« Dans les Grands Causses, je partage une placette d’équarrissage naturel des ovins avec l’exploitation voisine »
Au Gaec de La Talvera, Patrick Mayet élève un troupeau composé d’un tiers de caprins et de deux tiers d’ovins. Il dispose d’une placette d’équarrissage naturel grâce aux vautours, qu’il partage avec son voisin.
Au Gaec de La Talvera, Patrick Mayet élève un troupeau composé d’un tiers de caprins et de deux tiers d’ovins. Il dispose d’une placette d’équarrissage naturel grâce aux vautours, qu’il partage avec son voisin.
Ancien naturaliste, Patrick Mayet est éleveur depuis 2014. Depuis 2021, il est installé sur le Larzac, en bordure de la vallée de la Dourbie, en Aveyron. Il fait partie de la centaine de fermiers de la société civile de gestion foncière agricole du Larzac (SC GFA Larzac). Depuis 2023, il partage une placette d’équarrissage naturel avec un voisin éleveur ovin.
Transhumant sur le secteur de pic Saint-Loup, Patrick pratique l’élevage pastoral exclusif, en plein air intégral. Son troupeau ovin, composé de brebis et de moutons principalement de race Raïole, avec quelques Mérina Preta, est complété par des chèvres laitières et allaitantes.
Avant même d’avoir une placette, Patrick pratiquait déjà l’équarrissage naturel en transhumance, grâce à une tolérance réglementaire qui autorise les éleveurs transhumants à laisser les carcasses de leurs animaux morts sur les zones à vautours.
En effet, un arrêté ministériel du 7 août 1998 reconnaît les vautours comme collaborateurs naturels dans la gestion des cadavres d’animaux d’élevage.
« Installer une placette sur ma ferme est surtout en cohérence avec les valeurs de notre élevage », souligne-t-il. La placette, située à 500 mètres de son habitation, est utilisée par les fermes qui se la partagent pour une trentaine de dépôts par an. « La plupart du temps, ce sont des bêtes issues de la prédation ou mortes de maladie. Dès mon arrivée, les vautours resserrent leurs cercles pour descendre sur la placette. Si je mets un peu de temps à décharger, et que c’est la bonne heure, la curée peut avoir lieu très rapidement. »
Des règles et des atouts
« Avoir une placette, c’est une simplification administrative, logistique, économique et sociale. Lorsque nous attendons une semaine que l’équarrissage passe, cela peut créer des conflits de voisinage. Avec une placette, la carcasse est consommée en 24 à 48 heures », explique Patrick.
En théorie, les éleveurs disposant d’une placette bénéficient d’une réduction de 60 % de la cotisation volontaire obligatoire, mais « dans les faits, ce n’est administrativement pas au point », confie Patrick. Si certains s’inquiètent de la proximité entre le troupeau et la placette, l’éleveur rassure : « J’ai intégré la placette dans un parc pour les chèvres. Le chien de protection et le troupeau ont observé les vautours descendre curieusement, ils se sont tenus à distance et il n’y a pas eu d’interaction. »
Valoriser les cornes et les peaux
« Comme j’ai tendance à oublier les boucles des animaux, et comme tous les vautours moines sont bagués, il arrive que le Parc national des Cévennes ou la Ligue de protection des oiseaux (LPO) retrouve des boucles dans les nids lors des contrôles. Cela permet de mener des études sur les distances d’alimentation », explique Patrick, ancien ornithologue bagueur, qui apprécie aujourd’hui de ne pas avoir rompu le lien avec les oiseaux. Cette pratique, non polluante, réduit aussi la consommation d’énergie fossile.
Depuis plusieurs années, l’éleveur valorise les cornes en coutellerie et en instruments de musique, et fait tanner les peaux pour les vendre. Grâce à sa placette, il récupère environ 15 % des peaux qu’il y dépose, ainsi que les cornes dès le lendemain de la curée. « C’est hallucinant comme les vautours travaillent mieux que nous. Ils n’abîment rien. » Pour cela, il a dû obtenir un agrément de stockage auprès des services vétérinaires. Il commercialise ses produits en vente directe : marchés et boutique de producteurs.
En chiffres
350 animaux adultes (ovins et caprins)
180 jeunes animaux
3 UTH
2 associés + saisonniers
5 chiens de conduite
3 chiens de protection
Dictionnaire
Curée : la consommation d’une carcasse par des vautours
Lila Damian, chargée d’étude vautours et activités d’élevage LPO Grands Causses
Comment disposer d’une placette ?
« Il faut se trouver dans un département où la présence des vautours est suffisamment importante pour que l’équarrissage soit possible toute l’année. L’éleveur constitue un dossier auprès de l’organisme compétent : le Parc national des Cévennes en Lozère, la Ligue de protection des oiseaux (LPO) des Grands Causses en Aveyron et le nord du Gard.
Nous déposons ensuite la demande aux services vétérinaires. Le choix du lieu se fait ensemble : de préférence sur une parcelle de l’exploitation, à plus de 200 mètres d’un cours d’eau et à plus de 500 mètres des habitations. Nous privilégions un terrain en pente, sans arbre et avec une hauteur dégagée pour que les vautours repèrent et redécollent facilement. Il ne doit pas y avoir de chemin à proximité, afin d’éviter tout dérangement pendant la curée.
Un environnement sûr pour les vautours
La LPO vérifie également que la zone ne présente pas de risque d’électrocution ou de collision avec des lignes électriques ou des éoliennes. Avant la mise en place, puis une fois l’autorisation obtenue, l’éleveur doit réaliser un test de tremblante, obligatoire pour le suivi sanitaire.
Et pour ceux qui ne peuvent pas disposer d’une placette, la LPO continue d’assurer une collecte trois fois par semaine dans 18 exploitations du territoire. Les seules restrictions de dépôt, une fois l’arrêté préfectoral obtenu, sont la limite de 500 kilos par jour et l’interdiction de déposer des animaux euthanasiés par voie médicamenteuse. »
L’équarrissage naturel sur les Causses et les Cévennes en chiffres
Plus de 400 élevages de petits ruminants
2010 : installation des premières placettes
130 tonnes de cadavres éliminés chaque année par les vautours
400 tonnes collectées par les sociétés d’équarrissage
50 000 cadavres ovins/an, 15 000 gérés naturellement
1 élevage sur 3 dispose d’une placette
Plus de 130 placettes : 54 en Aveyron, 47 en Lozère, 18 dans le Gard, 10 en Ardèche, 6 dans l’Hérault
Une consommation partagée de la carcasse
Dans les années 1980, le Fonds d’intervention pour les rapaces (qui a depuis rejoint la LPO) a lancé la réintroduction du vautour fauve sur le plateau des Grands Causses. Une soixantaine d’oiseaux ont été relâchés en partenariat avec les éleveurs, qui ont vite perçu l’intérêt des placettes. Le vautour moine a suivi dans les années 1990 avec un programme de réintroduction spécifique.
Le vautour percnoptère, lui, est revenu naturellement : trois couples sont désormais présents. Enfin, le gypaète barbu a fait l’objet de lâchers à partir de 2012, dans les Grands Causses et les Préalpes ; une dizaine d’individus sont recensés localement, mais aucun couple reproducteur.
Chaque espèce joue un rôle différent dans la consommation de la carcasse. Le vautour fauve est le premier à arriver : grégaire, il repère la dépouille, ouvre les orifices naturels puis dévore muscles et viscères. Le vautour moine prend ensuite le relais sur les parties plus dures : tendons, cartilages, peau. Le vautour percnoptère intervient une fois la curée plus calme, en récupérant les restes, mais aussi en se nourrissant d’insectes présents dans les bouses. Le gypaète barbu, enfin, est spécialisé dans les os, qu’il casse en vol pour en consommer la moelle.