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Gaec de Rouquette, en Haute-Garonne
Une productivité du travail exceptionnelle

A deux, ils produisent un million de litres de lait. Derrière cette performance, il y a une remarquable efficacité d’un couple et le parcours d’une femme qui, face à l’adversité, n’a jamais baissé les bras.

Il n’est pas coutume dans nos colonnes d’évoquer la vie privée de nos interlocuteurs. Mais la vie professionnelle de Viviane Ramondenc et son parcours personnel sont si intimement liés qu’il est difficile d’en faire abstraction. Elle et son conjoint, Bruno Roumagnac (Gaec de Rouquette), gèrent une exploitation de 112 hectares dont 29 de cultures de vente, à Buzet-sur-Tarn (Haute-Garonne), une zone de coteaux où les élevages laitiers sont de plus en plus rares. Ils produisent un million de litres de lait avec un troupeau de 120 vaches. La productivité de la main-d’œuvre (500 000 litres/UMO) est le point fort de cette exploitation. L’organisation du travail est d’une remarquable efficacité. « Tout est optimisé, il n’y a jamais de temps perdu », résume Richard Gourmanel, conseiller d’élevage. Les travaux aux cultures sont délégués en quasi totalité. La conduite du troupeau a été simplifiée, au prix toutefois d’un coût alimentaire un peu élevé. Mais, en fin de compte, la rémunération du travail est d’un très bon niveau (2,14 smic/UMO en 2014-2015 en approche comptable et 3,4 en approche trésorerie ; respectivement 1,3 et 2,4 smic en 2015-2016).

« Je réveillais mes enfants de la salle de traite »

Pourtant, l’avenir de Viviane Ramondenc dans la production laitière n’était pas tracé d’avance. « La question s’est posée plusieurs fois d’arrêter », dit-elle. Particulièrement au décès de son mari en 2003. Elle s’est installée en 1992 à la fin de ses études à l’école d’ingénieurs de Purpan après avoir été stagiaire sur l’exploitation de celui avec lequel elle partagera plus de dix ans de sa vie et aura quatre enfants. L’exploitation produisait déjà 600 000 litres de lait. « Beaucoup m’ont dit que je n’arriverais pas à poursuivre seule. J’ai abordé cette situation comme un défi. Il me paraissait important de continuer pour mes enfants qui avaient entre 4 et 8 ans. Cela m’a permis de m’occuper d’eux et de travailler en même temps. Je les réveillais au téléphone, de la salle de traite. » Le salarié de l’exploitation, Bruno Roumagnat, deviendra son conjoint et s’installera en 2006. Ensemble, ils auront deux enfants. Une amie vient aider à la maison quatre matinées par semaine pour assurer l’intendance familiale et permettre à Viviane de se consacrer pleinement à la conduite du troupeau.

« Augmenter la production pour financer les investissements »

Après ce nouveau départ, la production s’est fortement développée par le biais d’attributions gratuites. Dès le milieu des années 2000, le conseil général de la Haute-Garonne rachetait le lait des cédants — nombreux dans le département — pour le redistribuer. « Nous sommes à un million de litres depuis quatre ou cinq ans, détaille Viviane Ramondenc. Augmenter la production nous a toujours paru le meilleur moyen de financer les investissements. Mais nous l’avons fait sans investir exagérément. » De par la précarité de sa situation — bail de neuf ans et non propriété des bâtiments —, le couple a toujours essayé « d’autofinancer les travaux », d’autoconstruire, avec l’aide du père de Bruno, et de ne pas s’endetter lourdement. La stabulation, dont la partie d’origine date de 1974, a néanmoins été régulièrement agrandie et réaménagée, de sorte qu’elle reste fonctionnelle. La réfection de la salle de traite en 2008 (2 x 8 places TPA), la transformation de l’aire paillée en logettes en 2011/2012 et la construction d’un bâtiment pour les génisses ont permis d’améliorer les conditions de travail.

Rationnaliser le système et réduire le nombre de vaches

« Aujourd’hui, nous ne cherchons plus à augmenter la production, mais à rationnaliser le système quitte à produire moins, vu la conjoncture, et à avoir moins d’animaux », poursuivent les éleveurs. Ils continuent néanmoins à élever toutes les génisses. C’était utile en période de croissance du cheptel et pour faire face à des problèmes de cellules et mammites, aujourd’hui en grande partie résolus grâce aux logettes et à la sélection. Réticents à « brader des vaches à la boucherie », ils pensaient vendre des génisses ou des vaches jeunes pour la reproduction, mais le marché n’y est plus. C’est ainsi qu’ils se retrouvent avec 125 vaches dont près de 50 primipares. Ils font abattre également une dizaine de vaches de réforme et quelques veaux pour de la vente directe de viande. Elles s’engraissent pendant la fin de la lactation dans le troupeau « Il faudrait stabiliser le troupeau à 100-110 vaches à la traite car tout est calé sur ce nombre : la capacité du bâtiment (107 logettes et 100 places au cornadis), la capacité de la mélangeuse, le travail..., recommande Richard Gourmanel. En croisière et sans problème majeur, 25 génisses suffiraient pour assurer le renouvellement. Et, cela permettrait d’améliorer l’âge au vêlage [ndlr : 28 mois]. » À l’avenir, ils vont inséminer moins de vaches en race pure, ne pas insister sur les bêtes en échec de reproduction et augmenter le croisement. Mais, reconnait Viviane Ramondenc, « quand on a toujours été sur un objectif de développement, il est difficile de ralentir ».

Correcteur azoté : un mash espagnol à 333 euros la tonne

La reproduction (450 jours d’IVV, 30 % de réussite en 1re IA) reste à améliorer aussi. « C’est un problème de surveillance en lien avec le travail, admettent les éleveurs. L’an dernier, nous avons fait l’acquisition du système de monitoring Medria. Les choses sont en train de s’améliorer. » Les objectifs de sélection portent également sur la reproduction, ainsi que sur l’amélioration des membres depuis le passage aux logettes.

La simplification du rationnement est un des points clés de la productivité du travail. La ration complète comprend 35 kilos de maïs, cinq kilos de drèche de brasserie, trois kilos de foin de luzerne et paille et 1,5 kilo de céréale (maïs ou triticale). La complémentation azotée est assurée par 5,5 kilos de mash espagnol à 40 % de protéine brute composé de tourteaux de soja et colza, de graine de coton et du minéral nécessaire pour équilibrer la ration (333 €/t). « Le mash n’est sans doute pas la solution la plus économique mais nous avons fait ce choix par rapport au travail, expliquent Viviane Ramondenc et Bruno Roumagnac. Cela facilite la gestion des stocks. Il a permis aussi d’augmenter le lait par vache et d’avoir une production plus stable, entre 26 et 30 litres. Par contre, il a un impact négatif sur le TB. Nous avons noté également un effet positif sur la santé des animaux. »

Éliminer les animaux improductifs pour mieux valoriser le concentré

Sur la dernière campagne (2015/2016), le coût du concentré est de 86 euros par mille litres (292 g/l de lait) et le coût de la ration de 115 euros par mille litres. La moyenne économique est de 8 500 litres par vache. « Le coût de ration reste dans la moyenne des groupes GTE du département, compare Richard Gourmanel. Dans la région, les maïs irrigués, très riches en amidon, demandent beaucoup de correcteur pour les équilibrer. Le coût alimentaire reste malgré tout un aspect à travailler. Il ne faut pas baisser la densité de la ration car cela pénaliserait les grosses laitières mais éliminer les animaux improductifs, qui consomment inutilement du concentré. L’amélioration de la reproduction, qui est en cours, devrait y contribuer. Idéalement, il faudrait aussi engraisser les vaches de réforme à part. Mais, cela compliquerait le travail et les bâtiments ne s’y prêtent pas. » Sept hectares de méteil (ensilage et grain) ont été implantés cette année pour abaisser un peu le coût de la ration.

« Passer la crise sans trop de dégât et ne pas créer de dettes »

Malgré une charge de travail raisonnable et une organisation pensée pour supprimer les pointes de travail, le couple reconnaît que sa situation « n’est pas vivable dans la durée » et surtout qu’elle est fragile. Sur leur secteur, il n’y a pas de service de remplacement. Ils avaient envisagé l’embauche d’un salarié d’exploitation, voire une association. Mais, un échec les a dissuadés de poursuivre dans cette voie : « Il n‘y a pas de culture de l’élevage dans notre région. De toute manière, avec le prix du lait actuel, il ne serait pas possible d’embaucher. » Dans l’immédiat, l’objectif est de « passer la crise sans trop de dégâts et de ne pas créer de dettes, explique Viviane Ramondenc, très vigilante sur les résultats financiers. Nous avons toujours cru à la production laitière. Mais, si la crise perdurait, on se poserait la question d’arrêter. Sur 120 hectares, il serait difficile de vivre avec des grandes cultures, mais nous avons aussi un petit revenu photovoltaïque. Dans deux ans, nous n’aurons plus d’emprunt sur l’activité laitière. Nous pourrons alors décider soit d’arrêter soit de continuer plus sereinement. » La vice-présidente de l’OP Solaisud (livreurs de l’usine Lactalis de Montauban) regrette aussi que le groupe laitier soit « le moins-disant au niveau du prix » et qu’il ne « donne pas de signaux positifs à ses producteurs ». Bref, une exploitation parfaitement représentative des problématiques de la production laitière dans les coteaux du Sud-Ouest, fortement restructurée mais avec de grandes interrogations quant à son avenir.

Chiffres clés
112 ha dont 22 ha de maïs grain, 14 ha d’orge, 5 ha de blé, 1,4 ha de féverole, 26 ha de maïs ensilage, 1,5 ha de trèfle-ray-grass dérobé, 36 ha de prairies temporaires et 9 ha de prairies permanentes. 20 ha de prairies sont ensilés, principalement des luzerne-dactyle. 50 ha (maïs, luzerne) sont irrigués.
125 Prim’Holstein à 8 500 litres
1 million de litres de lait produits
2,4 UMO dont 0,1 salarié, 0,3 bénévole (père de Bruno) et stagiaire
2,5 UGB/ha de SFP

Délégation de travaux culturaux à un agriculteur

La quasi totalité des travaux extérieurs sont délégués (semis et traitements, ensilage rendu silo, épandage du lisier...). Bruno Roumagnac gère essentiellement le travail du sol, la récolte du foin et de la paille et l’irrigation. Les travaux culturaux sont réalisés par un agriculteur, qui s’est constitué en ETA pour gérer les cultures de cinq ou six autres fermes. Cela lui permet d’avoir du matériel très performant et de réduire ses coûts de mécanisation. Fort de gros volumes, il négocie également les intrants pour tout le groupe et assure gratuitement le conseil technique. Agréé OS, il stocke, sèche et vend le maïs grain. « Comme il le fait aussi pour lui, il est très réactif et très consciencieux, explique Bruno Roumagnac. Il surveille nos parcelles pour les traitements. Et, il ne facture pas plus cher qu’une ETA classique. »

Un programme de travail pré-établi

Il n’est qu’à voir la concentration de Viviane Ramondenc pendant la traite pour comprendre pourquoi les conseillers insistent autant sur l’efficacité du couple d’éleveurs en termes de travail. « Ils forment un binôme très complémentaire, observent-ils. Viviane, à la fois pour le côté éleveur — elle est très observatrice — et le côté gestionnaire. Peu d’éleveurs sont capables de savoir ce qu’ils ont gagné trois mois après la clôture des comptes. Bruno, plutôt sur les cultures et l’alimentation des vaches. » « Chaque semaine, nous avons le même programme de travail, détaillent les éleveurs. Le lundi et le vendredi sont consacrées aux animaux. Après le travail d’astreinte, nous faisons le raclage et le paillage des génisses et des veaux entre 9 h 30  et 10 h 30. L’un racle et l’autre paille. À 10 h 30,  l’un va au bureau, l’autre dans les champs. Le mardi et le jeudi sont consacrés aux relations extérieures et le mercredi aux enfants. » Le travail d’astreinte est tout aussi cadré et, à 19 h 00, tout est terminé.

Avis d’expert

« La productivité du travail compense la faible efficacité économique »

« Le poids des charges opérationnelles est un peu plus élevé que dans les exploitations similaires du Sud-Ouest, mais le poids des charges de structure est plus faible. Au final, l’efficacité économique est similaire (25 % d’EBE sur PB en 2014). Cette efficacité s’est dégradée au fil des années à cause du poids croissant des charges et encore plus en 2015 (22 %) à cause de la baisse du prix du lait. Ces systèmes de coteaux, classés en zone défavorisée simple, sont les moins efficaces car il sont aussi les moins aidés, alors qu’ils ont plus de difficultés que certaines zones de montagne ou de piémont. On ne peut pas cultiver d’herbe. La chaleur pénalise les animaux en été... Le Gaec de Rouquette compense cette faible efficacité économique par une très forte productivité du travail et un faible taux d’endettement. Dans le groupe lait de Haute-Garonne en suivi coût de production, c’est la seule exploitation à dépasser 1,5 smic par UMO depuis quatre ans. »

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