Diversification
De la glace pour valoriser son lait de brebis
Qu’elle soit fermière, artisanale ou industrielle, la glace au lait de brebis commence à grignoter des parts de marché. Exemples d’initiatives...
« Quand nous avons voulu nous lancer dans la fabrication des glaces au lait de brebis, personne ne croyait en notre projet », se souvient Carine Bossut, des glaces fermières Audeline. Aujourd’hui, les glaces de cette ferme de l’AOP Roquefort sont devenues une référence nationale. Il faut reconnaître qu’il n’y avait et qu’il n’y a pas encore de marché de la glace au lait de brebis. C’est la production qui a créé le marché pour ses propres besoins de diversification. Les producteurs fermiers souhaitaient se diversifier, élargir leur gamme et se distinguer de leurs concurrents. De la Belgique à l’Italie en passant par la France et la Suisse, l’obstacle reste toujours le même : le consommateur s’imagine que « le goût va être fort », confondant souvent brebis et chèvre.
« Le client n’est pas prêt à manger de la glace au lait de brebis, il faut donc le convaincre », constate Wendy Willem, éleveuse belge. Or, en la matière, l’argumentaire reste la dégustation. Inutile de faire référencer ses glaces dans les rayons surgelés des supermarchés, les ventes ne décolleraient pas. Même la laiterie basque Agour le reconnaît, il lui a fallu plusieurs années avant de se faire une place dans les rayons.
L’offre de glace a créé la demande
Chacun y va de sa méthode. Agour possède trois kiosques à glace sur la côte basque, très fréquentés par les plagistes. « Nos devantures se gardent bien d’afficher la mention brebis. Les vendeurs font d’abord goûter puis expliquent qu’il s’agit de glace au lait de brebis. Une fois la première bouchée avalée, le préjugé tombe », explique Peio Etchelecu, son directeur. Abordé une première fois, le consommateur osera, dans les rayons de la grande surface, faire le choix de ce type de glace onctueuse.
Sylvain Chevalley, éleveur suisse dans le Canton de Vaud, a lui, développé une autre technique. Infatigable, il va de foires en salons, et d’événements sportifs en rencontres culturelles, où il installe son meuble froid, pour vendre ses fromages et ses glaces fermières à la boule. Sa glace fabriquée à partir de lait de brebis frisonnes est vendue à environ 22 euros le litre. « Les visiteurs s’approchent pour acheter du fromage et repartent avec une glace à la main et la liste de nos points de vente », raconte-t-il, l’œil malicieux. Technique qu’utilise aussi Wendy, sur le marché de Libramont (Belgique) et Carole Fournier, sur le marché de producteurs de Lamastre (Ardèche). « Et puis, de voir un visiteur une glace à la main ça donne envie aux autres » renchérit Pantxika Predaigne, éleveuse en AOP Ossau-Iraty, qui transforme environ 10 % de sa production en glace et la vend environ 12 euros le litre.
Au pays de la glace, les gelaterie italiennes vendent depuis longtemps des glaces à base de ricotta (breuil) de brebis, très utilisée dans les desserts traditionnels. « Le consommateur est moins réticent quand le parfum fait référence à une tradition gustative : seadas sardes, cannoli siciliens… », explique Gianfrancesco Cutelli, glacier, dont le parfum le plus vendu est « Serena », réalisé à base de breuil de brebis, de pignons de pin et de miel.
Des circuits bien choisis mais limités par la chaîne du froid
Si tous pratiquent la vente à la ferme et à la laiterie, ce type de circuit reste forcément limité par la chaîne du froid. Pour les éleveurs, ce type de diversification impose des contraintes de distribution. Les Amap et marchés de plein air deviennent compliqués. En revanche, les épiceries fines, les crémeries et les magasins de producteurs, fréquentés par des consommateurs avisés et sensibles à la provenance des produits, sont des points de vente rentables et en plein essor. Là aussi, des dégustations en présence du producteur restent nécessaires au début. L’investissement du meuble froid et d’un camion adéquat demeurent indispensables. Pantxika Predaigne a aménagé un camion d’occasion payé 10 000 €, mais ne peut pas livrer au-delà de 80 kilomètres. Audeline a investi dans un camion en froid négatif qui lui a coûté 20 000 €. Pour les expéditions plus éloignées, ils font appel à Chronofreez.
Après avoir participé à quelques foires, Pantxika Predaigne a, elle, réussi à se constituer une clientèle de restaurateurs qui travaillent les produits locaux (15 % de son chiffre d’affaires), en recherche d’originalité et déjà équipés de congélateurs. Les restaurateurs haut de gamme font eux-mêmes leurs glaces et les premiers prix s’attendent à ce que vous leur offriez le meuble congélateur. « Par contre, les glaces au lait de brebis restent trop chères pour la restauration de collectivité » constate-t-elle.
Privilégier les manifestations à forte connotation régionale
La laiterie Agour, outre ses kiosques en bord de plages, pratique de co-branding. Sa glace au chocolat est faite à base de chocolat provenant de l’Atelier du chocolat de Bayonne. Elle est donc aussi vendue dans les magasins locaux de la chaîne. Déjà présente en grande surface avec ses fromages, la laiterie n’a eu aucun mal à se faire référencer. Mais selon l’emplacement de ses glaces, la rotation est très différente. « Dans les grandes surfaces où nos glaces sont noyées avec les autres glaces, la rotation reste faible. En revanche, dans les magasins où elles sont mises en avant dans un rayon de produits locaux, elles partent beaucoup mieux » fait remarquer Peio Etxelecu, le directeur d’Agour.
Sylvain Chevalley choisit avec soin les manifestations où il se rend. Il se renseigne au préalable sur les autres exposants « sucrés » qui pourraient lui faire concurrence. Il privilégie les manifestations à forte connotation régionale, où les visiteurs sont sensibles à l’origine des produits et aux modes de fabrication.
Audeline collabore avec quatre vendeurs franchisés qui vendent essentiellement sur des foires. La ferme fait le point deux fois par an avec eux : une façon d’atteindre des marchés plus éloignés, sur un territoire qui couvre sept départements. Cela lui permet de transformer 40 % de sa production en glace qu’elle vend environ 15 euros le litre.
Une gamme de parfums qui affiche des couleurs locales
Tous le disent, pour l’image, il faut s’afficher local : en Belgique, les parfums spéculos et violettes, en Suisse, raisinée, abricot, poire et framboise, en Ardèche, châtaigne, serpolet, figue au miel et caramel à la fleur de Buisson, en montagne, myrtille et framboise, au Pays basque piment d’Espelette et chocolat… Même si, au final, 70 % des ventes se font avec des parfums classiques : chocolat, vanille, café et fraise. Pantxika Predaigne fait exception avec sa glace nature.
Quant aux formats, tout est possible : les classiques petits pots individuels, des bacs d’un, 2,5 litres ou 300 ml. Carole Fournier a abandonné les cornets, qui se cassent facilement lors des transports et manipulations ; elle utilise dorénavant des gobelets réutilisables, plus en cohérence avec le label agriculture biologique.
Audeline a réussi à produire des omelettes norvégiennes et des bûches glacées, qui reçoivent un franc succès. Agour ne devrait pas tarder à investir ce segment puisque la laiterie vient de prendre des parts dans une usine de pâtisseries surgelées à Tolosa (Espagne).
Investir et se former pour fabriquer sa glace
L’argument nutritionnel
Le lait de brebis est réputé pour ses propriétés antiallergiques et la digestibilité de son lactose. Comme il est deux fois plus riche en matière grasse que celui de vache, l’ajout de crème ou de beurre laitier est inutile et donc réduit le taux de lactose de la glace.
Une diversification qui demande des moyens et du savoir
Pour les fromagers fermiers, la glace au lait de brebis peut représenter une opportunité de diversification. Mais cette production se différencie des autres produits laitiers frais car elle nécessite l’utilisation d’une chaîne de froid négative (-18 °C). Avant de faire sa glace il est donc nécessaire d’investir dans des équipements spécifiques (cf. encadré).
La glace est généralement sous forme d’une mousse glacée : elle est issue du mélange d’un liquide pasteurisé de crème ou de lait (voire des deux), de sucre et parfois d’œufs dans lequel on a incorporé de l’air par foisonnement, le tout stabilisé par un fort abaissement de température. Des arômes peuvent aussi être ajoutés. C’est d’ailleurs le choix et la diversité des arômes qui forgent l’identité d’un glacier. La formulation du mélange des ingrédients est l’étape la plus complexe dans la fabrication des glaces. Le glacier doit en effet être attentif à plusieurs critères physico-chimiques qui varient selon les ingrédients employés.
Un schéma de fabrication bien précis
Ces critères peuvent être mesurés en connaissant les caractéristiques des ingrédients utilisés et permettent d’anticiper la qualité du produit fini. La quantité de sucre par exemple influence le point de congélation de la glace. En excès, il abaisse fortement la température de congélation.
Pour fabriquer la glace, il faut tout d’abord préparer le mix en mélangeant les matières premières liquides (lait, crème…) et ajouter ensuite les ingrédients secs (sucre, poudre de lait, stabilisant) préalablement mélangés entre eux. Il faut ensuite agiter le tout. Une fois le mélange terminé, il faut pasteuriser à 85 °C pendant 10 minutes afin de stabiliser le produit sur le plan microbiologique mais aussi faciliter la dissolution des produits secs.
Il s’agit ensuite de refroidir le produit le plus rapidement possible jusqu’à une température de 4 à 6 °C. C’est à cette étape qu’il faut ajouter les produits n’ayant pas à subir de pasteurisation, comme les arômes, les colorants ou les morceaux de fruits. La préparation doit ensuite maturer de 4 à 6 °C pendant 4 à 12 heures. Vient ensuite l’étape de foisonnement : on incorpore de l’air dans le mix par une agitation intense, cette étape fait passer le mélange de 4 à -6 °C. À la sortie de la turbine de foisonnement, il faut conditionner le produit en le mettant en barquette ou en pot. La dernière étape est la surgélation. Dans une cellule à -40 °C d’un surgélateur, le produit va atteindre une température à cœur de -20 °C. Le produit doit être stocké entre -18 et -30 °C.
Les équipements nécessaires
Pour faire de la glace, il est nécessaire d’investir dans des équipements spécifiques pour la fabrication, la conservation, le transport et la distribution.
Il est nécessaire de posséder une turbine à glace. Elle doit être adaptée au volume de production de glace. Pour une activité complémentaire d’une production de fromage, une turbine ayant un bol de 3 à 6 litres devrait être adaptée. Cela représente un investissement d’environ 15 000 euros hors taxes en neuf.
Pour un bon durcissement de la glace, il faut s’assurer que sa congélation ou surgélation soit la plus rapide possible. Il faut donc, au minimum, un congélateur domestique. Il permet de réduire la température à cœur de la glace à -18 °C en moins de 12 heures. Son coût d’achat est faible, environ 500 euros, mais la congélation lente peut avoir un impact sur la qualité organoleptique de la glace. Le plus efficace reste la cellule de surgélation qui fait descendre la température à -18 °C très rapidement. Son coût reste cependant élevé de l’ordre de 3 000 euros HT.
Il faut prévoir un congélateur à -18 °C maximum pour le stockage et la conservation des glaces.
À la ferme ou sur les marchés, il faut prévoir une vitrine pour présenter et mettre en avant les glaces. Cet équipement garantit le maintien des produits à -16 °C et coûte entre 2 000 et 3 000 euros HT.
Mise en garde
Attention à la qualité des œufs
L’utilisation des œufs est réglementée. S’ils ne sont pas achetés pasteurisée il est impératif qu’ils soient mirés (examen individuel systématique de la qualité de chaque œuf) et cassé dans une pièce totalement séparée de la salle de fabrication.