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« Nous produisons deux fois plus de lait à moindre coût »

Au Gaec du Calvaire, dans le Pas-de-Calais. Grâce au groupe lait et au soutien de son père, Simon Bellenguez a réussi à produire 1,2 million de litres de lait tout en baissant les charges du Gaec.

Simon Bellenguez s’est installé en Gaec avec son père à Renty en juin 2014, avec un BTS Productions animales en poche. « Je m’étais inscrit pour faire une licence pro, mais comme un voisin voulait arrêter, j’ai annulé mon inscription et je me suis installé », se remémore-t-il sans regrets. Dès son arrivée, Hugues, son père, lui a confié la responsabilité du troupeau. « Il faut faire confiance aux jeunes, même si au début cela fait un peu peur », assure Hugues Bellenguez avec conviction. Ce fut notamment le cas lorsque le correcteur acheté dans le commerce a été remplacé à la demande de Simon par du tourteau de colza. « Le commercial nous a dit à l’époque que nous faisions une grosse erreur », indique le père. Avec du recul, ce choix s’avérait très pertinent. « L’achat de tourteau de colza en grande quantité en suivant les cotations et l’abandon du DAC ont été un de nos plus gros changements dans la conduite du troupeau. »

L’arrêt de l’emploi systématique d’hépatoprotecteur, l’achat de minéral conditionné en big-bag et moins riche en phosphore grâce au tourteau de colza distribué dans la ration ont également contribué à diminuer le coût alimentaire. Cette stratégie couplée avec l’emploi de fourrages de qualité a permis de diminuer le coût alimentaire de 103 €/1 000 l en 2014-2015 à moins de 74 €/1 000 l lors des deux dernières campagnes. Le tout en augmentant le niveau de production laitière par vache présente de 8800 à 9500 litres et en doublant le lait produit dans l’élevage.

Baisse de 30 €/1 000 l du coût alimentaire

55 logettes équipées de matelas ont été installées dans la nouvelle partie du bâtiment pour pallier le manque de paille, diminuer le risque de mammites et la charge de travail.
55 logettes équipées de matelas ont été installées dans la nouvelle partie du bâtiment pour pallier le manque de paille, diminuer le risque de mammites et la charge de travail. © F. Mechekour

L’impact qu'aura la hausse du prix des matières premières depuis plusieurs mois est difficile à évaluer. Le Gaec achète 210 tonnes de tourteau de colza par an. « Quand j’ai commencé à en acheter en 2016, je le payais moins de 200 €/t. Celui qui nous a été livré en août, nous l’avons payé 224 €/t parce que c’était un vieux contrat. Mais pour la commande passée en septembre (27 tonnes), le prix a grimpé à 259 €/t auxquels il faut ajouter 11 €/t pour le transport. »

Sa confiance dans les jeunes, Hugues Bellenguez l’accorde également à Hadrien, son second fils. Âgé de 22 ans, et titulaire d’un BTS Acse, il est salarié du Gaec depuis mars 2021. Auparavant, il a été deux ans apprenti sur l'exploitation. Hadrien s’installera dès qu’une opportunité de récupérer des terres à proximité de l’exploitation se présentera ou lors du départ en retraite de leur père (54 ans). Les deux frères jouent la carte de la complémentarité tout en étant polyvalents. Simon gère le troupeau et Hadrien les cultures. Un partage de responsabilités qu’Hadrien résume avec humour. « Quand on a un frère comme Simon pour s’occuper du troupeau, c’est difficile de rivaliser. » Le conflit de générations n’a pas eu lieu. Simon et Hadrien apprécient à sa juste valeur la chance qu’ils ont d’avoir des parents qui les soutiennent.

Le trio est aujourd’hui à la tête d’une exploitation de 130 hectares avec un droit à produire de 698 600 litres de lait. Surface et référence ont quasiment doublé lors de l’installation de Simon. La multiplication par deux s’applique également au lait produit lors des deux dernières campagnes (1,2 Ml) par rapport à la référence du Gaec.

Environ 70 % de ce lait est collecté par Danone, dont 63 % en volume A et 7 % en B. « Nous dépassons notre référence, mais comme le volume collecté par Danone Bailleul ne dépasse pas 105 % de la référence globale de la laiterie, nous ne sommes pas pénalisés. »

Les 30 % restants sont collectés et commercialisés par la SAS Hauts de France Dairy. Danone Bailleul ayant exprimé sa volonté de réduire sa collecte, trois organisations de producteurs du Nord-Pas de Calais-Picardie-Ardennes (Danone, Lactalis et Novandie) ont créé cette société commerciale pour trouver de nouveaux débouchés. La SAS Hauts de France Dairy a démarré sa collecte en octobre 2017. 

Les associés ont saisi cette opportunité pour produire plus de lait. « Nous avions le bâtiment et le cheptel pour le faire, donc nous l’avons fait. Cela nous a permis de diluer nos charges. C’était d’autant plus bienvenu que je venais de m’installer », argumente Simon Bellenguez.

La politique de Danone Bailleul inquiète

Ce dernier avoue ne pas être rassuré par la stratégie de sa laiterie. « La politique de Danone fait peur. Quand je me suis installé, Danone Bailleul collectait 240 millions de litres de lait. Puis c’est descendu à 223 millions de litres en 2020. Et nous avons entendu parler d'une demande de baisse supplémentaire de la part de Danone. Les départs en retraite ne suffisent plus pour absorber les baisses de volumes. Sans la SAS, nous serions encore bloqués à 700 000 litres de lait. » 

Côté bémol, l’écart de prix entre le lait valorisé par la SAS et celui collecté par Danone s’est amplifié durant les deux dernières campagnes. En 2019-2020, le lait en volume A a été payé 355 €/1 000 l contre 335 €/1 000 l pour le volume B. Celui du lait collecté par la SAS a été de 305 €/1 000 l, soit 50 €/1 000 l de moins par rapport au lait en volume A. Cet écart a augmenté à 70 €/1 000 l lors de la campagne 2020-2021 : 353 €/1 000 l pour le volume A contre 283 €/1 000 l pour le lait commercialisé par la SAS. « Cette baisse était liée au fait qu’une grosse partie du lait était vendue à la laiterie belge Milcobel. Ce n’est plus le cas depuis janvier. Depuis, le lait collecté par la SAS est mieux payé. » En juillet et août derniers, l’écart est redescendu à 50 €/1 000 l : 320 et 323,69 €/1 000 l contre 373,70 et 377,61 €/1 000 l pour le prix de base A chez Danone.

Assez de vaches et de places dans le bâtiment

Techniquement parlant, l’évolution du volume de lait produit n’a pas posé de problème pour plusieurs raisons. La capacité de logement de la stabulation avait déjà été doublée lors de l’installation de Simon en prévision d’une hausse de référence. Lors de l’adhésion à la SAS, il y avait donc suffisamment de places pour absorber l’augmentation de l’effectif de vaches à traire. L’extension du bâtiment n’a pas eu d’impact sur la qualité de la ventilation naturelle. « Nous sommes dans un secteur très bien exposé aux vents. »

Par ailleurs, l’évolution du nombre de vaches s’est faite sans achats extérieurs. « Mon père avait trop de vaches depuis plusieurs années. Il en vendait une bonne dizaine par an. Quand on a su que j’allais m’installer, il a arrêté d’en vendre et toutes les génisses ont été inséminées avec de la semence sexée. »

Cette stratégie a tellement bien fonctionné qu’aujourd’hui il y a trop de génisses dans le troupeau. « L’année dernière, j’ai vendu quinze génisses et cette année je vais encore me faire avoir », constate Simon Bellenguez. Deux leviers ont été mis en place pour inverser la tendance. Les moins bonnes vaches et celles qui ont du mal à remplir sont croisées avec du Blanc bleu belge depuis quatre ans. Toutes les génisses sont génotypées. Le tiers supérieur est inséminé avec de la semence sexée.

120 vaches traites conduites en deux lots

Le troupeau est conduit en deux lots. Les vaches en début de lactation (120 à 140 jours) sont logées dans la partie équipée de logettes « parce qu’elles sont plus sensibles aux mammites ». Elles sont conduites en zéro pâturage. « Elles ont juste un hectare pour se promener ou se coucher en été. » Ce lot consomme toute l’année une ration concoctée par un technicien d’Oxygen conseil élevage. En septembre, elle se composait de 36,5 kg brut d’ensilage de maïs, 11 kg de pulpe surpressée, 3,5 kg d’enrubannage, 4,2 kg de tourteau de colza, 1 kg de tourteau tanné, 300 g de minéral 0-30-10 et 110 g d’urée. Cette ration est équilibrée à 36 kg de lait.

Les rendements de l’ensilage de maïs - indice 220-240 sont réguliers autour de 16 et 18 t MS/ha. Mais, cette année, la taille des épis laisse planer un doute sur sa qualité.
Les rendements de l’ensilage de maïs - indice 220-240 sont réguliers autour de 16 et 18 t MS/ha. Mais, cette année, la taille des épis laisse planer un doute sur sa qualité. © F. Mechekour

Logé sur aire paillée, le second lot a accès à douze hectares de pâtures. « Nous avons la chance d’avoir un parcellaire très groupé. La ferme que j’ai reprise avait des terres autour des nôtres. Cela nous a permis d’agrandir les parcelles. » Quatre hectares de mélange à base de plusieurs RGA, de fétuque des prés, trèfle blanc et incarnat ont été implantés il y a quatre ans dans le cadre d’une MAEC création d’un couvert herbacé. « Heureusement que nous touchons une prime de 447 €/ha/an parce que dans notre secteur, étant donné le potentiel de rendement des cultures, nous n’avons pas vraiment intérêt à faire de l’herbe. » Ces quatre hectares sont enrubannés une fois avant d’être pâturés. En septembre, la ration du second lot de vaches contenait environ 2,5 kg MS d’herbe. Cette ration était équilibrée à 28 kg de lait.  

Pas question de produire plus de lait 

La TPA 2x9 est équipée du système automatisé de trempage et désinfection des manchons d’ADF Milking pour améliorer le confort de traite, et d’un brumisateur pour éloigner les mouches.
La TPA 2x9 est équipée du système automatisé de trempage et désinfection des manchons d’ADF Milking pour améliorer le confort de traite, et d’un brumisateur pour éloigner les mouches. © F. Mechekour

En sept ans, Simon Bellenguez a refaçonné la conduite du troupeau, avec à la clé une baisse du coût alimentaire, du taux de renouvellement, de l’âge au premier vêlage… Les échanges avec d’autres éleveurs au sein du groupe lait du Geda du Haut Pays ont beaucoup contribué à ce résultat, relate Simon Bellenguez. « Lors de la première réunion avec le groupe, j’ai pris une claque. J’ai pris conscience que nos charges étaient beaucoup trop élevées. C’est la septième gestion technico-économique que je fais. Cela permet de voir l’évolution des résultats. »

Le Gaec est désormais en rythme de croisière. « On ne peut plus grapiller grand chose au niveau des charges. » La poursuite de la baisse du taux de renouvellement et la meilleure valorisation de l’herbe sont des pistes proposées par Jean-Michel Cadet, conseiller agricole à la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois.

L’idéal pour le Gaec serait de continuer à produire 1,2 million de litres de lait. « Nous sommes au taquet à tous les niveaux. Même si mon frère s’installe, nous ne produirons pas plus de lait. Si Danone lui accorde 300 000 litres de lait en volume A dans le cadre de son installation, nous les produirons. En revanche, nous baisserons d’autant le volume contractualisé avec la SAS. »

Chiffres clés

En 2019-2020 :

SAU : 130 ha dont 29 ha d'herbe, 5,5 ha de pomme de terre, 33 ha maïs ensilage, 45,2 ha de céréales, 6,1 ha de pois de conserve, 10,5 de betteraves sucrières
Troupeau : 126 Prim’Holstein à 9 738 l par vache présente
Lait contractualisé : 1,210 million de litres
Lait produit : 1,228 million de litres
Chargement : 2,36 UGB/ha de SFP 
Main-d’œuvre : 2,7 UMO

Une ration sèche fermière pour les génisses

Avec un objectif de vêlage à 22-24 mois, le Gaec distribue une ration sèche et contrôle la croissance de ses génisses trois fois par an.

Les génisses sont en ration sèche jusqu’à un mois avant leur vêlage. Elles découvrent ensuite l’ensilage de maïs.
Les génisses sont en ration sèche jusqu’à un mois avant leur vêlage. Elles découvrent ensuite l’ensilage de maïs. © F. Mechekour

« La ration sèche, c’est super pour la croissance des génisses », apprécie Simon Bellenguez. Ce critère est d’autant plus important pour l’éleveur qu’il vise un âge au premier vêlage à 22-24 mois contre 24-25 mois actuellement. « Avant j’estimais leur croissance avec un ruban. Mais depuis un an, je les fais peser trois fois dans l'année par le contrôle laitier. Cela me permet de mieux suivre leur courbe de croissance. »

La version fermière permet de maîtriser son coût autour de 250 €/t. Autre avantage, elle libère des surfaces fourragères qui peuvent être valorisées en cultures de vente. « C’est d’autant plus intéressant que le potentiel agronomique des terres est bon ici », note pour sa part Jean-Michel Cadet.

De l’ensilage de maïs un mois avant le vêlage

De la naissance au sevrage, le lait (jusqu’à 10 l par jour en deux repas avec 150 g de poudre par litre) est complété par un aliment du commerce (305 €/t en 2021) à base de maïs floconné, d’orge aplati et de tourteau de colza. Ce dernier est distribué à volonté jusqu’à 5 mois. Puis les génisses passent progressivement à la ration sèche. Cette dernière se compose de paille distribuée à volonté complétée par un mélange de blé, orge et maïs grain (70 %) et de tourteau de colza (30 %). Elles en consomment jusqu’à 6 kg/j distribués en deux fois.

Avis d’expert : Jean-Michel Cadet, conseiller agricole à la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois

« La meilleure marge brute du groupe »

Jean-Michel Cadet, conseiller agricole à la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois.
Jean-Michel Cadet, conseiller agricole à la communauté de communes du Haut-Pays du Montreuillois. © F. Mechekour

« Dès son installation, Simon a été rapide dans les progrès parce qu’il a osé se remettre en cause et a bénéficié du soutien de ses parents. Le Gaec a la meilleure marge brute parmi les éleveurs spécialisés lait. Les tours de vis réguliers dans la maîtrise des charges opérationnelles ont permis une économie de plus de 50 €/1 000 l en six années. Cela a contribué à améliorer la marge brute malgré l’effet laiterie avec un prix relativement bas du lait livré : 329 € en 2020-2021 contre 344 € pour le groupe. Conforté par l’expérience du groupe lait, Le Gaec a évolué vers des concentrés simples : tourteau de colza stocké par 25 tonnes et contractualisé à l’avance pour des prix intéressants. La qualité des fourrages est une priorité pour réduire les concentrés, notamment avec de bons potentiels de maïs ensilage, des resemis d’herbe et le recours à de la pulpe surpressée. La conduite des vaches laitières se fait en deux lots pour ajuster au mieux l’alimentation hivernale et la conduite à l’herbe. L’alimentation lors de la période de tarissement a été revue et scindée en deux phases pour un démarrage en lactation plus serein. »

 

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