Une carte à jouer avec l’alimentation des vaches
Tous les laits ne se valent pas. À travers l’alimentation des vaches et la génétique, on peut modifier la composition fine du lait et sa valeur nutritionnelle.
Tous les laits ne se valent pas. À travers l’alimentation des vaches et la génétique, on peut modifier la composition fine du lait et sa valeur nutritionnelle.
Le lait constitue une source diversifiée d’acides gras, dont certains, présentent des effets physiologiques spécifiques et ne peuvent se retrouver dans aucun autre aliment. Aujourd’hui, les effets de tous les acides gras ne sont pas encore parfaitement établis, mais un objectif de profil idéal du lait a pu être établi. « Globalement, on vise un lait moins riche en acides gras saturés (autour de 60 à 65 %) avec moins d’acide palmitique, et doté d’un ratio oméga 6 sur oméga 3 inférieur à 5, présente Jean-Louis Peyraud, directeur scientifique adjoint Agriculture à l’Inra. On recherche aussi une certaine richesse en acide ruménique, un acide gras trans particulier, synthétisé uniquement par les ruminants. » D’origine naturelle, il se distingue des acides gras trans d’origine industrielle.
Des effets positifs mais moins marqués pour l’herbe conservée
La composition en acides gras se montre très variable d’un lait à l’autre. Au niveau des élevages, celle-ci peut être modulée soit par la génétique, soit par les pratiques alimentaires. « L’alimentation est un levier majeur pour adapter la composition du lait, et permet d’agir de manière rapide et réversible. » De tous les fourrages, c’est l’herbe verte qui permet de produire un lait répondant le mieux à l’ensemble des critères nutritionnels conseillés sur la matière grasse. Elle réduit le TB par rapport au maïs ensilage mais accroît la teneur en acides gras insaturés du lait, qui atteint plus de 35 % du total des acides gras au pâturage. En comparaison, le lait produit avec un régime à base de maïs ensilage, de tourteau de soja et de concentrés parvient difficilement à atteindre 30 % d’acides gras insaturés. Le pâturage augmente aussi la teneur en oméga 3 du lait, qui s’élève à plus de 0,5 %, voire 1 % des acides gras produits, contre seulement 0,2 % en régime maïs ensilage. Même constat pour le rapport oméga 6 sur oméga 3 : il est inférieur à 2 à l’herbe, alors qu’il tourne entre 8 et 10 avec le maïs ensilage. L’herbe fait même mieux en permettant la synthèse de 1,5 à 2 % d’acide ruménique (réputé pour ses bienfaits sur la santé), et réduit fortement la teneur en acide palmitique, l’acide saturé le plus décrié. « Ces effets sont proportionnels à la part d’herbe dans la ration. Quelques heures de pâturage par jour, correspondant à une proportion d’herbe d’un tiers de la ration, suffisent à changer la composition du lait. »
Des modifications notables en fonction du type de concentrés
Ces effets sont aussi nets à l’automne qu’au printemps. C’est en fait l’âge des repousses qui se montre déterminant. Plus l’herbe est jeune, plus les effets sont nets. « Les effets positifs sur les oméga 3 et oméga 6 se retrouvent aussi avec l’herbe conservée, même s’ils se révèlent en général moins marqués, du fait d’une fauche effectuée à un stade plus avancé et de la durée de séchage des fourrages. Cela dit, certains foins d’excellente qualité, notamment les foins ventilés en grange ou les foins suisses issus de prairies diversifiées, peuvent conduire à des laits aussi riches en oméga 3 que l’herbe verte. » Par contre, les laits produits avec des rations majoritairement composées de foin ou l’ensilage d’herbe affichent un rapport oméga 6/oméga 3 faible, mais une teneur en acides gras saturés qui reste élevée.
Côté concentrés, l’apport de graines de lin, riches en acides gras insaturés, a un impact positif. « On obtient le même effet sur les omégas 3 avec 1,5 kg de graines de lin extrudées qu’avec un régime à base d’herbe pâturée, précise Jean-Louis Peyraud. Par contre, la teneur en acide ruménique n’est pas augmentée. »
Le tourteau de colza utilisé en substitution du soja améliore aussi les qualités nutritionnelles du lait, en augmentant la teneur en acides gras insaturés, en oméga 3 et en diminuant le ratio oméga 3 sur oméga 6. Ses effets vont dans le même sens que l’herbe mais l’impact est plus limité. Par rapport au tourteau de colza industriel, les tourteaux de colza gras fermiers réduisent davantage encore la proportion d’acides gras saturés, surtout le palmitique. Autre aliment efficace pour améliorer le profil en acides gras du lait : le concentré protéique de luzerne (extraits des protéines des feuilles). Distribué à hauteur d’1 à 2 kg dans le régime, il accroît les teneurs en oméga 3 du lait et diminue le rapport oméga 6 sur oméga 3 d’une manière aussi importante que la graine de lin extrudée.
En ce qui concerne les autres graines d’oléoprotéagineux, elles ont toutes un effet sur le profil en acides gras. Cet effet diffère selon la nature de la graine, la dose et de la forme d’apport (graine entière, broyée, extrudée, huile et savons de calcium). Les graines extrudées et les huiles sont à privilégier, mais au moins dans le cas des huiles, il ne faut pas dépasser 5 % de matière grasse dans la ration pour ne pas perturber la digestion dans le rumen.
« Si le changement de correcteur azoté s’associe à l’incorporation d’au moins 30 % d’herbe dans la ration fourragère, les modifications du profil sont amplifiées de façon notable », conclut Jean-Louis Peyraud. Sur le terrain, le développement de la filière Bleu Blanc Cœur et plus largement de toutes les démarches favorables au pâturage, contribuent à l’amélioration du profil du lait. Et à travers cette différenciation, les consommateurs peuvent désormais choisir en favorisant un système plutôt qu’un autre.
La sélection génétique est possible
Hormis la Jersiaise qui produit un lait plus riche en acides gras saturés et la Tarentaise un lait plus riche en acides gras insaturés, la recherche a du mal à mettre en évidence des différences marquées entre races sur le profil en acides gras du lait. Par contre, la variabilité individuelle intrarace est importante. « Par exemple, pour un même régime, la proportion d’acide gras palmitique peut varier de 35 à 25 % entre deux Prim’Holstein. C’est considérable », précise Jean-Louis Peyraud. Le programme Phénofinlait a permis le génotypage et le phénotypage de 8 000 vaches sur les acides gras du lait, montre qu’il serait possible de sélectionner des vaches sur le profil en acides gras. L’héritabilité est bonne et la sélection offrirait « potentiellement des modifications importantes et pérennes. Mais pour l’heure, il n’y a pas de sélection sur ces critères, faute de marché ». On sait par ailleurs qu’une sélection sur les acides gras insaturés pénaliserait le TB et le TP ; par contre, elle agirait positivement sur le volume produit.