Aller au contenu principal

L’Europe en quête de nouvelles solutions au lisier

Le service environnement de Cooperl a organisé une matinée d’information le 13 septembre à Rennes. Des spécialistes des principaux bassins porcins européens ont dressé l’état des lieux de leur pays et les solutions en place ou à venir pour gérer la problématique du lisier.

Pays-Bas Le casse-tête du phosphore (ou 48 000 tonnes de phosphate à écouler)

Kees Kros, spécialiste au LTO (1) annonce les chiffres qui posent le problème des Pays-Bas : les productions animales « excrètent » annuellement 178 000 tonnes de P2O5. Sachant que l’épandage en « consomme » 130 000 tonnes conformément à la réglementation en vigueur, l’excédent est de 48 000 tonnes de P2O5. Un casse-tête, d’autant qu’une nouvelle loi à l’étude prévoit tout simplement d’obliger les éleveurs à traiter le lisier, l’objectif étant de parvenir à l’équilibre national… et donc trouver un débouché à ces milliers de tonnes de P2O5.

En attendant, les producteurs n’ont souvent d’autre issue que d’« exporter » leur lisier. Kees Kros annonce que, aujourd’hui, la moitié du lisier total et 90 % du lisier de porcs est épandu chez des tiers, et une partie non négligeable (et croissante) est acheminée chez les voisins européens. En 2015, environ 37000 tonnes de P2O5 issus de séparation de phase ont passé la frontière, dont 22 000 tonnes en Allemagne, 8 000 tonnes en France et le reste essentiellement en Belgique. Avec, évidemment, des coûts considérables. Le spécialiste annonce que les frais engendrés par la gestion du lisier sont en moyenne de 0,07 € par kilo de carcasse (source www.nvv.nl) en 2016 contre 0,02 € en France ou en Allemagne, selon lui. « En ajoutant les frais liés aux contraintes environnementales (0,19 €/kg de carcasse), le coût total serait de 58 000 euros par an et par élevage…"

Retrouver le lien au sol

Les autorités néerlandaises ont donc projeté une meilleure organisation, « où le déchet deviendrait ressource ». Avec un cycle somme toute bien « classique » : élevage-lisier-épandage-récolte… Une économie circulaire qui privilégierait les déjections animales aux fertilisants chimiques.

Les nouveaux développements annoncés pour atteindre cet objectif consistent essentiellement à améliorer l’efficacité des procédés en place dans le pays : séparation de phase par presse ou centrifugation, traitement biologique, osmose inverse, compostage, méthanisation, déshydratation… avec des solutions « à la ferme » ou mobiles. Mais aussi des procédés à inventer pour, selon Kees Kros, « extraire du lisier des nutriments d’intérêt qui seraient utilisés dans la fabrication de bio plastiques, mais aussi avec des applications médicales et la confection… de vêtements ». Kees Kros prévient qu’avec ces solutions, les coûts engendrés par la production de lisier vont rester élevés, mais stables. Et que « le futur est complexe, mais prometteur ! ».

Flandres L’azote doit être traité et exporté

Avec une production annuelle de 6,3 millions de porcs, 31 millions de volailles, 1,3 million de bovins, et 674 000 ha de terres épandables, les Flandres se trouvent face à un excédent de lisier générant 43 000 tonnes d’azote et 18 000 tonnes de phosphore pour lesquels un autre débouché que l’épandage a dû être trouvé.

Emilie Snauwaert, experte à VCM (1), centre flamand de coordination pour le traitement du lisier, détaille la gestion qui est faite en Flandres. La première solution a été de développer le transport du lisier vers des zones à moins forte densité animale. Sur ce territoire, et vers le sud-ouest des Pays-Bas où existe une dérogation, le lisier brut peut être transporté, avec un coût de 4 €/tonne pour des transports de proximité à 10 €/tonne sur de plus longues distances. En revanche, pour les autres pays potentiellement preneurs, en particulier le Nord de la France, pour des raisons sanitaires, le lisier doit être pasteurisé pour passer la frontière (1 h à 70 °C). Les lisiers de volaille n’ayant pas cette obligation, ce sont eux qui sont exportés par les Flamands. Il reste donc une quantité importante de lisier de porcs pour laquelle d’autres solutions (moins onéreuses que la pasteurisation et le transport hors frontières) ont dû être développées. Emilie Snauwaert explique que c’est avant tout le traitement biologique (nitrification/dénitrification) qui s’est imposé depuis l’obligation de traiter (2007). Aujourd’hui, pour 4,3 millions de tonnes de lisier de porcs produits, 92 installations fonctionnent en Flandres, essentiellement des systèmes collectifs. Mais des installations dimensionnées « à la ferme » (8 000 m3) seraient en cours de développement. La région compte cependant 11 sites de pasteurisation de la fraction solide du lisier en vue de son exportation. Le procédé le plus commun est le compostage suivi d’un séchage et d’une granulation, l’ensemble coûtant environ 17 €/tonne.

Des recherches sont en cours pour trouver des alternatives, en particulier à l’échelle de l’élevage. Un procédé nouveau de pasteurisation est à l’étude pour équiper des élevages voisins de la frontière française qui, ainsi équipés, pourraient exporter leur lisier pasteurisé.

Les Flamands travaillent sur d’autres solutions dont la « culture » d’insectes sur lisier avec un double objectif : réduire le volume et la concentration en nutriments du lisier, et produire des larves riches en graisses et protéines pour un usage industriel (pas de food ni de feed !). Un procédé pilote est installé dans un élevage, et les résultats seraient disponibles à la fin de cette année.

(1) Vlaams Coördinatcentrum Mestverwerking

Allemagne Le triple défi des nitrates, de l’ammoniac et du bien-être animal

La situation allemande est d’autant plus complexe que chaque « Land » (province) possède sa propre réglementation. Les régions à forte activité d’élevage, au nord-ouest, doivent composer avec plusieurs problématiques. La teneur en nitrate des eaux, tout d’abord, liée bien entendu à une production intensive, mais aussi à de faibles capacités d’absorption des sols (sableux, argileux…). Christian Auinger, de l’entreprise Schaueur explique que la méthanisation a aujourd’hui perdu de son intérêt. Le nombre d’installations avait explosé ces dernières années, passant de 1 000 unités en 2005 à plus de 8 000 en 2015. Mais le spécialiste témoigne que, aujourd’hui, sans subventions, et sachant que le prix de la terre s’est envolé (8 000 à 10 000 €/ha), les nouvelles installations ne peuvent plus être rentables.

Les producteurs de porcs doivent aussi faire face à de fortes pressions pour limiter la production d’ammoniac dans l’air. Les laveurs d’air équipent donc les porcheries dans quatre régions les plus denses en élevages (leur installation étant obligatoire pour tout élevage de plus de 2000 places). Et le gouvernement serait sur le point de généraliser cette obligation dès le début 2017. Le coût annoncé par Christian Auinger serait de 5 à 7 euros par porc.

Il témoigne par ailleurs d’une évolution forte de la demande sociétale, réclamant davantage de mesures de protection des animaux. La demande des abattoirs va dans ce sens, et Christian Auinger prévoit que dans un dizaine d’année, l’élevage « conventionnel » passera de 98 % de la production à 65 %, tandis que 30 % des porcs produits le seront sous un signe de qualité « welfare ».

Pour répondre à cette triple problématique, les Allemands envisagent des systèmes de production radicalement différents des modèles existants, à l’image de la porcherie « Schauer » présentée à Eurotier. Avec 1,1 m2 par porc, une partie paillée, des sols pleins et caillebotis sous le même toit, sans ventilation ni chauffage, ce type d’élevage est actuellement en test. Si le coût de la construction dépasse celui d’un élevage conventionnel, des primes plus importantes apportées par le gouvernement permettraient de la rendre compétitive.

Espagne Des réglementations en vigueur, mais peu de contrôle…

Jaume Boixadera, du département de l’agriculture de Catalogne, pose ainsi la problématique du lisier en Espagne : environ 50 % de la production nationale de porcs et de volaille est concentrée en Catalogne et en Aragon. Ce qui explique que 50 % des 3,2 millions de tonnes de lisier et des 95 000 tonnes d’azote soient produites dans ces deux provinces… Il précise que la majorité du lisier est utilisé comme fertilisant dans un rayon de quelques kilomètres, avec des coûts de 2 à 3 €/t, « les productions agricoles variées de ces régions ayant des besoins différents de fertilisants ». Toutefois, environ 5 000 t d’azote sont exportées chaque année sur de plus longues distances (pour un coût supérieur à 12 €/tonne de lisier transporté). Mais les deux régions doivent avoir aussi recours au traitement, avec des installations collectives. Elles compteraient 23 usines de compostage (270 000 t/an) et six unités de traitement biologique (110 000 t/an), ainsi qu’une seule unité de méthanisation. Des installations à l’échelle de l’élevage existent aussi : une vingtaine de stations biologiques, et des unités de compostage.

Le problème est le suivant : si ces unités existent, rien ne dit qu’elles fonctionnent. Et les contrôles seraient quasi inexistants. Or la crise économique qui a frappé l’Espagne a mis un terme aux subventions gouvernementales qui assuraient l’équilibre de ces structures de traitement. Qu’en est-il aujourd’hui alors que sans ces aides de l’État, aucune ne peut s’équilibrer ? Jaume Boixadera ne cache pas ses doutes sur la gestion actuelle des lisiers. Et explique que l’organisation intégrée de la production (62 %) constitue un obstacle à la protection de l’environnement : 77 % des élevages de porcs sont des engraisseurs, rémunérés à la tête par les intégrateurs, et incapables de répercuter financièrement des surcoûts environnementaux dans l’état actuel des contrats qui les lient aux intégrateurs. « Alors, même si nous pouvons nous targuer d’une réglementation en place, encore faudrait-il qu’elle soit appliquée et contrôlée. Ce qui n’est pas le cas… » C’est un membre du ministère qui le dit…

Les plus lus

éleveur de porcs en maternité
« Des performances exceptionnelles avec la nouvelle maternité de notre élevage de porcs »

Vincent et Roger Prat atteignent des niveaux de performance très élevés depuis la mise en service de leur nouveau bloc…

porcs en engraissement
Comment rénover les engraissements des élevages de porcs avec des grandes cases?
Les grands groupes semblent séduire de plus en plus d’éleveurs dans le cadre d’une rénovation de bâtiments. Mais certains points…
éleveur de porcs et ses salariés
La considération : une clé de la fidélisation des salariés en élevage de porcs

David Riou est éleveur à Plouvorn, dans le Finistère. Pour fidéliser et motiver ses quatre salariés, il est attentif à l’…

bâtiment porcin
Comment organiser les zones de vie des porcs charcutiers en engraissement ?
De nombreux concepts de bien-être animal portent sur le fait de laisser le choix à l’animal. Concernant les zones de vie, leur…
salarié élevage de sélection axiom
Axiom se lance dans l’arrêt de la caudectomie des porcelets

À Usson-du-Poitou dans la Vienne, un des élevages de sélection des lignées femelles d’Axiom s’est engagé dans une démarche d’…

éclairage dans les bâtiments porcins
La lumière oriente les porcs dans leur case

Un groupe de chercheurs allemands a réalisé un test de préférence sur les conditions d’éclairement en post-sevrage sur un…

Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 100€/an
Liste à puce
Version numérique de la revue Réussir Porc
2 ans d'archives numériques
Accès à l’intégralité du site
Newsletter Filière Porcine
Newsletter COT’Hebdo Porc (tendances et cotations de la semaine)