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Pour qui, l’argent du beurre ?

Si les débats se sont focalisés sur les relations commerciales cet automne, les entreprises sont conscientes que les attentes sont fortes aussi sur la revalorisation des grammes de matière grasse.

Le sujet est sur la table toutes les semaines », nous confiait fin octobre Jean-Paul Prigent, président de la région Bretagne Ouest de Sodiaal. Les sommets atteints par les cotations du beurre ont mis les entreprises laitières dans l’expectative. Elles prévoient que les cours du beurre vont rester hauts pendant quelques années au moins. Mais elles attendent de voir à quel niveau vont revenir les cotations après l’accès de fièvre des derniers mois et comment elles vont pouvoir répercuter ces hausses de prix auprès de leurs clients. « On manque de beurre et on n’arrive même pas à passer les hausses de tarifs auprès de la grande distribution, s’exaspère le représentant de Sodiaal, confronté à l’incompréhension des producteurs, qui admettent difficilement que le prix du lait ne bénéficie pas pleinement de la valorisation du beurre sur les marchés mondiaux. On arbitre un peu en faveur d’autres débouchés mais on ne peut couper la branche dont on aura besoin demain. Cette année, les entreprises beurrières vont perdre de l’argent par rapport aux cours du beurre. » « Il faut bien expliquer aux éleveurs qu’il y a une grande différence entre une cotation et une facturation », insiste Pascal Lebrun, président de la branche lait d’Agrial. Le beurre industriel, le seul qui a véritablement bénéficié de l’envolée des cotations, ne valorise que 11 % de la collecte laitière française.

« Sur les marchés mondiaux, nous répercutons les prix »

« Nous sommes un des plus gros acheteurs de matière grasse sur le marché mondial via notre filiale belge Corman, leader mondial du traitement de la matière grasse, explique Daniel Chevreul, directeur général approvisionnements laitiers Savencia. Sur la majorité des marchés mondiaux, nous parvenons à répercuter dans les prix de vente l’augmentation du prix de la matière grasse, que ce soit dans les beurres industriels ou la grande distribution. Il n’y a qu’en France où l’on n’y arrive pas, pas plus auprès de la grande distribution que de la restauration hors foyer. »

Certaines entreprises, déficitaires en matière grasse, se retrouvent en grande difficulté car elles sont doublement touchées. « Nous sommes déficitaires en crème et excédentaire en protéines depuis fort longtemps, explique Dominique Verneau, directeur production laitière chez Triballat Rians. Nous achetons 30 % de la matière grasse que nous transformons. Nous sommes impactés à l’achat par la hausse du cours de la matière grasse et par la vente de nos excédents de lait écrémé. C’est une année catastrophique pour nous. »

« La survie de l’entreprise est en cause »

Pour la fromagerie Delin, en Bourgogne, connue pour ses fromages triple crème comme le brillat-savarin, cette situation « pose un gros problème de rentabilité, explique son PDG Philippe Delin. Nous collectons 4,7 millions de litres de lait mais nous achetons 1,3 million de litres de crème. Heureusement, nous avons pu lisser le prix sur trois ans avec notre fournisseur, mais cela représente tout de même une augmentation de 25-26 % en moyenne sur l’année. Nous faisons 70 % de nos ventes avec des distributeurs grossistes, mais nous n’avons pas pu augmenter les prix cette année. Nous allons essayer de passer une forte hausse au 1er janvier, sachant que ce sont des produits IGP sur lesquels la distribution fait de fortes marges. C’est la survie de l’entreprise qui est en cause. » Elle maintient malgré tout un prix du lait autour de 370 €/1 000 l, même en 2015-2016.

Jean-Paul Prigent veut croire que la pénurie de beurre dans la grande distribution cet automne créera les « conditions de l’acceptation de l’offre ». « Une situation de moindre abondance rééquilibre le rapport de force, dont les acteurs se serviront, reconnaît Dominique Chargé, président de la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL). Mais, ce n’est pas satisfaisant. Nous souhaiterions engager une évolution des comportements et une responsabilisation des différents acteurs pour que les négociations soient menées de manière plus fluide et moins dans le rapport de force. Les États généraux de l’alimentation sont une bonne opportunité pour s’engager dans ce sens. » « Nous souhaitons travailler avec la grande distribution au niveau de l’interprofession pour que les acteurs se parlent et se mettent d’accord sur des objectifs partagés », ajoute Thierry Roquefeuil, président de la FNPL et du Cniel.

Demande d’un débat interprofessionnel sur la matière grasse

Si les débats ont surtout porté sur les relations commerciales cet automne, les entreprises, qui ont toutes besoin de davantage de matière grasse, réfléchissent à une revalorisation des grammes différentiels dans les grilles de paiement du lait. Même si elles peuvent s’en différencier, la plupart se sont calées sur les grilles indicatives des Criel de rémunération des grammes différentiels de TB et TP. « Le sujet est sur toutes les lèvres », affirme Benoît Rouyer du Cniel. Mais, fin octobre, il n’avait pas été débattu au niveau interprofessionnel. Les coopératives, demandeuses de ce débat (voir ci-contre), expertisent la question. « Nous avons lancé des pistes de réflexion pour voir si on ne pourrait pas surpayer les grammes de matière grasse au-delà d’un certain seuil pour accompagner les éleveurs qui voudraient aller chercher des grammes supplémentaires, avance prudemment Pascal Labrun (Agrial). Mais, avant de le mettre en application, il faut s’assurer que les cotations élevées du beurre sont durables. » Lactalis, par la voie de Gérard Maréchal, directeur technique des approvisionnements lait, affirme s’en remettre aux éventuels accords interprofessionnels régionaux à venir sur le paiement du lait selon sa composition.

Accompagnement technique des producteurs

« Nous sommes en train de mettre en place une nouvelle formule d’évolution du prix de base du lait qui devrait aboutir fin 2017-début 2018 [voir Réussir Lait, n° 317, octobre 2017, p. 10]. Dans un deuxième temps, nous souhaitons ouvrir une discussion sur un système de paiement du lait qui tient plus compte des composants et fasse un lien plus fort avec nos marchés, dévoile Daniel Chevreul (Savencia). Évidemment, la matière grasse aura une importance dans cette discussion. Ceci étant, en 2015, nous avons lancé sur la zone Poitou et Charente une incitation à la production de matière grasse en revalorisant les grammes différentiels de 1 euro par point au-delà de 41 g/l. Il faut se donner du temps pour voir les effets d’une telle mesure, mais on sent que ça commence à bouger. »

Pas de nouvelle grille de paiement à la composition en vue au sein de la coopérative Lact-Union, qui a une activité de beurre industriel, même si le sujet est comme ailleurs sur la table. « Nous réfléchissons avec des partenaires techniques aux moyens dont pourraient disposer les producteurs, prioritairement sur le plan de l’alimentation des vaches, pour faire évoluer la teneur en matière grasse de leur lait », dévoile Sébastien Grymonpon, responsable amont. L’accompagnement technique des producteurs sur un sujet qui, jusqu’alors, n’était pas une préoccupation majeure, fait aussi partie de la réflexion stratégique des entreprises.

Triballat Rians : inciter les producteurs à produire plus de matière grasse

L’entreprise Triballat Rians a lancé un travail, qui devrait aboutir dans quelques mois, afin d’évaluer les leviers techniques qui permettraient de produire davantage de matière grasse sans augmenter la production laitière. Elle a fait appel pour cela à l’expertise de l’Idele et des organismes de développement. Des simulations technico-économiques sont effectuées chez une dizaine de producteurs pour tester différentes hypothèses (modification du système fourrager et de l’alimentation, changement de race, croisement…). « À l’issue de ce travail, nous entamerons des discussions avec les OP pour voir comment modifier le paiement du lait à la composition, explique Dominique Verneau. L’idée est que tout le monde soit gagnant : que l’entreprise perde moins d’argent et que les producteurs qui engagent une modification en profondeur de leur système s’y retrouvent financièrement. »

Les premiers résultats, portant en particulier sur le changement de race (Jersiaise), montrent qu’il n’y a pas de baisse d’EBE, mais parfois des impacts sur le travail. « Pour améliorer l’EBE, il faudra modifier le paiement à la composition », anticipe Dominique Verneau. « Les producteurs sont très sensibilisés au sujet, ils sont prêts à ouvrir toutes les portes, à foncer mais ils veulent être rassurés sur la pérennité de la demande », ajoute Laurent Forray, responsable de ce projet.

Question à Dominique Chargé, président de la FNCL

« Les coopératives vont faire des propositions »

Les coopératives envisagent-elles une revalorisation de la matière grasse pour encourager les producteurs à en produire davantage ?
Dominique Chargé - « Dès le printemps dernier, j’ai prévenu les autres familles de l’interprofession que nous étions sur un phénomène plus durable et structurel qu’il n’y paraissait et qu’il fallait envisager des mécanismes interprofessionnels pour donner une impulsion à une revalorisation de la matière grasse. C’est par définition un sujet interprofessionnel, mais, pour l’instant, ma question n’a pas trouvé d’écho. Dans les coopératives, particulièrement celles qui sont engagées sur les marchés de la matière grasse, la réflexion avance et elles pourraient être amenées à faire des propositions qui passeront forcément par une revalorisation des grammes différentiels de taux butyreux et un rapport différent entre matière grasse et matière protéique. Au niveau de notre entreprise [NDLR : Laïta], nous avons mis le sujet à l’étude. Nous espérons que les décisions pourront être prises pour la prochaine campagne [avril 2018 - mars 2019]. Il faut donner le bon signal aux producteurs pour qu’ils puissent évoluer dans la conduite de leur exploitation, à savoir que nous avons besoin de plus de matière grasse et que nous n’avons pas besoin de plus de matière protéique, voire un peu moins. »

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