Aller au contenu principal

Outre-Rhin
La production ovine allemande en quête d’un second souffle

Entre ovins lait en panne de croissance et ovins viande largement dépendants des aides publiques, l’élevage ovin allemand peine à se structurer pour avoir les moyens de répondre à la demande existante.

Les chiffres en disent plus long que tous les discours. En un peu plus de dix ans, l’Allemagne a perdu un bon million de têtes d’ovins. Le pays en recense encore 1,6 million dont 1,5 million d’ovins viande. Ce cheptel est éclaté entre quelque 10 000 élevages détenant 20 animaux et plus, plutôt localisés dans le Sud du pays pour les plus importants (au-delà de 100 bêtes), dans l’Ouest et le Nord pour les plus petits. Le nombre d’exploitations à temps complet est estimé à 2 000. Une forte proportion d’éleveurs a atteint les 55 ans et assez peu d’entre eux devraient avoir un successeur. Les deux seuls centres de formation ovins du pays comptent à peine quarante élèves…

En viande, quatre races représentent environ 60 % des effectifs. Le seul Mérinos en pèse 30 %. Il est croisé avec des béliers Suffolk, Tête noire, Texel, Ile-de-France ou Charollais pour obtenir des animaux de 42 kg vifs bien conformés. Le mouton à Tête noire, le Texel et le mouton à Tête blanche fournissent le reste du gros des troupes alors que le herd book recense quarante races. Les brebis affichent un taux de prolificité de 1,3 à 1,4 agneau par an. « Bien que le pays ne soit autosuffisant qu’à 50 %, la performance et le progrès technique ne sont pas une priorité absolue. Certains élevages produisent seulement les agneaux pour assurer le renouvellement parce que cela diminue la somme de travail. Il est plus intéressant d’avoir de la surface primée » remarque Joachim Koop, porte-parole du groupe spécialisé ovin-caprin de Rhénanie-Westphalie. Le tout est de pouvoir conserver ces terres pour les moutons face à la voracité des méthaniseurs toujours en recherche de matière première. « Je suis de plus en plus confronté à cette pression » avoue Joachim Koop, installé sur 115 ha près de la frontière néerlandaise avec deux salariés et un troupeau de 600 mères mérinos croisées avec des boucs tête noire pour bénéficier d’un effet hétérosis. « Le climat favorable me permet de n’avoir que 200 places en bâtiment pour un hivernage moyen de 30 jours par bête. Mais les coûts de main-d’œuvre augmentent sans cesse alors que les prix sont stables à 5,40 €/kg en conventionnel et à 6 €/kg en bio. Les aides sont indispensables. Celles de l’Europe vont baisser et les primes environnementales vont augmenter. On n’y peut rien. C’est l’évolution de la société ».

4,50 euros le kilo pour couvrir les frais

Tobias Wagner confirme cette analyse à travers l’étude des données chiffrées de 36 élevages (dont 4 en bio) du Bade-Wurtemberg. Ce conseiller qui suit 56 exploitations a calculé qu’en conventionnel il faudrait vendre 4,50 € le kilo vif d’un agneau de 42 kg pour couvrir les frais de 8,45 €/kg (rémunération de 15 €/h incluse) alors que le marché paye de 2,70 à 2,80 €. Le bio ne fait pas mieux. Son prix de revient est de 9,55 €/kg vif. Le prix de vente nécessaire s’élève à 5,60 € alors que le marché n’accorde que 3,30 à 3,40 €. « Au cours actuel, le travail est rémunéré entre 4 et 6 €/heure. Sur 36 élevages à peine deux ou trois arrivent à se verser ce salaire de 15 €/h. Le seul agneau ne permet donc pas de dégager un revenu » indique Tobias Wagner. Les aides pèsent ainsi de tout leur poids : 58 % en moyenne du chiffre d’affaires dans les bilans analysés au moment de l’étude. Avec la hausse des montants versés (désormais 190 €/ha minimum et jusqu’à 550 €/ha maximum), la réalité est aujourd’hui plus proche de 65 %. Une structure comme Bioland a entrepris d’organiser la commercialisation des agneaux. Sur un an, elle en a écoulé 15 000 dont 90 % en bio dans une fourchette de prix comprise entre 2,60 et 3,80 €. « Le fait de ne disposer que d’informations partielles sur les marchés complique la tâche. Mais il y a une vraie demande en agneau bio. Nous travaillons à organiser une filière « Agneau bio allemand » avec l’objectif de devenir le fournisseur d’un spécialiste de l’alimentation infantile. Les premiers contacts ont été noués » annonce Andreas Kern, conseiller Bioland.

292 litres de lait par brebis et par an

Les brebis laitières ne fournissent que 5 % des effectifs ovins allemands. Les éleveurs ont commencé par s’appuyer sur le mouton de Frise, venu des côtes de la mer du Nord, avant de s’apercevoir que sa détention en plus grands troupeaux se traduisait par de gros problèmes respiratoires. Depuis plusieurs années maintenant, la Lacaune, même si elle est un peu moins laitière que sa concurrente de Frise(1), fait doucement son trou grâce à sa robustesse et à sa moindre sensibilité aux mammites. « Les éleveurs profitent de tout le travail qui a été fait en France » souligne Sebastian Schäfer, président de l’Union des éleveurs ovins et caprins (VSZM). Le compte n’y est cependant pas. L’état des lieux dressé aux dernières journées internationales des producteurs ovins et caprins allemands fin 2016 en Hesse a fait l’effet d’un électrochoc. Le recensement financé par le ministère de l’Écologie et conduit par Bioland sur la base d’une enquête de terrain menée en 2014 a dénombré 87 élevages de plus de 15 têtes menés de manière professionnelle. Six sont mixtes et détiennent aussi des chèvres. Même en considérant une marge d’erreur positive de 10 %, le nombre d’élevages reste inférieur à cent. « Nous sommes moins nombreux que nous pensions » résume Gwendolyn Manek, auteur de l’étude. Les deux tiers de ces ateliers sont bios. Une proportion identique détient plus de 100 têtes. La productivité moyenne par tête s’élève à 292 litres. Dans ces conditions, la collecte de lait de brebis pèse à peine 2,1 millions de litres, cinq fois moins qu’en Autriche et moins de 1 % de la collecte française. « La demande pour du lait de brebis existe. Mais l’offre manque. Personne ne veut se lancer alors que pourtant les crises se succèdent en lait de vache. Les éleveurs sont peu portés sur les échanges entre eux. Beaucoup sont à la croisée des chemins et à la recherche d’un successeur. Il faudrait organiser les producteurs, créer des structures régionales de transformation, et/ou qu’une laiterie donne l’impulsion. Il n’y en a actuellement que deux petites qui collectent un peu. Des contacts ont été pris avec une entreprise de Rhénanie-Westphalie. Mais elle hésite à s’engager car elle juge le marché trop restreint » confie Sebastian Schäfer. « Trouver le partenaire qui ne vous met pas la pression sur le prix n’est pas évident » complète Armin Küthe, installé avec 90 Lacaune depuis 2009. « Dans ces conditions, vouloir se développer, c’est courir un risque que peu d’éleveurs sont prêts à prendre ».

(1) La production moyenne d’une brebis frisonne s’élève à 450 litres au contrôle laitier.

Les dégâts du loup augmentent

« Le loup est en train de devenir un problème national ». Ce constat émane du DBV, le syndicat majoritaire en Allemagne. Le prédateur, venu de l’Est, est réapparu en Saxe en 1996 et a multiplié en priorité ses apparitions sur un axe Dresde/Hambourg. En 2015, ses effectifs atteindraient 500 animaux répartis pour l’essentiel en 46 meutes. En 2002, 33 attaques de loups avaient été signalées. Ce nombre est passé à 596 en 2015 pour des dégâts évalués au minimum à 500 000 euros, voire le double selon les calculs de la profession qui se situe, ici comme ailleurs, en première ligne. Les indemnités qui sont versées aux éleveurs sont très variables. Elles dépendent à chaque fois du land. Le DBV réclame une réglementation nationale et autant de budget à prévenir les attaques du loup que d’argent consacré à sa protection. En pratique, le gardiennage privilégie de plus en plus les clôtures mobiles et l’appoint de chiens patous dressés.

Payés pour occuper l’espace

Au nord-ouest de la Bavière, dans le parc naturel de Spessart, les effectifs ovins de Christiane et Dieter Mischler ont fluctué durant des années. Leur troupeau est aujourd’hui stabilisé à 800 mères Mérinos grâce à la location d’un terrain militaire situé à 60 kilomètres du siège de leur exploitation à Adelsberg. Le couple dispose désormais de 460 ha dont 430 de terrains de pâture et de fauche souvent oubliés par les pluies. Christiane et Dieter assistent les 550 mères qui agnèlent sur novembre-décembre et mars-avril. « Cela nous permet d’avoir des agneaux à vendre fin mai et d’occuper nos surfaces » avance Dieter. Une majorité de brebis donne naissance à des jumeaux sans que les éleveurs aient sélectionné sur ce critère. Ils restent de deux à cinq jours avec leur mère dans une case individuelle. L’agneau unique n’est laissé qu’une journée. Les triplés sont retirés d’office.

Un nouveau bâtiment pour 400 brebis

Dieter et Christiane sont satisfaits de sevrer 1,6 agneau par mère et par an. Ils vendent en moyenne 800 agneaux par saison. Un boucher leur en achète 500. Il les leur paye 2,70 €/kg pour 51 kg vifs. En raison d’un souci de main-d’œuvre, la vente directe à la ferme s’est contentée de 300 têtes en 2016. Le kilo est affiché à 8 € en carcasse et à 10 € en découpé. La vente des agneaux procure 30 % des recettes. 70 % proviennent d’aides qui viennent d’être déplafonnées. Pour tenir compte de la faible rentabilité de l’élevage ovin, le programme agro-environnemental bavarois octroie depuis peu 270 €/ha aux surfaces en bio. L’exploitation a démarré sa conversion en 2015. À la clé, Dieter et Christiane peuvent espérer 0,20 € de plus au kilo qu’en conventionnel. « Il faudrait au moins 1 € de plus. Un kilo de concentré coûte le double. Mais la demande ne suit pas et il n’existe pas d’offre bio structurée par ici » signale Dieter. Le couple investit néanmoins. Un nouveau bâtiment pour 400 brebis et leur suite sera opérationnel en 2017. La dépense s’élève à 180 000 €. « Les agneaux devraient y avoir moins de problèmes respiratoires » espère Dieter.

Passage obligé au bio

L’élevage de Christine et Reinhard Heintz et de leur fils Steffen est en plein chambardement. Les 320 Mérinos et les 40 Suffolk sont sur le départ. « 55 hectares d’herbe, c’est trop peu pour nourrir tout le cheptel et il est plus simple de travailler avec moins de races » explique Reinhard. L’avenir appartient donc à la brebis laitière. Les vingt premières Lacaune arrivent en 2011 avec Steffen. En 2013, un transformateur local démarre la fabrication de fromage à base de lait brebis. Il se fournit aux alentours en faisant miroiter de belles perspectives de vente. Les Heintz embrayent. Mais l’affaire tourne mal fin 2015. L’entreprise laisse une ardoise à ses apporteurs. « Plutôt que d’arrêter, nous avons décidé de monter progressivement à 100 Lacaune et de passer en bio. Le logo n’est pas forcément nécessaire pour nos clients historiques qui ne nous le demandent pas, mais c’est un passage obligé pour accroître nos débouchés hors du strict périmètre local » analyse Reinhard. Les éleveurs livrent dorénavant leur lait à deux petites fromageries locales moyennant un tarif d’un peu plus de 1,50 €/l. Ils vendent en direct à la ferme et sur deux marchés, fromages, pain, œufs, mâche, saucisses… À côté des Lacaune retenues pour leur robustesse et leur capacité à être désaisonnalisées, l’élevage a pour objectif de garder 50 chèvres et 250 moutons du Rhön, une race à viande locale qui se caractérise par sa tête noire et fournit des carcasses de 18 à 20 kg.

Les plus lus

Darius Filipiak, 29 ans, s'est installé dans le Lot après un CS ovin et plusieurs expériences professionnelles en élevage ovin.
« J’arrive à vivre avec mes 250 brebis, élevées en plein air intégral »
Darius Filipiak, 29 ans, passionné par l’élevage de brebis, s’est installé en 2019, à Montcuq dans le département du Lot, avec…
Les éleveurs de brebis laitières des Pyrénées-Atlantiques s'investissent pour trouver des pistes d'adaptation de leur activité face au changement climatique.
Changement climatique : la filière lait de brebis des Pyrénées Atlantiques prend la mesure de l'enjeu
L'interprofession lait de brebis des Pyrénées-Atlantiques dans un projet franco-espagnol à la recherche de pistes pour adapter…
Benoit Toutain, 17 ans et originaire de l'Oise, a été sacré meilleur jeune berger 2024 lors de la finale des Ovinpiades, le 24 février, à Paris.
Salon de l’Agriculture : Le meilleur berger de France 2024 vient de l’Oise
Le champion de la 19e édition des Ovinpiades, Benoît Toutain, est originaire de l’Oise et possède déjà son propre troupeau.
Baptiste Soulat, 27 ans, s'est installé en Haute-Vienne sur l'exploitation paternelle. Passionné par la génétique, il est devenu sélectionneur en Suffolk.
« J’ai concrétisé ma passion pour la génétique et la Suffolk sur la ferme de mon enfance »
Baptiste Soulat, 27 ans, s’est installé sur l’exploitation bovine de son père en Haute-Vienne, créant du même coup l’atelier…
Parmi les céréales qui peuvent être distribuées aux brebis, l'avoine est la moins énergétique et n'est pas acidogène.
Quelles céréales intégrer dans la ration des brebis ?
Les céréales sont des concentrés d’énergie qui sont essentiels dans la ration des brebis selon leur stade physiologique. Tour d’…
Légende
"Nous avons choisi le pastoralisme itinérant"
Après avoir été bergers durant cinq ans, Juliette Martorell et François Oriol pratiquent depuis deux ans le pastoralisme…
Publicité
Titre
Je m'abonne
Body
A partir de 93€/an
Liste à puce
Accédez à tous les articles du site Réussir Pâtre
Consultez les revues Réussir Pâtre au format numérique, sur tous les supports
Ne manquez aucune information grâce à la newsletter Réussir Pâtre