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Alimentation du bétail
Indépendance protéique, la France est loin du compte

La France dispose de suffisamment de matières premières pour devenir indépendante des pays tiers en protéines végétales destinées à l’alimentation animale. Mais le coût serait trop élevé pour se passer totalement de tourteau de soja.

Pour fabriquer les aliments destinés à ses élevages de production la France importe 38 % de ses besoins en matière premières riches en protéines (MRP), constitués essentiellement de tourteau de soja (3,5 millions de tonnes par an importé chaque année). Cette proportion a fortement varié dans le temps, passant de 69 % dans les années 90 à 30 % suite à la mise en place du « plan protéine », puis remontant à 51 % quand les protéines animales transformées (PAT) ont été interdites. « Ces évolutions nous démontrent que la part des protéines importées en France varie essentiellement en fonction des évolutions des réglementations mises successivement en place ces dernières années », constatait Patricia Le Cadre, ingénieure alimentation et filières animales qui animait la journée Céréopa (1) organisée à Paris le 16 mai dernier sur ce sujet. Car depuis l’apparition des productions animales intensives, la question de l’indépendance protéique s’est toujours posée, et ce pour plusieurs raisons : peur de subir des hausses importantes et non maîtrisées des coûts matières, absence de traçabilité, image négative des produits (OGM, déforestation), bilan carbone élevé, préférence des consommateurs pour des produits locaux…

Pourtant, si le tourteau de soja rentre dans les formules, c’est qu’il est économiquement intéressant. Et que le prix des matières premières disponibles en France est trop élevé pour le remplacer, ou qu’elles ne sont pas produites en quantité suffisante. Pourtant, la France est le pays européen qui en utilise le moins dans ses formules d’aliment. Grâce au développement des biocarburants, elle dispose de coproduits protéiques compétitifs (tourteau de colza, drêches de blé). Certaines ne sont cependant pas produites en quantité suffisante pour rentrer dans toutes les formules. Elles ne sont utilisées que dans celles qui les valorisent le plus (drêches dans les formules pour ruminants par exemple). Le tourteau de tournesol issu d’usines françaises est aussi largement utilisé, essentiellement dans les formules truies dans lesquelles il apporte des fibres en plus des protéines. Depuis 2009, les fabricants d’aliment français utilisent du tourteau de tournesol High Pro (HP) d’Ukraine. Ce tourteau, débarrassé de la coque de la graine, titre 37 % de MAT, contre 28 % pour le tourteau de tournesol classique. Mais il est importé d’Ukraine, et ne comble donc pas le déficit protéique français.

Il ne faut pas oublier non plus les progrès faits en matière de formulation et de définition des besoins des animaux en fonction de leur stade physiologique. Grâce à l’utilisation désormais intensive d’acides aminés de synthèse, les formulateurs peuvent diminuer le taux azoté des formules, et donc l’utilisation des MRP, sans dégrader les performances techniques.

400 000 tonnes de tourteau de soja de moins par an en quinze ans

Grâce à l’ensemble de ces actions, les fabricants d’aliment du bétail ont consommé 500 000 tonnes de tourteau de soja en moins en 2016 par rapport à 2002. Cette baisse s’explique aussi pour 110 000 tonnes par la baisse des volumes fabriqués (- 2 millions de tonnes par an). Cependant, dans le même temps, la fabrication d’aliments à la ferme a consommé 100 000 tonnes de tourteau de soja en plus. « Les tourteaux de substitution sont moins intéressants dans des formules à base de maïs », rappelle Patricia Le Cadre. Et il est souvent difficile pour un éleveur de diversifier ses ressources par manque de cellules de stockage et de volumes à fabriquer importants pour une rotation suffisante des stocks.

Le bilan total des importations de tourteau de soja depuis 15 ans, est donc de - 400 000 tonnes par an. « Difficile de savoir comment ce tonnage évoluera dans les années à venir, tellement des facteurs multiples peuvent totalement modifier les marchés », estime Patricia Le Cadre.

En 2011, l’Union européenne avait suscité un espoir en envisageant la possibilité de réutiliser les PAT tout en respectant le principe de consommation croisée (un porc ne pourrait pas consommer de PAT issue de carcasses de porc). Cette éventualité est restée lettre morte avec la crainte de susciter un important rejet de la part des consommateurs. Par ailleurs, comment la faire accepter par les cahiers des charges français qui, pour la plupart refusent déjà les graisses animales, pourtant autorisées en Europe ? L’utilisation des PAT aurait permis d’économiser 118 millions d’euros par an en coût matière, et aurait fait baisser les importations de tourteau de soja de 800 000 tonnes, selon une étude économique réalisée par le Céréopa. « Les PAT peuvent devenir une source de distorsion de concurrence importante entre les différents bassins de production mondiaux », complète Patricia Le Cadre, qui constate qu’au Brésil, elles sont incorporées à 8 % en moyenne dans les formules !

Du tourteau de soja français non OGM

Le tourteau de soja français est une autre possibilité de substitution aux produits importés. « Nous avons pour objectif de couvrir entre 70 et 80 % des besoins français en tourteau de soja non OGM d’ici cinq ans », affirme Françoise Labalette, de Terres Univia, la structure qui fédère les différents intervenants de cette nouvelle filière. Autre source protéique cultivée en France, le pois n’est quasiment plus utilisé en alimentation animale. « Il n’y a plus de disponibilités depuis que la production n’est plus aidée. Par ailleurs, c’est une fausse bonne idée pour diminuer la dépendance protéique, puisqu’il remplacerait le tourteau de colza et le blé, et non le soja », détaille Patricia Le Cadre. Enfin, plus anecdotique, les farines d’insecte (50 % de protéines de très bonne qualité) sont encore présentées comme la source protéique de demain qui va sauver le monde de la pénurie de viande. Mais les perspectives de développement sont jugées peu réalistes par les spécialistes. Dans le meilleur des cas, le Céréopa estime le potentiel de production mondial en 2024 à 0,5 million de tonnes de protéine par an, loin des 100 millions de tonnes de protéines de soja consommées actuellement. Par ailleurs, les conditions d’hygiène parfois douteuse des substrats sur lesquels sont élevées les larves risquent de ne pas plaire aux services sanitaires. « Quoi qu’il en soit, le coût de production actuel est trop élevé pour intéresser les fabricants d’aliment », souligne Philippe Schmidely, enseignant-chercheur à AgroParis Tech. En consommation humaine (oui oui, cela existe !) les dix grammes de farine d’insecte coûtent cinquante euros. Plus cher que le caviar !

Céréopa : Centre d’Étude et de Recherche sur l’Économie et l’Organisation des Productions Animales. www.cereopa.fr

Plan protéine 2015-2020, des mesures qui tardent à se concrétiser

Le gouvernement a voulu redonner en 2014 un coup de fouet à la production de matières premières riches en protéines en France, par une série de mesures à court et long terme : des aides couplées et mesures agro-environnementales spécifiques aux légumineuses, un programme de R & D portant sur les aspects sélection variétale, agronomie, process de transformation et nouveaux débouchés, développement de la contractualisation pour une meilleure organisation économique des filières, et plan de communication et de promotion auprès des agriculteurs et des éleveurs. Ce plan tarde à faire des effets, puisque des cultures comme le pois, la féverole restent très confidentielles. Seul le soja monte en puissance, poussé par une filière organisée qui mise avant tout sur sa qualité non OGM et son origine France pour se valoriser.

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