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« S’installer ni trop tôt, ni trop tard ! »

Au Gaec BB dans la Manche, Yovenn Bougis et Marc-Antoine Blot se sont installés il y a trois ans et demi, hors cadre familial, en regroupant deux exploitations voisines.

Marc-Antoine Blot et Yovenn Bougis forment un duo motivé et combatif. Malgré la conjoncture et les galères qui ont suivi leur installation, ils ne lâchent rien.
© E. Bignon

Au départ, c’est une simple histoire entre deux jeunes — l’un originaire de la Manche, l’autre de l’Orne — qui se sont liés d’amitié lors de leur formation en BTS Acse. Tous deux, non issus du milieu agricole, sont motivés par l’élevage depuis toujours et animés par l’envie d’entreprendre. Une fois leur diplôme en poche, chacun part travailler de son côté. Yovenn Bougis dans un groupement d’employeurs regroupant cinq exploitations, et Marc-Antoine Blot comme salarié sur deux fermes différentes (lait et viande). Mais chacun gardait la volonté de s’installer un jour.

L’occasion s’est présentée pour Marc-Antoine sept ans plus tard. « Un exploitant chez lequel je participais aux ensilages, arrêtait son activité et n’avait pas de repreneur, raconte-t-il. La structure produisait 260 000 litres sur 30 hectares en fermage. Il y avait une trentaine de laitières en système paillé, et la mise aux normes était réalisée. L’étude économique m’a conforté dans l’idée de saisir cette opportunité même si la structure était un peu juste en surface. » Le projet (320 000 l avec les attributions) a reçu l’accord de la banque, de la CDOA… Le parcours à l’installation était bien engagé quand en janvier 2013, tout bascule…

Le projet d’installation initial a été revu de A à Z

« Je découvre par hasard lors d’une réunion pour les futurs installés qu’une autre ferme se libère sur la même commune à la même date ! La structure comptait également 260 000 litres et 50 hectares. J’aurais bien repris seulement les terres pour conforter mon projet, mais pour le cédant, c’était reprendre toute la ferme ou rien. L’idée de regrouper les deux structures me plaisait bien mais il fallait alors y aller à deux. J’ai alors appelé Yovenn pour lui proposer de nous associer en Gaec autour de ce projet ! »

Yovenn a réfléchi vite. « C’était une proposition assez inattendue, qui impliquait un changement de vie total. Mais l’idée de travailler pour moi me titillait depuis longtemps. Le lait m’a toujours plu et je me sentais prêt à faire le grand saut, quitte à prendre des risques et à travailler beaucoup pour ne pas gagner grand-chose les premières années ! L’envie de faire ce métier, de gérer mon propre troupeau a été plus forte, expose-t-il en reconnaissant aussi que l’offre est arrivée au bon moment. J’avais accumulé l’expérience qu’il me manquait tant après l’école et je me sentais suffisamment armé pour me lancer. » Avec sa compagne, il décide donc de mettre en location sa maison dans l’Orne et de foncer dans la Manche.

Un parcours à l’installation stressant du fait de délais très courts

Foncer, c’est le cas de le dire car les délais pour mener à bien l’instruction des dossiers étaient effectivement très courts. « Nous nous sommes décidés en janvier 2013 pour une installation en décembre 2013 ! Il a fallu tout enchaîner très vite. D’autant qu’il ne s’agissait pas d’une simple installation. Il y avait une création d’une société et moult dossiers à monter pour les travaux d’agrandissement et de mise aux normes… Dans l’idéal, il nous aurait fallu six mois de plus pour monter sereinement le projet bâtiment, récupérer des devis, ficeler l’étude économique, obtenir les autorisations d’exploiter, l’aval de la banque et de la CDOA, plus les stages et parrainages. Le timing a été très serré ! Heureusement, nous avons été accompagnés par de bons conseillers et une juriste pointue dans les démarches à mener de front et permis de ne pas passer à côté d’aides intéressantes. »

Partis de zéro, sans capital initial

« La banque nous a fait confiance car on connaissait parfaitement notre dossier ", considère Marc-Antoine. Les deux éleveurs sont caution l’un de l’autre. La banque a posé une hypothèque sur le bâtiment et un warrant sur le cheptel. Les jeunes éleveurs âgés de 33 et 34 ans avaient aussi la chance de n’avoir ni terre ni de maison à reprendre. Avec les attributions, la structure compte 790 000 l de lait et 85 ha, dont 20 en céréales. « Pour défendre son projet face à la banque, il faut être à fond dedans, et savoir répondre à toutes les questions aussi bien techniques qu’économiques. Au final, les échanges, aussi bien avec la banque que le centre de gestion, ont été constructifs. Chacun nous indiquant les points critiques auxquels faire attention. »

La première année, l’assolement a été réalisé en commun mais chacun a trait chez soi. En parallèle, les travaux pour agrandir la stabulation destinée aux 80 laitières ont démarré. Les éleveurs ont assuré le terrassement, la préparation des bétons, le montage des logettes, tapis, tubulaires et le bardage. Pendant un an, ils n’ont eu aucun répit. Mais le plus dur restait à venir…

Privilégier le regroupement au bon moment aux subventions

« Nous avons fait l’erreur de regrouper les troupeaux alors que les travaux n’étaient pas achevés », témoignent-ils amèrement. Le charpentier s’est fait attendre (malheureusement les exploitants n’avaient pas exigé de date de livraison) et il fallait obtenir l’accord de subvention pour la mise aux normes avant de pouvoir entamer les travaux. « Ce fut une période très compliquée. » Pendant six mois, les 80 vaches ont logé dehors et la traite dans la 2X3 durait six heures par jour ! Puis il a fallu adapter les bêtes aux logettes en plein hiver, sur des bétons glissants… « Pendant six mois, on a cumulé les travaux avec un boulot monstre dans les vaches, se remémore Marc-Antoine. Et au final, on s’est épuisé physiquement et ça a été la catastrophe sanitaire. Entre les mammites, les cellules et les problèmes de pattes, on a perdu 15 vaches, sans compter les pertes collatérales en frais de véto, repro… » Avec le recul, les éleveurs considèrent qu’il aurait fallu privilégier un regroupement au moment le plus opportun pour les vaches, plutôt que les 80 000 euros de subvention. « Cela aurait été moins dur physiquement et moins stressant. » Tout ça en 2015, dans un contexte de prix du lait en chute libre… Les exploitants ont alors réduit leurs prélèvements privés à une peau de chagrin. Heureusement que chacun avait engrangé des réserves l’année précédente avec un bon prix du lait et des charges a minima dans les bâtiments existants. « Finalement, à ce moment-là, nous avions la tête dans le guidon et nos galères ont vraiment fait passer la crise au second plan. »

Tout faire pour pouvoir vivre de leur passion

« Dans ce contexte, si je m’étais installé seul, j’aurais tout laissé tomber, lâche Yovenn. Être à deux a été une vraie force. Dans les moments de découragement, il y en avait toujours un pour booster l’autre ! » Les conseils extérieurs, les coups de main de l’un des cédants et l’encouragement des épouses ont aussi été un soutien fort. « De même que l’accueil des exploitants de la commune, reconnaissent les jeunes éleveurs. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait pas eu d’installation dans le secteur et l’entraide a marché à plein. Tous les voisins sont venus nous aider lors du chantier de terrassement, illustrent-ils. Et aujourd’hui encore, on sait où trouver de l’aide s’il nous manque un matériel. »

Après deux années difficiles, Yovenn et Marc-Antoine sortent la tête de l’eau. Ce sont deux éleveurs heureux, complices et confiants, qui ne regrettent pas leur installation. « Dans ce métier, tout nous plaît, concluent-ils en souriant. On aime la polyvalence et la diversité des tâches à accomplir au quotidien. » Et désormais, chacun dispose d’un week-end sur deux et s’accorde une semaine de vacances par an.

Côté éco

• 450 000 € de reprise

• 350 000 € d’investissements

• 97 000 € d’EBE en 2016 avec 751 000 l vendus

• 35 % d’EBE/Produit (hors DPB)

• 66 000 € d’annuités (dont prêts JA)

Le message du Gaec BB

« Il faut acquérir de l’expérience et aller voir ailleurs avant de s’installer, que l’on soit issu ou non du milieu agricole. Une fois installé, le quotidien vous happe et on n’a plus forcément le temps d’aller à la découverte d’autre chose pour piocher des idées. Découvrir plusieurs façons de travailler et différents systèmes permet de s’ouvrir l’esprit et compléter l’apprentissage car c’est un métier où il y a beaucoup de compétences à acquérir. »

Investir dans le conseil

« Nous avons fait le choix de souscrire à de nombreux services durant les deux trois premières années. Le fait de s’entourer et se faire accompagner est un investissement à amortir dans la durée. » Les éleveurs ont sollicité le GDS pour le suivi sanitaire du troupeau et souscrivent à la carte complète de leur Ecel (ex-contrôle laitier) pour la pesée des génisses, le suivi de l’alimentation, le bilan fourrager… « Nous aurions tort de nous priver de ces services qui nous aident à faire nos armes. Pendant trois ans, nous bénéficions d’une remise de 50 % en tant que JA. Mais après, ce suivi est amené à se réduire. »

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