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La symbiose des brebis et des vignes

Le pâturage des vignes par un troupeau ovin est une association gagnant-gagnant, autant pour l’éleveur que pour le vigneron.

Tout est parti d’un banal accident de clôture. Les brebis sont passées de leur parcelle à celle du voisin, où celui-ci cultive ses vignes. L’éleveur fautif prévient son voisin vigneron et ils se rendent ensemble pour constater les dégâts. Surprise ! Les brebis n’ont brouté que l’herbe des interrangs sans toucher aux feuilles des vignes, ni aux grappes. L’idée a fait son chemin : pourquoi ne pas profiter des surfaces additionnelles de pâturage que représentent les vignes tout en permettant aux propriétaires des vignobles de profiter des atouts agronomiques du pâturage des brebis ? Mais utiliser les vignes comme surfaces pastorales ne s’improvise pas. Et si la pratique n’est pas nouvelle, son abandon progressif au profit d’une agriculture spécialisée et cloisonnée prive les professionnels de données techniques fiables.

Des surfaces spéciales pâturage hivernal

Le projet Brebis-Link, conduit par plusieurs chambres d’agriculture du Sud-Ouest et par l’Institut de l’élevage entre autres partenaires, vise à montrer l’intérêt du pâturage sur ces surfaces peu communes. La zone étudiée est le grand Sud-Ouest (Dordogne, Gironde, Lot, Pyrénées-Atlantiques et Haute-Vienne) car la région a l’avantage de présenter une multitude de ces surfaces additionnelles qui se jouxtent bien souvent. Parcelles céréalières et zones boisées, vergers et vignes… Le programme Brebis_Link devrait permettre notamment de créer un « mode d’emploi » du pâturage des vignes par les brebis, afin de consolider la collaboration entre éleveurs et viticulteurs. Le programme s’est basé sur l’expérimentation in situ de brebis sur une parcelle du lycée agricole de Monbazillac ainsi qu’une enquête menée auprès de quatre éleveurs et six viticulteurs. Quatre paramètres sont principalement étudiés : le rôle agronomique des brebis, les dégâts éventuels, le bien-être animal et le temps de travail que cela représente pour l’éleveur. Le pâturage sur les vignes s’effectue sur la période automne-hiver, d’octobre (après les dernières vendanges) à mars (avant l’apparition des premiers bourgeons). Sur cette période hivernale, les vignerons ne font aucun traitement chimique. Néanmoins lors des opérations mécaniques telles que le broyage des sarments ou le liage, l’éleveur doit veiller à retirer ses brebis. Lors de l’arrivée sur les vignes, il vaut mieux attendre qu’un épisode pluvieux ait lavé les dernières traces de traitements sur les feuilles avant de mettre les brebis.

Moins de parasites, mais du cuivre

La question de la rémanence du cuivre, très utilisé en viticulture, dans la végétation et le sol et de son impact sur la santé des brebis au long terme est un sujet crucial qui pour l’instant n’a pas de réponse. D’autant que le cuivre est aussi bien utilisé en viticulture conventionnelle qu’en bio. Les éleveurs ont mis en place un principe de précaution et ne remettent pas leurs animaux dans les jours qui suivent un traitement au cuivre (entre un et dix jours selon l’éleveur enquêté). À court terme, l’état corporel des brebis ne s’est pas dégradé et d’un point de vue sanitaire, l’introduction de parcelles vierges de pâturage dans la rotation permet d’avoir une zone propre sans trop de parasites. Les animaux mis dans les parcelles de vignes doivent plutôt être des brebis multipares plutôt que des agnelles ou des agneaux qui risquent d’abîmer les vignes ou de se coincer dans les fils. De plus, pour éviter tout problème avec lesdits fils, mieux vaut privilégier les vignes hautes (donc avec un fil haut) plutôt que les basses. Il est aussi préférable de tondre les brebis avant leur arrivée dans les vignes, toujours pour la même raison et éviter que la laine ne s’accroche dans les sarments et les endommagent. La charge de travail pour l’éleveur est variable, sachant qu’il peut être convenu que ce soit le vigneron qui installe des clôtures électriques autour de ses parcelles. Si tel n’est pas le cas, l’éleveur devra avoir recours au gardiennage. Il devra également complémenter ses brebis et gérer l’abreuvement. Éventuellement, la mise en place d’un abri temporaire peut être un atout pour permettre aux animaux de se protéger des intempéries. Les interrangs mesurant en moyenne entre un et trois mètres, les brebis avancent plutôt groupées et la répartition sur tous les interrangs se fait bien. Pour les interrangs les plus faibles, les brebis les plus calmes pourront y aller, sinon, il faut accepter le risque d’une augmentation des dégâts.

Un enrichissement du sol grâce aux brebis

La végétation est principalement de la prairie naturelle mais les viticulteurs peuvent semer du ray-grass. Les brebis ont donc un accès suffisant à la ressource herbagère, ce qui permet à l’éleveur d’économiser ses stocks hivernaux. Néanmoins, les valeurs nutritionnelles sont souvent inconnues et restent très aléatoires selon les parcelles et il est nécessaire de complémenter les brebis, malgré le fait que la plupart des animaux mis sur ces parcelles étaient à l’entretien (brebis vides, agnelles, tout début de gestation). Les éleveurs enquêtés ont tout de même relevé que l’enherbement naturel propose une ressource variée et très appétante et une bonne ressource en vitamines et potassium. Durant l’automne, les brebis consomment également les feuilles de vignes sèches et les rafles de raisin. Dans son rapport, Elisa Landais, stagiaire à l’Institut de l’élevage qui a travaillé sur le projet, écrit : « Le semis d’un couvert herbacé, plus riche en azote et plus fourni s’il est bien implanté qu’un enherbement naturel, pourrait répondre à ces problèmes. » « L’herbe a été pâturée très ras, mais sa valeur pastorale reste faible. Cependant, sur les deux premières années (2018-2019) de l’étude, la qualité fourragère de la parcelle pâturée a sensiblement augmenté », témoigne Camille Ducourtieux, de la chambre d’agriculture de Dordogne et coordonnatrice de Brebis_Link. L’apport de matière organique animale de la part des brebis est un atout pour les vignerons qui voient leurs terres s’enrichir. À long terme, cela pourra donc être favorable également pour les éleveurs qui verront ces surfaces additionnelles s’enrichir. Enfin, pour éviter les dégâts que les brebis pourraient faire en broutant les jeunes feuilles des vignes, un dispositif WineBaa a été commercialisé un moment. Cette sorte de muselière était adaptée au pâturage dans les vignes puisqu’elle se ferme lorsque la brebis relève la tête (à hauteur des feuilles) et s’ouvre lorsqu’elle la baisse (à hauteur de l’herbe). Cela permettrait d’allonger la période de pâturage jusqu’au printemps, profitant ainsi de la pousse d’herbe maximale. Reste à voir si ce genre d’équipement ne ternirait pas la bonne image auprès du grand public que renvoient les brebis dans les vignes, autant pour le vigneron que pour l’éleveur.

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