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« Tirer le meilleur parti possible des ressources du milieu »

La ferme de l’Inra de Mirecourt dans les Vosges a mis en place un système visant une autonomie totale, en rupture complète avec le modèle lorrain traditionnel.

La ferme expérimentale de l’Inra de Mirecourt, dans la plaine des Vosges, n’hésite pas à renverser les standards. Voilà bientôt quinze ans que cette exploitation de 240 ha associant cultures, prairies et élevage minimise le recours aux intrants (zéro engrais, zéro pesticide, zéro paille extérieure, minimum de fioul) et cherche à tirer le meilleur parti possible de la diversité du milieu naturel. « Dans les années 2000, l’équipe d’expérimentateurs a pressenti les défis environnementaux auxquels l’agriculture risquait d’être confrontée et a engagé la ferme dans une logique d’agriculture durable, relate Matthieu Godfroy, ingénieur d’études à l’Inra. Ils ont alors cherché à imbriquer plus intimement cultures et élevage sur l’exploitation pour atteindre une autonomie maximale. » Le virage radical qui s’est opéré a d’ailleurs conduit à la conversion de la ferme en bio en 2004.

Une transition vers un lait à 0 % d’intrants

Sur l’exploitation, deux systèmes laitiers économes ont alors été conçus et menés en parallèle pendant dix ans. L’un 100 % herbager, avec 40 vaches laitières en régime tout herbe et sans aucun apport d’aliment concentré, conduites sur 78 ha de prairies permanentes en vêlages de printemps ; et le second en polyculture élevage, avec 60 vaches laitières conduites en vêlages d’automne, sur 55 ha de prairies permanentes et 105 ha en rotations culturales avec des prairies temporaires, de la luzerne, du blé, des mélanges céréaliers et des mélanges céréales-protéagineux. Les deux troupeaux, constitués à la fois de Prim’Holstein et de Montbéliardes, consomment uniquement les aliments produits sur l’exploitation, hormis le minéral.

En moyenne sur les douze années d’essai, la production laitière s’est élevée à 5 400 l/an pour les Prim’Holstein et 4 900 l/an pour les Montbéliardes dans le système herbager et respectivement 6 400 l/an et 5 300 l/an dans le système polyculture élevage. Au niveau environnemental, tous les voyants sont au vert (préservation de l’eau et des sols, réduction des GES, biodiversité, etc.). Le bilan économique apparaît également très pertinent. En moyenne sur douze ans, l’EBE/Produits s’élève à 48 % en moyenne sur 12 ans (deux systèmes confondus). Le système herbager s’est révélé plus performant mais surtout plus résilient que le système polyculture élevage dont les résultats fluctuaient davantage selon les années.

Moduler les effectifs des vaches selon la disponibilité en fourrages

La ferme dégage de très bons résultats mais tout n’a pas toujours été simple pour autant. Pour atteindre une forte autonomie, la sécurisation du système requiert une trésorerie fourragère importante, tant au pâturage qu’en matière de fourrages récoltés. « En constituant des stocks d’avance, on peut « digérer » une mauvaise récolte de foin, mais pas deux années d’affilée comme cela a été le cas en 2011 et 2012, se souvient Matthieu Godfroy. Sur l’hiver 2012-2013, nous n’avions plus suffisamment de fourrages pour nourrir les animaux. Nous avons préféré vendre un tiers des vaches de chaque lot et ne pas réaliser notre quota, plutôt que d’acheter des fourrages. Économiquement, les deux années ont permis moins de résultats, mais par rapport aux autres fermes du réseau EcoBio, nous nous en sommes très bien sortis car nous n’avons pas fait d’achat. L’important est de rester cohérent avec ses objectifs. »

Écrêter le pic de production et miser sur la persistance laitière

D’autres ajustements ont été nécessaires, notamment suite à des problèmes de reproduction. Les dates de vêlage ont notamment été avancées d’un mois afin que les vaches démarrent leur lactation avant la mise à l’herbe. « Les inséminations prennent mieux ainsi car les vaches perdent moins d’état corporel. Le pic de production est écrêté mais il y a une meilleure persistance, avance Matthieu. Pour maintenir les vêlages très groupés sur trois mois, nous avons également dû doubler la durée de lactation d’une soixantaine de vaches non gestantes, poursuit-il. Finalement, cela n’a pas été une si mauvaise chose puisque les vaches ont produit 90 % de ce qu’elles auraient produit en deux lactations. Nous continuons d’ailleurs de prolonger les lactations pour gérer les effectifs. » Le mode de pâturage est un autre levier qui a permis d’améliorer l’état des vaches et la fertilité au printemps. « En proposant, fin mai, une herbe plus haute à pâturer, épiée, les vaches produisent moins de lait mais prennent beaucoup mieux à l’insémination. Nous sommes passés de 50 à 75 % de réussite en IA1. »

Des ovins en complément des vaches pour valoriser l’herbe

Si les deux systèmes testés ont fait leurs preuves de 2004 à 2015, la réflexion des équipes de recherche ne s’est pas arrêtée. « Nous pensons qu’il est possible d’aller encore plus loin dans la valorisation des ressources du milieu. Il y a encore des adaptations à trouver, des freins à lever. » À commencer par le manque de portance, qui limite l’exploitation de l’herbe à certains moments de la saison. Ou encore les créneaux météo trop courts qui ne permettent pas toujours de récolter le foin dans de bonnes conditions. D’où l’idée qui a germé d’élever une petite troupe ovine pour valoriser de l’herbe de façon plus optimale… Depuis août dernier, 30 brebis et 100 agnelles texel croisées charmois ont rejoint les laitières sur la ferme. Les deux lots de vaches ont fusionné à nouveau et le troupeau est conduit exclusivement à l’herbe. Les ovins passent l’hiver dehors. Ils n’ont pas de bâtiment dédié. « Ils dépriment les prairies en avril et constituent un bon « outil » pour gérer les refus des vaches à partir de mai, indique Matthieu. Ce printemps, nous allons même tenter de conduire vaches et brebis ensemble au pâturage. Le temps de séjour par paddock sera d’un à deux jours contre trois à quatre jours d’habitude. Le fait d’augmenter fortement le chargement va réduire les possibilités de tri par les animaux. La mixité au pâturage devrait permettre de gérer des qualités de flore différentes, appréciées différemment par les deux espèces. »

Vaches nourrices, croisement quatre voies et monotraite

Au niveau économique, l’atelier ovin est également mené en minimisant les charges et devrait générer autour de 10 000 € (une centaine d’agneaux à 100 €). Reste que la création de cet atelier nécessite des ressources fourragères. « Il nous fallait soit diminuer le nombre de laitières, soit libérer des surfaces fourragères. » C’est cette seconde option qui a été retenue. « Pour cela, nous avons décidé de diminuer les effectifs d’animaux improductifs en réduisant l’âge au vêlage à deux ans au lieu de trois. » Belle idée, mais comment y parvenir ? « Nous nous sommes inspirés des pratiques d’éleveurs finistériens qui obtenaient d’excellents niveaux de croissance pour leurs génisses en les faisant élever par des vaches nourrices (3 veaux/VL). » Cette technique a porté ses fruits. Les croissances des veaux élevés sous nourrice se sont montrées nettement plus élevées que celles des veaux élevés au Dal. « Le gain de poids vif approche 1 kg/j/veau en première année. Les génisses ont bien vêlé à 24 mois tout en maintenant une alimentation 100 % herbagère. »

Un tel schéma s’envisage en systèmes de vêlages groupés, ce qui suppose une bonne fertilité. D’où le choix d’une nouvelle orientation génétique du troupeau misant davantage sur la fertilité et les fonctionnels. « Nous voulons des vaches rustiques de petit gabarit qui pâturent bien et qui offrent un bon compromis entre production et fertilité. La reproduction se fait à la carte en fonction de la lignée de la vache. Si la vache présente un défaut corrigible, nous l’inséminons en race pure ; sinon, on privilégie un croisement en Jersiaise, Brune, Rouge suédoise ou Simmental. »

Cette conduite se combine depuis deux ans à la mise en place de la monotraite toute l’année. « Conformément à la biblio, le lait a chuté de 25 %, mais une partie de la perte de volume est compensée par les taux (50 de TB et 45 de TP). » Et cela a permis de réduire le travail d’astreinte car les modifications de système opérées doivent se réaliser à main-d’œuvre constante.

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