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La méthanisation, un atelier à part entière

Dans le Tarn, Philippe Jougla et ses deux associés ont installé un méthaniseur pour diversifier leurs revenus mais la charge de travail est conséquente.

Perché à 800 mètres d’altitude, le Gaec de Trévi se dresse depuis 2008 au cœur du Tarn, à une trentaine de kilomètres à l’est de Castres. Philippe Jougla et ses deux associés élèvent, sur leurs 225 hectares, un demi-millier de brebis laitières pour le roquefort, 150 brebis allaitantes composées des réformes laitières et un troupeau de vaches allaitantes, pour valoriser les pâturages humides. En 2011, les associés ont souhaité se diversifier mais ne souhaitaient pas agrandir l’un ou l’autre des cheptels et ne voulaient en aucun cas se tourner vers la vente directe. Philippe Jougla, aujourd’hui la cinquantaine, revient sur leur cheminement : « nous avions tous à ce moment la volonté de sécuriser nos revenus avec une autre activité. Nous avons alors songé à la production d’énergie tout en valorisant les effluents d’élevage et ce, à l’échelle communale. » La première étude de faisabilité a eu lieu en 2012 et, suite à quelques déboires administratifs et un dossier monté trop hâtivement par un bureau d’études, les éleveurs reprennent les rênes et déposent finalement un dossier bien complet pour leur futur méthaniseur.

12 à 15 remorques pour un digesteur

Le fumier issu du Gaec n’étant pas assez volumineux pour rendre l’exploitation du méthane rentable, les associés ont proposé à leurs voisins de se joindre à eux lors d’une réunion de la Cuma. Ainsi, trois agriculteurs fournissent du matériau, bien que seul le Gaec de Trevi soit porteur du projet. Les objectifs des nouveaux venus sont d’ailleurs divers : l’un d’entre eux travaille sur la fertilisation de qualité, il composte en partie son fumier et est intéressé par le digestat. Un autre ne parvient pas à gérer tout le fumier sur son exploitation et trouve la méthanisation comme solution avantageuse pour se défaire de son surplus. Enfin, le dernier, producteur de canards, avait besoin de mettre en place un plan d’épandage et récupère donc du digestat. « Nos voisins ont trouvé tous les attraits de la méthanisation, pour différentes raisons dans notre projet », se réjouit Philippe Jougla. En juillet 2015, l’installation était opérationnelle, avec la connexion au réseau électrique. « Nous avons placé l’installation au cœur de notre exploitation car à cet emplacement la terre est profonde, il n’y a pas d’affleurement et cela a grandement facilité les travaux de terrassement », explique l’éleveur. Le terrassement est en effet particulièrement important pour mener à bien la construction des quatre digesteurs de 200 mètres cubes chacun. Longue de 19 mètres et large de six mètres, chaque cellule dispose d’un fond en pente inclinée afin de facilité le remplissage et le vidage. Il faut compter entre 12 et 15 remorques de fumier pour remplir un digesteur. Celui-ci est rempli à ras bord puis fermé par une bâche qui fait le tour de l’enceinte et maintenue hermétiquement fermée par une chambre à air. Le fumier reste ensuite huit semaines dans le digesteur, pour en ressortir noir, beaucoup plus sec et avec une paille très ramollie. « Toutes les deux semaines, nous avons une cuve à vider et remplir. Nous nous laissons une nuit entre le vidage et le remplissage pour notre confort de travail », développe l’éleveur tarnais.

Une marge de huit centimes par kilowatt

Les associés ne se fixent pas d’objectif de production car ils tâtonnent toujours un peu et les digesteurs ne sont pas réussis à chaque fois. « Nous n’avions pas trouvé beaucoup d’information sur la méthanisation en voie sèche, se remémore Philippe Jougla. Nous avions du mal à trouver le bon équilibre pour le digesteur. Par exemple, le fumier de brebis est en théorie excellent pour ce type de méthanisation mais, en pratique, il se révèle trop compact et nous devons le passer au préalable à l’épandeur. » Ainsi l’objectif de produire un mégawatt par jour n’est atteint qu’à 60 % et ce, après trois ans de fonctionnement. Néanmoins, le méthaniseur a une production intéressante aujourd’hui dont la moitié repart dans les digesteurs pour maintenir la température et le reste est vendu à EDF à 22 centimes du kilowatt (contre 14 centimes à l’achat au réseau). « La méthanisation consomme beaucoup de chaleur, mais avec la production nous arrivons à chauffer la maison et nous espérons pouvoir étendre à du séchage en grange », s’avance l’éleveur. Toute l’installation a demandé un investissement de près de 600 000 euros. Heureusement, les trois associés du Gaec de Trevi ont pu compter sur des subventions de la région, de l’Ademe et du département à hauteur de 30 % du montant total. Le projet a reçu également le soutien du parc naturel régional du Haut-Languedoc.

Des améliorations en continu

L’investissement n’est cependant pas uniquement financier et matériel. Cela a pris beaucoup de temps à Philippe Jougla, responsable de la méthanisation de l’exploitation, considéré comme un vrai atelier, au même titre que les brebis ou les vaches. « C’est un métier à part entière qu’il m’a fallu apprendre, entre physique, chimie et thermodynamique. D’autant que pour la mise en place du système, nous avons fait appel au constructeur Aria, précurseur dans la méthanisation en voie sèche, mais qui aujourd’hui n’existe plus », explique-t-il. Fort de ses compétences nouvellement acquises, l’éleveur tarnais sait déjà les améliorations qu’il faudrait apporter à l’installation. Il faudrait notamment augmenter l’étanchéité au-dessus de la bâche car des pertes en gaz sont aujourd’hui très probables. « Il faut qu’on trouve la bonne quantité de liquide à mettre afin de mieux gérer le taux d’humidité. Et pour accélérer et faciliter le processus, je pense qu’il faudrait que nous fassions chauffer le fumier avant de le mettre dans les digesteurs. Aujourd’hui on le met dans l’épandeur pour favoriser la montée en température », détaille Philippe Jougla. « Nous nous adaptons sans arrêt. Nous avons par exemple revu l’isolation du système après qu’il se soit pris deux fois la foudre et que toute la partie électronique soit hors d’usage », se remémore son associé Nicolas Cros, en charge de l’atelier brebis laitières.

Le fonctionnement du méthaniseur en voie sèche

Lorsque le digesteur est rempli de matière première, une petite quantité d’air est injectée pour que le dioxygène fasse précipiter le soufre contenu dans le fumier. Une partie des jus est récupérée et réinjectée dans le digesteur. L’autre est écartée afin de faire baisser le taux d’humidité dans le digestat solide. Le gaz sort par un gros tuyau qui s’enfonce sous terre afin de refroidir. En effet, dans la cellule, la température avoisine les 37-40 °C et, une fois à un mètre de profondeur, le gaz descend à 6-8 °C, ce qui permet à l’eau qu’il contient de condenser. Le gaz aspiré sert à alimenter le moteur qui fonctionne comme un moteur essence. Le moteur est couplé à un alternateur. La chaleur du pot d’échappement est collectée par un système de chauffage. La méthanisation en voie sèche dégrade le fumier sans en altérer la qualité puisqu’il n’y a pas de pertes d’azote. Le fumier est d’excellente qualité à la sortie du digesteur et relativement sec.

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