique où les perspectives sont immenses et où des dérives ne sont pas à exclure. Je voudrais faire référence aux « déclarations » qui ont été adoptées à la 10e Conférence mondiale des sciences animales qui s’est tenue au Cap, en Afrique du Sud, fin 2008 (2). Les principes retenus sont, brièvement, les suivants : les productions animales sont réalisées pour le bien-être de la population, dans le respect de la dignité humaine, avec des animaux qui sont des êtres sensibles. Elles doivent donc être réalisées d’une façon moralement justifiable, dans le souci de l’impact qu’elles peuvent avoir sur l’environnement.

Enfin, j’adhère au slogan largement mis en relief par les organisations intergouvernementales (OIE, OMS...) : « One World, One Health ». Les relations étroites entre l’homme et l’animal amènent à considérer la santé animale comme un bien public. Plus généralement, la sécurité sanitaire doit-être appréhendée, dans une perspective globale et transversale, intégrant santé humaine, animale, végétale, mais aussi santé des écosystèmes.

(1) Entité d’un ensemble national devenu CNEVA, puis AFSSA, puis ANSES.

(2) Livestock Science vol 130 (2010).

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