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Réforme de la loi de modernisation de l'économie
« Ouvrir la grande distribution aux vents de la mondialisation »

Olivier Mével, universitaire breton<sup>(1)</sup> et consultant en stratégie des entreprises agroalimentaires. Seule la remise en cause du pouvoir de marché de la grande distribution, en l’ouvrant à la concurrence étrangère, est de nature à rééquilibrer les relations commerciales, selon l’universitaire.

D’année en année, les négociations commerciales entre industriels et distributeurs sont de plus en plus difficiles. Pourquoi ?
Olivier Mevel - « Les mêmes causes produisent chaque année les mêmes effets. Au sein du canal de distribution, qui comprend la production, les industries de première et deuxième transformation, les distributeurs et les consommateurs, les GMS se sont arrogées un pouvoir de marché exorbitant, donc la possibilité de fixer librement les prix et marges des autres maillons. En 2016, nous avons quatre super centrales d’achats face à 2 800 coopératives, 12 000 PME-PMI de l’agro-alimentaire et 380 000 exploitations agricoles. Les distributeurs nous font croire qu’il y a concurrence sur les prix mais la réalité au plus près du terrain est tout autre.
Depuis la loi Royer de 1973, l’urbanisme commercial, en France, s’est construit autour d’une autorisation administrative d’ouverture donnée par la commission d’aménagement commercial de chaque département. Les enseignes se sont disputées les mètres carrés commerciaux là où elles étaient fortes originellement. La France compte 630 zones commerciales. Dans 60 % de ces zones, un hypermarché est en situation de monopole face à des supermarchés, ce qui relativise la logique d’affrontement. Pendant 45 ans, le jeu a donc été d’empêcher les autres de rentrer dans ces bastions locaux de façon à organiser la captation de la rente sur les marges des fournisseurs. Jamais, depuis 45 ans, l’écart n’a été aussi grand entre les prix agricoles et les prix payés par les consommateurs. »
L’empilement des textes réglementaires n’a jamais réussi à rééquilibrer les relations commerciales. La réforme annoncée de la LME peut-elle y parvenir ?
O. M. - « Depuis 1986, il y eu douze réformes fondamentales du canal de distribution, toutes précédées d’un rapport parlementaire. Les lois agissent comme des cautères sur des jambes de bois parce que le pouvoir de marché du distributeur est trop fort. Le législatif ne peut pas agir sur la primauté de l’économie. Les amendements à la loi Sapin 2 (voir ci-contre) n’auront aucune influence. Tant que le distributeur pourra dire « vous avez besoin de me vendre, je n’ai pas besoin de vous acheter », les dés seront pipés dans les négociations commerciales. »
Comment s’y prendre donc ?
O. M. - « Dans l’immédiat, il faudrait prendre un certain nombre de mesures : renforcer les contrôles sur les déséquilibres significatifs, qui obligent les industriels à accepter des clauses scélérates ; protéger les lanceurs d’alerte afin qu’ils puissent s’exprimer librement sur les abus constatés ; construire un outil de régulation rendant des médiations possibles entre les industriels et les distributeurs et, enfin, mener les négociations commerciales dans des lieux neutres pour empêcher une théâtralisation mortelle de la négociation par le distributeur. Ensuite, il faut que le pays prennent son courage à deux mains. Les lois Royer, Raffarin et LME  empêchent toute constestabilité des parts de marché des GMS, chacune bien à l’abri dans leurs bastions régionaux. Il faut s’attaquer à l’oligopole de la grande distribution en abrogeant la loi Raffarin afin de permettre la contestabilité des parts de marché des distributeurs français par d’autres distributeurs étrangers. Nous passerions ainsi d’une logique de guerre des prix à une logique de construction catégorielle de l’offre. Les distributeurs auraient intérêt à préserver leurs relations avec les industriels parce que ceux-ci auraient plusieurs offres à faire à plusieurs distributeurs. Il faut ouvrir la grande distribution aux vents de la mondialisation. Il n’y a pas de raison que tous les secteurs de l’économie y soient sauf eux. »
La révision de la LME pourrait rendre obligatoire l’affichage du prix payé aux producteurs dans les contrats entre industriels et distributeurs. Qu’en pensez-vous ?
O. M. - « Je suis assez partagé. Cette clause va surtout servir le distributeur. Lors des négociations commerciales,  il aura une vue magnifique sur les profits et la rentabilité des industriels, notamment sur le coût d’achat de la matière première donc de leur valeur ajoutée. Je comprends que ceux-ci y soient opposés. Le secret des affaires doit être préservé pour ne pas donner toutes les informations au distributeur, sinon le remède s’avèrera pire que le mal. Pour autant, il serait opportun que soit indiquée sur les packagings des produits laitiers la décomposition du prix final, en terme de valeur ajoutée, qui revient à chacun des maillons afin de permettre au consommateur de faire librement son choix. »
D’autres, comme le patron de Système U, proposent de refonder les relations commerciales sur des « systèmes de contractualisation tripartite »...
O. M. - « À court terme, cela peut permettre de donner quelques centimes ça et là. Mais, pour que les éleveurs retrouvent un vrai pouvoir et surtout des prix, des marges et un revenu, il faut autre chose que des négociations tripartites. »
Comment les producteurs pourraient-ils retrouver un pouvoir économique au sein du canal de distribution ?
O. M. - « Le consommateur tranche de plus en plus en faveur de produits socialement responsables, notamment le consommer français. Dans le même temps, des GMS et des industriels disent aux producteurs que le lait français est substituable, c’est-à-dire qu’un litre de lait français vaut un litre de lait espagnol ou allemand. C’est totalement faux à partir du moment où le consommateur se met à trancher en faveur de produits français. Une voie est en train de s’ouvrir pour la reconnaissance d’un lait français payé aux éleveurs à un prix déconnecté de la poudre de lait et du beurre. L’engagement du consommateur en faveur du lait français casse l’argument de prix mondiaux, utilisé par les transformateurs, pour justifier la baisse de rémunération des producteurs. Les producteurs doivent mener un combat sur l’instauration d’un prix du lait français et sa valeur de consommation auprès du consommateur français. »
N’est-ce pas utopique dans le contexte actuel ?
O. M. - « J’appelle les industriels du secteur laitier à bien comprendre qu’il y a une réelle volonté des consommateurs d’avancer dans des logiques socialement responsables. Tous les signaux sont là. Les industriels sont soupçonnés de non transparence par le consommateur. Toutes nos enquêtes le font ressortir. La décroissance du linéaire laitier n’est pas venu toute seule. Ils doivent faire front commun avec les éleveurs parce c’est dans la traçabilité, dans des étiquettes claires et transparentes qu’ils remporteront le match qu’ils ont perdu contre les consommateurs. Mais, il est essentiel que dans la loyauté que réclament les consommateurs, les industriels reconnaissent le travail et la valorisation d’un lait français. C’est à la filière industrielle laitière de créer les conditions marketing d’un dialogue nouveau avec le consommateur basé sur l’intégrité et la solidarité qu’il éprouve vis-à-vis du producteur. Le mot clé des trois prochaines années dans la filière laitière française, c’est le mot solidarité avec les éleveurs. Des labels d’éleveurs aidés par l’État devraient être créés de toute urgence. C’est en reconnectant les éleveurs aux profits dégagés en aval que les industriels retrouveront crédit auprès des consommateurs non seulement du point de vue de la transparence mais aussi dans une logique de dynamisation des ventes en linéaires. »
(1) Maître de conférences en sciences de gestion à l’université de Bretagne occidentale
Instaurer un prix du lait français

Loi Sapin 2 : mesures spécifiques à l’agriculture et révision de la LME

Le projet de loi portant sur la transparence, la lutte contre la corruption, et la modernisation de la vie économique, dite loi Sapin 2, intègre deux dispositions spécifiques à l’agriculture. D’une part, l’interdiction de la cession à titre onéreux des contrats laitiers pour une durée de cinq ans afin d’éviter le renchérissement du coût de l’installation et de l’investissement. D’autre part, le renforcement de la contrainte applicable aux entreprises de l’agro-alimentaire qui ne se soumettent pas à l’obligation de publier leurs résultats comptables. Elles pourraient y être contraintes sur décision du tribunal de commerce, sous peine d’une astreinte financière dissuasive. Le gouvernement a également annoncé une révision de la LME. Dans un communiqué du 30 mars dernier, il envisageait de proposer deux amendements à la loi Sapin 2. L’un autoriserait dans certains cas des négociations commerciales pluriannuelles et, l’autre rendrait obligatoire, pour certains produits, l’indication du prix payé au producteur dans le cadre des négociations commerciales. Le débat parlementaire du projet de loi devait démarrer courant juin à l’Assemblée nationale.

« Une LME à deux vitesses pour protéger les petits industriels »

Olivier Dauvers, éditeur et consultant, spécialiste de la consommation. La LME devrait protéger davantage les petits industriels face à la distribution et l’affichage de l’origine de la matière première être obligatoire pour revaloriser la production française.

Pourquoi les négociations commerciales sont-elles de plus en plus difficiles ?
Olivier Dauvers - « Le fond du problème réside dans la situation actuelle de la consommation. La consommation stagne et, dans le même temps, l’offre en termes de surfaces commerciales continue de croître. Cela génère de l’agressivité entre enseignes, qui voient leur modèle économique attaqué. Je ne conteste pas l’état difficile des relations entre les distributeurs et les industriels. Simplement, je conteste farouchement que ce soit par volonté intrinsèque. Les négociations sont les conséquences de l’agressivité qui se jouent au quotidien entre enseignes. »
La réforme annoncée de la LME vous paraît-elle de nature à rééquilibrer les rapports de force ?
O. D. - « Non. La seule façon qui permettrait à la nouvelle loi de rééquilibrer les rapports de force serait d’instaurer un traitement différencié entre les petits industriels qui ont besoin de la protection de la loi et les gros industriels, qui n’en ont pas besoin. Cela voudrait dire par exemple que la négociabilité des tarifs ne pourrait pas être pratiquée avec les petits industriels ou que les distributeurs devraient s’engager sur des contrats pluriannuels pour leur donner de la visibilité. L’idée d’une LME à deux vitesses commence à faire son chemin. Pour être efficace, la loi doit être coercitive, sinon elle sera contournée. »
Au-delà des lois, quels seraient les moyens pour les producteurs de retrouver un pouvoir économique au sein de la filière ?
O. D. - « La problématique du producteur aujourd’hui est liée à la libre circulation des marchandises matières premières qui fait qu’un industriel comme un distributeur ira les chercher au mieux de son intérêt, au besoin ailleurs qu’en France. Si on veut revaloriser la production française, il faut imposer aux transformateurs l’affichage de la provenance des matières premières. C’est une décision politique qu’aucun ministre de l’Agriculture, depuis vingt ans, n’a eu le courage de prendre. Cela dépasse complètement le problème de la distribution. Sur ce sujet, les meilleurs alliés des producteurs sont les distributeurs. L’origine de la matière première devrait être affichée en caractère minimum et en face avant du packaging. Ce faisant, en bout de chaîne, on redonnera de l’intérêt à des produits dont la matière première est française et, en début de chaîne, les producteurs devraient pouvoir en tirer un intérêt. »

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