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« Une réflexion très construite sur la finalité du croisement »

Le choix des taureaux viande destinés au croisement doit être pensé aussi finement que la sélection des doses laitières et doit tenir compte de la filière dans laquelle seront valorisés les veaux.

Le croisement industriel n’est plus seulement une opportunité mais bien un modèle construit techniquement et économiquement, affirme Luc Voidey, directeur technique de la coopérative d’insémination Elitest, en Lorraine. D’un côté, la révolution des technologies - sexage de la semence et ouverture du génotypage aux femelles - permet un renouvellement choisi. De l’autre, le croisement industriel sur des vaches moins sujettes à assurer une descendance permet de mieux valoriser les veaux. » Il précise un modèle parmi d’autres : un tiers des IA - principalement sur des génisses - en semence sexée, un tiers en semence conventionnelle et un tiers en croisement. D’autres stratégies sont possibles. « Sans sexage, les éleveurs sont entre 15 à 30 % maximum de croisement, expose pour sa part Michel Deraedt, du BTPL. Avec du sexage, certains montent jusqu’à 40 %, voire 50 % s’ils n’ont pas besoin d’un renouvellement fort. Cela permet théoriquement un renouvellement de 25 %. » Mais, si on ne veut pas que les veaux croisés soient un simple sous-produit de l’atelier lait et qu’ils participent réellement à l’amélioration du coproduit viande, « il faut avoir une réflexion très construite sur la finalité du croisement », poursuit-il. Ce qui signifie choisir les taureaux de croisement selon la filière dans laquelle seront valorisés les veaux.

Facilité de naissance et conformation ne sont pas incompatibles

Pour vendre du veau de trois semaines, destiné à la production de veau de boucherie, il faut privilégier la muscularité précoce, avec des races comme le Blanc Bleu Belge, le Charolais culard ou l’Inra 95, voire du Limousin. Pour un éleveur qui engraisse ses mâles en jeunes bovins, le choix de races plus tardives (Charolais, Blonde d’Aquitaine, Limousin) est plus approprié. Des filières comme Herbopack (voir ci-contre) ont choisi des races plus précoces (Angus, Hereford…) pour produire des carcasses plus légères. « Les deux ou trois possibilités peuvent se combiner, explique Luc Voidey. Avec des taux de croisement élevés, on peut, en fonction des ressources de l’exploitation, destiner une partie des veaux croisés à la filière veau de boucherie et à côté, soit développer une petite production de 10 - 15 bœufs type Herbopack pour valoriser des surfaces en herbe, soit maintenir un petit atelier d’engraissement en le limitant à une quinzaine ou une vingtaine de taurillons par an. » Le directeur technique d’Elitest n’ignore pas que les éleveurs laitiers privilégient la facilité de naissance afin de ne pas pénaliser les capacités de production de la vache. Mais, dit-il, facilité de naissance et conformation ne sont pas forcément incompatibles.

En Blanc Bleu, des taureaux intermédiaires ou confirmés

Ainsi, en Inra 95, un taureau comme Hercule combine bien les deux caractères. Les programmes de sélection des taureaux Charolais à muscularité précoce proposent aussi des reproducteurs équilibrés. « En Blanc Bleu Belge, nous avons un peu plus de difficultés parce qu’il n’y a pas d’indexation du veau croisé sur la facilité de naissance, comme dans le système français, reconnait-il. Nous privilégions des taureaux un peu plus intermédiaires pour ne pas prendre de risque ou des taureaux plus confirmés. Et, quand un taureau marche bien, vu qu’il est destiné au croisement terminal, nous le maintenons au catalogue tant qu’il est disponible. Une des voies demain, pour répondre au problème de l’hétérogénéité des veaux croisés femelles et être plus en adéquation avec les attentes du marché, sera d’utiliser de la semence sexée mâle pour les taureaux viande. Nous essayons d’introduire dans tous les segments de race des taureaux sexés mâles. » Un peu moins chers que les sexés laitiers (25 à 35 € la dose), ils représentent tout de même un surcoût de 20 €. Mais, l’écart de prix qui se creuse entre veaux croisés semble pouvoir compenser largement ce surcoût.

« Un taux de renouvellement choisi et non pas subi »

Avec le sexage et le croisement, la réflexion sur le taux de renouvellement reste tout aussi indispensable. « L’éleveur doit avoir en tête qu’amener une génisse jusqu’au vêlage coûte cher et qu’il faut valoriser cette phase non productive, rappelle Luc Voidey. Le taux de renouvellement doit être choisi et non pas subi. Il peut être élevé dans des situations où l’éleveur est en capacité de valoriser des reproducteurs sur des marchés d’exportation par exemple ou des vaches de réforme qui apportent un produit viande intéressant, comme la Simmental. Par rapport aux débuts de la semence sexée, qui a pu être à l’origine d’un excédent de génisses et d’un taux de renouvellement non choisi, aujourd’hui, dans un contexte de marché de la génisse plus difficile, le croisement industriel peut être l’alternative. Il amène à se poser la question du bon taux de renouvellement pour son troupeau. »

Combien ça coûte ?

Pour 100 vaches et génisses

En conventionnel et race pure (1,8 IA/IAF) : 70 doses à 22 € et 30 doses à 11 € en IAP ; 80 doses à 11 € pour les retours.

Coût de la semence = 2 750 €.

En semence sexée et croisement (1,9 IA/IAF) : 65 doses sexées à 42 € et 35 doses de croisement à 8 € en IAP ; 57 doses lait conventionnelles à 11 € et 28 doses de croisement pour les retours.

Coût de la semence : 3 861 €

Différence = 1 111 €, financée par les 35 veaux croisés valorisés au minimum 31 € de plus que les veaux laitiers.

Herbopack : une valorisation ciblée du croisement

L’Union de coopératives Cloé, en Lorraine et Alsace, a lancé en 2016 une filière de production de viande à partir du troupeau laitier, Herbopack. Il s’agit d’animaux jeunes (bœufs castrés et génisses de 20 à 30 mois) issus de croisements avec des races à viande alliant précocité et production de carcasses légères (260 à 350 kg), en phase avec la demande actuelle du marché. Cinq races ont été retenues dans le cahier des charges : Hereford, Angus, Vosgienne, Limousine, Stabiliser (souche composite initialement sélectionnée aux États-Unis et développée en France par Elitest). Le cahier des charges impose également une conformation allant de O + à P + et un état d’engraissement de 3. Ces animaux sont destinés à l’entreprise Charal et sont censés répondre aux attentes de plus en plus fortes de consommateurs qui recherchent une viande rouge, tendre, juteuse et produite à l’herbe, mais aussi un prix de vente « supportable », donc des portions petites. Charal développe cette filière dans d’autres régions françaises (Ouest, Nord, Nord-Est) avec un objectif de production de 10 000 animaux par an d’ici à 2020.

« Valoriser les importantes surfaces en herbe »

Dans l’Est, un contrat est signé entre l’éleveur, son groupement et Charal. Il garantit à l’éleveur un prix minimal de 3,30 €/kg carcasse. « Nous avons vu dans cette démarche l’opportunité de développer le croisement sur le troupeau laitier et de valoriser les importantes surfaces en herbe dont nous disposons en Lorraine, explique Pascal Kardacz, responsable technique de Lorca Elevage, une des coopératives de l’union Cloé. Avec la spécialisation laitière, la majorité des producteurs ont abandonné le pâturage et développé la part d’ensilage de maïs, libérant des pâtures souvent sous-valorisées. »

L’idée est d’élever ces animaux avec un coût de production maîtrisé en privilégiant la croissance à la pâture avec un objectif de croissance naissance - abattage de 830 g/jour. Vendus à 630 kg vifs (1 100 €/tête), ces bœufs peuvent dégager une marge sur coût alimentaire d’environ 520 €. Par rapport à une production de bœufs laitiers traditionnels (34 mois), un élevage de 80 vaches qui engraisserait 34 bœufs Herbopack dégagerait un supplément de marge de 14 650 €, selon les simulations économiques de Pascal Kardacz.

B. G.

Des croisements novateurs à l’étude en Bretagne

Interbev Bretagne étudie la faisabilité d’une production de jeunes mâles castrés et génisses de 14 - 15 mois (carcasses notées R de 280 - 300 kg) issus de croisements viande avec des femelles Prim’Holstein. L’objectif est de trouver de nouvelles valorisations des veaux croisés pour pallier le marasme du veau de boucherie, tout en ne déstabilisant pas la filière bovine. Ces animaux seraient destinés à la RHD et au fond de rayon de la grande distribution, deux segments de marché couverts par des importations, voire à l’exportation. Trois races de croisement sont testées : Limousin, Angus, Hereford. L’étude est conduite à la ferme expérimentale de Mauron (Morbihan). Les premiers lots d’animaux abattus laissent augurer des résultats prometteurs, aussi bien en termes de qualités et poids de carcasses et muscles que d’acceptabilité par les consommateurs, testée par le centre culinaire contemporain de Rennes. Deux régimes alimentaires d’engraissement sont comparés : maïs ensilage à volonté ; ensilage de maïs et d’herbe. Reste à établir l’intérêt économique de cette production.

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