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Contractualisation
Quel coût de production pour construire le prix du lait ?

Certaines organisations de producteurs n’ont pas attendu les EGA pour tester la prise en compte des coûts de production. De multiples options sont sur la table.

Les négociations entre les organisations de producteurs (OP) et les acheteurs de lait sont en cours pour faire évoluer les contrats. Les discussions pour faire évoluer la formule de prix du lait sont souvent laborieuses et peu, ont définitivement abouti. La Loi Sapin II demande que dans les nouveaux contrats liant les producteurs à leur acheteur de lait, les modalités de fixation du prix du lait intègrent une référence aux coûts de production des éleveurs, en plus d’indicateurs de marché en phase avec le mix-produit réel de l’acheteur de lait (indicateurs Cniel et indices Insee de prix de vente industriel de produits laitiers).

Lors des États généraux de l’alimentation (EGA), le président de la République a indiqué vouloir que les coûts de production soient pris en compte dans le prix des produits agricoles. Une loi en cours d’élaboration — attendue au premier semestre 2018 — devrait donc renforcer le mouvement amorcé par la Loi Sapin II. Le président a également demandé des plans stratégiques de filières. "L’interprofession pourrait jouer un rôle avec la publication d’indicateurs supplémentaires", souligne Dominique Chargé, président de la FNCL.

Les négociations entre OP et acheteurs de lait sur la formule de prix du lait se heurtent à la question : quel indicateur coût de production prendre et comment l’incorporer pour construire un prix du lait qui reste en phase avec le marché ? Les formules abouties ou en cours de négociation ont trois façons de prendre en compte le coût de production.

L’intégrer dans la formule de prix ou encadrer le prix

• La première est de suivre dans le temps un ou plusieurs indicateurs comme l’Ipampa (prix des aliments achetés, de l’énergie, des engrais…) et/ou le Smic… Lorsque ces indicateurs dépassent un certain niveau, cela déclenche une négociation sur le prix du lait. La négociation entre l’Unell (Union nationale d’OP Lactalis) et Lactalis semble prendre ce chemin.

• La deuxième façon de procéder est de calculer dans un premier temps un prix avec des indicateurs de marché. Puis dans un second temps, la formule prend en compte un indicateur coût de production pour empêcher une trop forte baisse de ce prix calculé. La formule de prix Sunlait (association de douze OP Savencia) suit l’indice Milc publié par le Cniel, qui est un indicateur de marge (lire Réussir Lait, n° 317, octobre 2017, p. 10). Triballat Rians et trois OP suivent trois postes de charge très volatils : aliment acheté, engrais, énergie.

• La troisième option est d’intégrer un indicateur directement dans la formule, en complément des indicateurs de marché. Chez Milleret, c’est l’indice Ipampa qui entrera dans la formule à partir du 1er janvier 2018 (lire Réussir Lait, n° 317, octobre 2017, p. 10). Le prix obtenu est confronté à celui des autres laiteries de la région et il ne pourra dépasser un plancher (310 €) et un plafond (360 €). Chez Danone, c’est une référence au prix de revient, ou à défaut un prix forfaitaire qui entre dans les formules, des formules différentes suivant les six OP. Cette référence varie avec l’évolution d’indices aliment acheté, carburant, engrais, du prix de la viande et parfois aussi du Smic, des aides PAC. Dans certaines OP, les adhérents ont le choix entre deux formules qui intègrent plus ou moins la référence au prix de revient (30 % à 50 %). Une grande majorité a choisi la formule plus sécurisante.

Un prix plus sécurisé pour les producteurs

Mais finalement quel est l’objectif recherché par les producteurs ? Les responsables d’OP recherchent un prix du lait "qui suive l’évolution de nos charges", "qui permette au moins à la majorité d’entre nous de s’y retrouver ; c’est possible quand on voit les profits réalisés par les grands groupes" et "un prix du lait plus stable". Ils sont toutefois conscients qu’il n’est pas possible de couvrir les charges de tout le monde. Jean-Marie Seronie, agroéconomiste, explique que "si c’était l’objectif, vu les écarts énormes de coûts entre exploitations, on risquerait de prendre une référence trop élevée. Cela n’inciterait pas les producteurs à chercher à baisser leurs coûts. Et le risque serait donc une perte de compétitivité par rapport à nos voisins, préjudiciable pour toute la filière."

Certaines laiteries trouvent aussi un intérêt à cette prise en compte des coûts de production : un effet positif sur la volatilité du prix du lait, une façon de sécuriser leur collecte. Mais c’est aussi un moyen pour elles de négocier sur les volumes.

La contrepartie sur les volumes est-elle cher payée ?

C’est le cas chez Danone ; les accords conclus comportent pour la quasi-totalité des OP un objectif de baisse du volume global de l’OP. "Nous avons donc créé une structure commerciale qui a trouvé d’autres contrats avec d’autres acheteurs de lait, afin de donner des perspectives de développement aux producteurs," indique l’OP Bailleul Nord Picardie.

Pour l’instant, les OP Danone jugent plutôt bien les formules de prix. "L’objectif de réduire la volatilité est atteint, indique l’OP de Haute-Normandie Oise. Pour l’instant, la formule a permis de mieux valoriser le lait par rapport à l’ancienne formule basée uniquement sur les indicateurs de marché. En 2016, nous avons 18 euros/1 000 l de plus. En 2017, il ne devrait pas y avoir d’écart. L’accord prend fin en juillet 2019. Nous saurons alors si nous avons fait une bonne opération ou si nous avons payé cher la réduction du volume global de l’OP."

Des débats très compliqués

"Le marché aura le dernier mot"

Les coopératives ne peuvent pas être opposées à la référence aux coûts de production. Il faut que le marché parvienne à rémunérer les producteurs. Quand il ne parvient pas à le faire, les coopératives mettent en place des mesures : complément de prix, ristournes… Cela fait partie de leur mission de faire quand c’est possible, un retour vers les adhérents, indique Dominique Chargé, président de la FNCL. Une de leurs missions est aussi d’accompagner les producteurs dans l’amélioration de leur compétitivité."

Damien Lacombe, président de Sodiaal, explique que la nouvelle formule de prix du lait en préparation (à valider en assemblée générale en juin 2018) sera basée sur le mix produit de Sodiaal, avec des indices Insee de prix de vente en références, mais il n’est pas encore prévu d’intégrer un coût de production. "Les États généraux de l’alimentation ont posé la question de la prise en compte des coûts de production. Quand la loi sortira, la question sera de savoir comment faire fonctionner une telle formule pour qu’elle ait un sens. Par exemple, si l’indice coût de production baisse alors que le marché est capable de rémunérer davantage le lait. Ou inversement s’il augmente alors que le marché très déprimé. Cette prise en compte doit nous aider à passer des hausses de tarifs pour traverser des périodes de crise. On n’est pas dans un marché fermé. Ce sont les hausses de tarifs que nous obtenons auprès des distributeurs et de nos autres clients (restauration hors foyer, autres industriels) qui font réellement augmenter le prix du lait. C’est dans cette logique que notre nouveau plan stratégique est d’aller chercher davantage de valeur, sur le marché intérieur et à l’export."

Faut-il prendre le coût de production des meilleurs ?

Danone voulait que l’indicateur prix de revient soit la moyenne du quart le plus performant de l’échantillon du centre de gestion.
L’OP Bailleul Nord Picardie, qui voulait que ce soit le coût de production moyen de l’échantillon pour sécuriser davantage les éleveurs, a refusé. "Nous avons abandonné l’idée d’intégrer un coût de production, et nous avons retenu un prix forfaitaire. Les adhérents ont le choix entre une formule constituée à 50 % d’un forfait à 327 €/1 000 l (et à 50 % d’indicateurs de marché) et une formule constituée à 30 % d’un forfait à 331 € (le forfait varie avec des indices Ipampa aliments achetés, carburant…)."
L’OP de Haute-Normandie a accepté le principe de retenir les meilleurs. "Cela incite à travailler nos coûts, mais en échange la main-d’œuvre est rémunérée au temps réel, donc mieux qu’avec la méthode Institut de l’élevage".

"Il faut des références objectives"

"Pour avoir des références coût de production ou prix de revient objectives et indiscutables, il faut de grands volumes comptables, clôturés à même date au mois près, et mesurer la dispersion des coûts car les écarts vont de 1 à 3 entre les exploitations. Il faut des références intégrant les différences régionales — contraintes pédoclimatiques, réglementaires… Comme l’a souligné le président, il faudrait que les références soient éditées par un organisme indépendant type FranceAgriMer."

Jean-Marie Séronie, agroéconomiste indépendant

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