CHEZ AUDE DE ROFFIGNAC EN HAUTE-VIENNE
Soigner ses moutons par les plantes
Les moutons d’Aude de Roffignac sont élevés en bio. L’éleveuse s’est passionnée pour le traitement par les plantes et en fait profiter ses brebis.
Aude de Roffignac, cheveux bruns en chignon et regard pétillant, s’est installée en 2011 sur les terres familiales. Après avoir travaillé pendant plusieurs années dans l’alimentation animale en Argentine, elle a fait sa reconversion professionnelle. Les terres du domaine familial étaient quasiment à l’abandon, mais Aude de Roffignac s’est sentie la force de remettre en place un troupeau ovin. « À la vue de mon expérience, le bio m’a paru évident », reconnaît cette ingénieure agronome. Elle conduit ses 150 brebis et ses quatre béliers sur près de 40 hectares de parcours, sur lesquelles les animaux pâturent toute l’année. En complément, Aude cultive sur cinq hectares de méteil : triticale, épeautre, avoine, pois et vesce. Elle a ainsi atteint l’objectif d’une autonomie alimentaire totale. Cependant, les parcelles de parcours présentent un gros inconvénient, ce sont des terres très humides qui s’inondent facilement en cas de pluie. Pour limiter le risque de parasitisme accru dans ces conditions, elle retarde la sortie à l’herbe des agneaux et soigne ses brebis par phytothérapie et aromathérapie.
Du thym, du romarin, du fenouil et de l’ail
Quasiment autodidacte sur ces deux types de traitements, elle a tout de même beaucoup échangé avec un vétérinaire qui lui a apporté beaucoup de conseils. Le reste, elle l’a réfléchi par elle-même, se renseignant sur internet et auprès de son voisinage d’éleveurs bio. D’autant qu’Aude de Roffignac n’a pas de formation spécifique en ovins. « J’ai toujours eu la passion de l’élevage et des moutons, ça ne me faisait pas peur de m’installer, assure-t-elle avec beaucoup d’aplomb. Cela dit, je me suis vite rendu compte que je n’y connaissais pas grand-chose et, encore aujourd’hui, j’apprends. » Elle utilise notamment les plantes qu’elle trouve sur ces parcelles, ainsi que d’autres qu’elle cultive. En effet, Aude de Roffignac a monté en parallèle de son élevage un projet de vente de plantes aromatiques et médicinales. Accolé à la bergerie ancestrale, se trouve un petit séchoir tout en bois qu’elle a construit lors de son installation. Il lui permet de préparer les plantes avant le conditionnement. Pour ses brebis, Aude fait des tisanes de différentes plantes vertueuses. Le thym a une action positive sur l’immunité globale avec une spécialisation sur le système respiratoire. Le romarin, lui, est un excellent drainant du foie. Les graines de fenouil peuvent être une solution naturelle aux problèmes digestifs. Les tisanes sont proposées aux brebis en bergerie, dans des seaux maintenus au sol par des pneus. Cette astuce permet de limiter les pertes, en évitant ainsi que le seau ne se renverse. « La tisane est distribuée en prévention, quatre à cinq fois par an. Je renforce la mise à disposition lorsque j’entends mes brebis tousser », explique Aude. La plante dont la phytothérapeute en herbe se sert le plus, c’est l’ail. « Ça reste le meilleur antiparasitaire du marché, avec le meilleur rapport qualité-prix. Les brebis l’ingèrent facilement lorsqu’il est en poudre », détaille Aude de Roffignac. Elle s’en sert également comme traitement préventif de la nouvelle myiase, qui fait des ravages dans la région.
Être en bio implique une cohérence entre prévention et rusticité
Cependant, elle ne distribue ses propres herbes qu’en infusion, la poudre d’ail et les huiles essentielles utilisées pour d’autres soins proviennent du commerce. Elle vend toujours les herbes médicinales en sachet sur son point de vente à la ferme et sur le magasin de producteurs qu’elle a monté avec quatre autres personnes. Néanmoins, la cueillette et la culture de plantes lui prenant trop de temps, elle a réduit au minimum cette activité pour se recentrer sur l’élevage et la commercialisation de ses agneaux. « La phytothérapie est une chose, mais le bio est une réflexion globale. Je préfère donc avoir des brebis rustiques, qui tombent moins souvent malades et qui savent agneler seules, plutôt que tout miser sur la productivité, argumente-t-elle. Il me faut également des brebis qui dessaisonnent facilement, car je ne peux pas me permettre de ne pas avoir d’agneaux sur une partie de l’année ». En effet, pour combler ces périodes de vide, elle est aujourd’hui obligée d’acheter des carcasses à un producteur voisin. Petit à petit, le dessaisonnement de son troupeau se fait naturellement, notamment en mettant les béliers en décalé. En 2021, Aude prévoit d’avoir un troupeau de 250 têtes et elle va acquérir de nouvelles terres pour l’année à venir. Elle a pour objectif de tout vendre en direct parce que « les groupements ne valorisent pas assez bien le bio ». Ses agneaux sont vendus à 14 € du kilo, entier découpé et mis sous vide, ou bien au détail dans le point de vente collectif qui est le premier magasin de producteurs exclusivement bio du Limousin, ouvert il y a trois ans. Ainsi, elle parvient à valoriser une brebis de réforme autour de 250 euros, contre 60 si elle les vendait en coopérative pour l’export.
Avis d’expert
« Se former et se faire accompagner dans les médecines complémentaires »
« Plutôt que d’attaquer l’agresseur, les médecines alternatives veulent plutôt soutenir les capacités de défense de l’individu. C’est en ce sens qu’elles sont complémentaires de la médecine vétérinaire classique. L’homéopathie fonctionne sur le principe des similitudes. On donne un principe actif, très dilué, qui provoque les mêmes symptômes que ceux observées. Cela permet de prévenir des maladies cliniques à moindre coût et par lot. La phytothérapie et l’aromathérapie veulent soigner par les plantes et les huiles essentielles en augmentant les capacités immunitaires, d’élimination ou de résistance au stress de l’animal. Attention cependant à ne pas jouer les apprentis sorciers. Il y a des choses possibles mais aussi beaucoup de choses à ne pas faire. Avant de les utiliser, il faut se former et se faire accompagner, si possible par son vétérinaire. Les éleveurs font parfois leurs essais sans en parler à leur vétérinaire. C’est dommage, il faut au contraire essayer d’emmener son vétérinaire avec soi sur ces nouvelles techniques. Même si on a souvent plus de questions que de réponse, c’est un nouveau champ qui s’ouvre malgré une réglementation complexe et en cours d’évolution. »