À la SCEA du Mont Gournay dans le Pas-de-Calais
« Toujours chercher à avoir un coup d’avance »
Avec 180 vaches hautes productrices, l’exploitation fait partie du réseau Carbon Dairy. Un choix qui vise à réduire l’empreinte environnementale mais aussi à gagner en efficacité économique.
Avec 180 vaches hautes productrices, l’exploitation fait partie du réseau Carbon Dairy. Un choix qui vise à réduire l’empreinte environnementale mais aussi à gagner en efficacité économique.
Installé depuis 2004 à Verchocq, dans un secteur pédo-climatique difficile du Pas-de-Calais, Jean-Luc Maeyaert est entrepreneur dans l’âme. Quand il se lance dans un projet, il ne le fait pas à moitié et cherche toujours à anticiper. Il conduit une exploitation de 232 ha, avec son épouse Florence qui travaille à mi-temps à l’extérieur, deux salariés Florine et Emeric, ainsi que ses beaux-parents, son père et son oncle, rémunérés et représentant en tout l’équivalent d’une UMO. En augmentation de cheptel depuis quatre ans, la SCEA du Mont Gournay a produit 1 700 000 litres avec 180 vaches à plus de 9 100 kg en 2017. Même si l’outil ne tourne pas encore à plein régime, le volume commence à se stabiliser et devrait atteindre 1 800 000 l en 2018. « Dès 2011, nous étions dans les starting-blocks pour préparer la fin des quotas et être prêts à doubler la production, raconte Jean-Luc. Le choix de la stratégie volume tient au fait que j’aime la production laitière et relever des défis. Et je préfère préparer l’avenir en misant sur un collectif de travail comptant plusieurs salariés qui pourront se relayer plutôt qu’un seul, et cela suppose donc une certaine dimension», explique-t-il.
Une fosse de 2 850 m3 a été construite en 2011, couplée à un séparateur de phase. Puis, en 2015, une salle de traite neuve 2 X 20 a été montée, et le bâtiment des laitières a vu sa capacité d’accueil doubler, passant à 200 places pour un coût total de 5 200 €/place. « Nous avons évité tout investissement superflu, et, mis à part la charpente, les travaux ont été réalisés en autoconstruction. » L’augmentation de production s’est faite par paliers (+ 750 000 l en 4 ans) par croît de cheptel interne. Le litrage accordé par Sodiaal (sous réserve de souscription de parts sociales 28 000 €) implique 30 % de volume B.
Une exploitation certifiée ISO 14 001 depuis 2011
Parallèlement au projet d’accroissement de volume, Jean-Luc a engagé une véritable réflexion autour des pratiques environnementales de l’exploitation, pressentant une montée en puissance des préoccupations sociétales. « Avec une ferme située au cœur du village, c’est une nécessité. Il faut non seulement se montrer irréprochable, mais se donner aussi les moyens d’être en mesure de répondre aux questions et d’expliquer ce que l’on fait », considère-t-il. C’est l’une des motivations qui l’ont poussé à obtenir la certification ISO 14 001 dès 2011, en adhérant à l’association Terr’Avenir. « La certification m’a vraiment aidé en termes de méthode et de gestion globale du site ».Tout est rationnalisé. Des protocoles sont mis en place (traite, soins en cas de mammites, de boiteries, alimentation des veaux, gestion des déchets, etc.), une charte et un livret d’accueil des visiteurs ont été rédigés, les formations annuelles sur le management des salariés sont appliquées (consignes, montée en compétences, entretiens individuels, etc.).
Prendre de la hauteur pour définir une vraie stratégie d’entreprise
« Cette démarche, formalisée par des audits annuels, m’a permis d’être serein face à la réglementation, et de prendre de la hauteur en tant que chef d’entreprise. J’ai appris à élaborer un plan d’action annuel, à développer une vraie stratégie à long terme, à savoir présenter un projet à la banque, etc. » C’est dans ce cadre que Jean-Luc a défini les valeurs phares de l’entreprise — -autonomie, confiance, indépendance —, qui servent de ligne directrice à tout projet.
Dans le prolongement de la certification, l’exploitation a également intégré le réseau Carbon Dairy en 2013 en tant que ferme-pilote. Ce programme européen vise à mesurer et améliorer l’empreinte environnementale des systèmes d’élevages. « Carbon Dairy colle parfaitement avec nos objectifs car les différents leviers limitant les émissions de gaz à effet de serre améliorent aussi le revenu. Alors autant faire d’une pierre deux coups !, insiste l’éleveur. Au-delà des valeurs portées, le diagnostic réalisé (Cap2ER) s’avère aussi un super outil de communication. Il permet par exemple d’affirmer que la ferme peut nourrir jusque 6 220 personnes par an(1) et que notre empreinte carbone pour produire un litre de lait s’élève à 0,88 kg eqCO2. Ces données pèseront certainement de plus en plus à l’avenir. »
Bâtir un système durable et résistant aux crises
Dans la logique des valeurs de l’entreprise, la priorité est de sécuriser le système fourrager et viser l’autonomie protéique. « L’autonomie commence par les fourrages et le sol », considère Jean-Luc qui est passé en semis direct dès 2009. Avec des rendements en maïs très variables (entre 9 et 14 t MS/ha, 12 t MS/ha de moyenne), l’éleveur mise sur une diversification des fourrages et des fauches d’herbe précoces. Il implante de la luzerne, du méteil, des prairies temporaires, notamment à base de ray-grass hybride et trèfle violet dans les terres hydromorphes. « L’association RGH-TV est implantée pour trois ans, elle permet cinq coupes par an, avec des rendements de 10 à 12 t MS/ha et donne un ensilage de haute qualité (0,91 UFL et 20% MAT). »
24 hectares d’herbe sont pâturés par le lot « bas » au printemps
D’avril à octobre, l’éleveur a adopté une conduite en deux lots en fonction du stade de lactation et de la production, pour valoriser les 24 ha de prairies accessibles aux laitières. Le lot « bas » (100 vaches) pâture sur 14 paddocks (2-3 j/paddock) avec seulement 10 % de ration hivernale. Tandis que le lot « haut » (80 vaches) reste en bâtiment. En hiver, les vaches sont scindées en deux groupes mais elles reçoivent toutes la même ration complète à base de 7,5 kg MS de maïs ensilage, 4,2 kg MS de pulpes surpressées, 3,7 kg MS d’ensilage de luzerne-méteil, 0,9 kg MS de pommes frites, 4,8 kg MS de tourteau de colza, plus 120 g de CMV et du sel. « Nous limitons volontairement la quantité de maïs ensilage, mais par contre il doit être riche en amidon. J’opte pour des variétés très précoces (180-200) plutôt typées grain. S'il y a trop de volume, on remonte la barre de coupe à 30 cm du sol. » L’ensilage sort à 1 UFL/kg MS depuis trois ans, avec 38 % d’amidon. Le maïs grain humide a été abandonné car jugé trop compliqué pour la reprise. Riches en énergie, les pulpes sécurisent le stock, à pas cher (21 €/t rendu ferme cette année). « Nous avons la chance de pouvoir profiter de différents co-produits issus de l’agro-alimentaire, que nous touchons à un prix très compétitif. »
Réduire les GES en améliorant la productivité des vaches
Côté concentrés, l’élevage n’utilise plus que du tourteau de colza, acheté par contrat et stocké en vrac. « L’empreinte carbone du tourteau de soja m’a sonné ! Je n’en achète plus depuis 2011. » Les appros en tourteau sont couverts jusqu’en janvier 2019 (226 €/t). Le but n’est pas d’acheter au moins cher, mais de sécuriser un prix d’achat à moins de 230 €/t.
Renforcer l’autonomie protéique se révèle positif sur l’empreinte carbone. En parallèle, l’élevage a aussi gagné en productivité par vache, ce qui contribue également à diminuer les émissions de GES au litre de lait. « La productivité intervient, mais il est important aussi d’optimiser le stade de lactation, avance Jean-Luc. Cela suppose de remplir vite les vaches et de limiter l’intervalle vêlage-vêlage (382 jours ici). » Les éleveurs ne recourent pas à des détecteurs de chaleurs. « Nous sommes trois à connaître toutes les vaches, et pour gérer la repro, on s’appuie beaucoup sur deux applis sur nos smartphones : celle du centre d’insémination et Synel. »
Les vaches sont inséminées à partir de 40 jours après le vêlage
Toutes les vaches sont désormais inséminées à partir de 40 jours après le vêlage, quel que soit leur niveau de production. « Le taux réussite en IA 1 n’est pas un objectif en soi, considère l’éleveur. Je préfère suivre le taux de conception mensuel (nombre de VL confirmées gestantes/nombre d’IA réalisées). Sur l’année passée, nous tournons autour de 60 %, sauf au mois de septembre, en pleine transition alimentaire, où nous sommes tombés à 25 %. » Un suivi repro intervient toutes les six semaines, avec palpations et échographies. Les éleveurs en profitent pour couper les queues et épiler les mamelles. Les vaches non pleines 150 jours après vêlage et à moins de 30 kg de lait, se destinent à la réforme. L’infertilité est la première cause de réforme derrière les mammites et les problèmes de pattes.
D’autres modifications de conduite ont eu un impact positif sur la diminution des GES : la réduction de l’âge au vêlage (lire encadré) et la mise en place d’une vraie préparation au vêlage de trois semaines (40 % de la ration des vaches, 4 kg de paille, 100 g de chlorure de magnésium. L’élevage assure une vingtaine de vêlages par mois avec deux périodes sans vêlages : trois semaines en fin d’année et six semaines au printemps pour faire un vide-sanitaire.
Viser moins de 150 €/1 000 l de charges opérationnelles
« Les choses commencent à s’équilibrer au niveau économique et vont continuer à s’améliorer avec l’augmentation du litrage, analyse Jean-Luc. Avec un prix d’équilibre à 300 € en 2017, la trésorerie a été mise à mal. Nous n’avions pas tablé dans notre projet sur un prix du lait aussi bas ! Heureusement, les 1 100 m2 de panneaux photovoltaïques (159 000 kW) dans lesquels nous avions investi en 2010 ont contribué à nous aider à passer le cap. »
La stratégie de l’exploitation pour les cinq ans à venir est de continuer à maîtriser les charges et en augmentant la productivité à tous les niveaux : par hectare, par UMO et par vache. Toujours bouillonnant de projets, Jean-Luc se lance aujourd’hui dans la méthanisation, avec une unité de 250 kW en co-génération assortie d’un contrat garanti sur 20 ans. « Là encore, l’objectif est double : économique pour sécuriser la structure face à la volatilité, et environnemental pour mieux gérer les effluents et la fertilisation. » À la clé, une réduction des achats d’engrais par deux et une baisse des émissions de GES de 30 % est prévue. Les travaux viennent de démarrer.
(1) ????Limiter les animaux improductifs
Diminuer l’âge au vêlage a un intérêt environnemental, économique et pratique en libérant des places dans les bâtiments. L’âge au vêlage est passé de 28 mois en 2013, à 26,4 mois en 2016 et 25 mois en 2017. L’élevage vise un objectif de 24 mois de moyenne. La mesure du tour de poitrine des génisses au ruban est désormais systématisée pour suivre leur croissance. La conduite alimentaire a été revue, à commencer par la distribution du colostrum. « Nous effectuons un drenchage de 4 l dans les 4 h qui suivent la naissance », expose Jean-Luc. La qualité des colostrums est mesurée au réfractomètre. Si elle n’est pas suffisante ou si le délai avec la prochaine traite est trop long, le veau reçoit du colostrum décongelé. Il loge dans une niche préalablement lavée au karcher, désinfectée au canon à mousse puis rincée. « Sur les 150 derniers veaux nés, nous n’avons recouru à aucun antibiotique. »
Après 15 jours au lait entier deux fois par jour, les veaux passent en cases collectives avec six repas par semaine selon un plan de buvée adapté. Ils ne reçoivent pas d’aliment premier âge, mais un concentré fermier mixé par un camion usine (66 % maïs grain, 34 % tourteau de colza), 2,5 % CMV (le même que celui des VL) et paille à volonté. Au sevrage, à 10 semaines, ils consomment minimum 2 kg d’aliment/j, et 3,5 kg /j à 6 mois, distribués en deux repas. « Nous avons renforcé la complémentation pour atteindre un GMQ de 900 g de GMQ/j. » À six mois, ils changent de site (12 km) et sortent à l’herbe, en maintenant 1 à 2 kg d’aliment. Les génisses sont inséminées à partir de 12-13 mois.
Le semis direct au centre du système
Engagé dans le semis direct depuis 2009, Jean-Luc est convaincu que si le sol vit bien, le troupeau vit bien lui aussi. « Le semis direct donne du sens à ce que je fais, considère-t-il. Je veux un système autonome avec un sol vivant, autofertile permettant de produire plus avec moins d’intrants pour limiter les impacts sur l’environnement. Il faut bien quatre ans pour retrouver suffisamment de matière organique, mais aujourd’hui les résultats sont là !» L’exploitation dispose d’un semoir Easydrill. Le strip-till est utilisé pour semer le maïs.
Implantation de luzerne sous couvert de méteil
Les couverts (pois, vesces, radis chinois, phacélie, avoine d’hiver…) sont aujourd’hui devenus un pilier du système. « Je mets plus d’argent dans les semences de couverts que dans celles de blé. » L’objectif est de capter 100 % du rayonnement solaire pour nourrir le sol, et limiter les fuites d’azote et l’érosion. L’implantation de semis sous couvert facilite les semis et limite les périodes de « trous » liées aux resemis. Après un blé, un couvert est semé, puis détruit au printemps suivant (1 l/ha glyphosate). Jean-Luc sème alors un méteil de printemps, puis une luzerne quand le mélange atteint 3 feuilles. Après la récolte du méteil en juin, la luzerne se développe. Une première coupe intervient en septembre, avant l’implantation d’un méteil d’automne. Au printemps suivant, un mélange de luzerne/méteil est récolté très jeune à 14-15 % MAT minimum. « Les avantages ne manquent pas : le sol est couvert en permanence, seulement 30 UN sont apportées au printemps sur le triticale, et 12 t MS récoltés par an. On n’apporte pas de phytos, hormis du glyphosate. Mais encore faut-il que cela reste possible…»
« Transformer les menaces en opportunités »
Malgré un contexte pédo-climatique peu avantageux (potentiel des sols, relief, pluviométrie et températures), l’exploitant sait tirer parti des contraintes et cherche toujours à s’adapter pour limiter les risques. Il a fait un pari osé en augmentant significativement le litrage produit. En bon stratège, il a relevé ce challenge de manière très cohérente, en allant au bout de son raisonnement. La transition s’est effectuée sans dérapage. Aujourd’hui, l’exploitation monte en puissance et va encore diluer ses charges de structure. L’exploitant sait s’appuyer sur le travail des groupes (Terr’Avenir, Geda, Apad…) pour avancer. La principale faiblesse tient à la lourde responsabilité qui repose sur ses épaules.