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Outils de gestion des risques : qu’attendre de la PAC ?

Assurances, instruments de stabilisation du revenu… décryptage des possibilités offertes aujourd’hui par la PAC et perspectives, avec Jean Cordier d’Agrocampus Ouest, spécialiste de la gestion des risques agricoles.

Les réformes de la PAC se succèdent depuis 25 ans. Toutes, depuis celle de 1992, avancent dans la même direction : une réorientation par les marchés. Elle s’est traduite par la suppression des barrières à l’import/export et le démantèlement progressif des mesures de régulation publiques. L’Europe a clairement fait le choix de privilégier des formes de régulation privées telles que le renforcement des relations contractuelles et les OP, les marchés à terme, ou les outils de gestion des risques. Fin novembre, le pré-accord du règlement Omnibus vient de donner un signal politique fort pour aller vers des instruments de gestion des risques. À la France désormais de se positionner dans le nouveau cadre européen. Explications de la vision de l’Union européenne en matière de gestion des risques avec Jean Cordier, d’Agrocampus Ouest.

Des risques assurables et non assurables

« L’idée de base est de gérer deux types de risques. D’un côté, les risques qui sont mutualisables comme les accidents, la grêle, l’incendie… et donc assurables (risques dits indépendants). De l’autre, les risques non assurables où quand l’événement arrive, il arrive chez tout le monde (risques dits systémiques) comme le 'risque prix'. La question du type de risque peut se poser pour le risque sanitaire (maladies contagieuses) ou climatiques (sécheresse sur tout le pays) ». Face à ces deux types de risques, deux types d’instrument sont sur la table depuis fort longtemps : les assurances contre le « risque production » essentiellement climatique, et le fonds mutuel contre les risques non assurables, qui est une épargne collective.

En 2009 : un fonds mutuel dans le pilier 1

L’Union européenne franchit en 2009 un premier pas important. Elle donne aux États la possibilité de bénéficier de subventions du premier pilier de la PAC pour l’assurance agricole. Et propose la mise en place de fonds mutuels privés pour les risques sanitaires et environnementaux. C’est dans ce cadre qu’est créé en France en 2013 le FMSE, qui est un fonds mutuel sur les risques sanitaires (animaux et végétaux) et environnementaux. « La France est le seul pays qui l’ai fait : elle est en pointe sur la mise en œuvre d’instruments de gestion des risques. »

En 2013 : un fonds de stabilisation du revenu

Deuxième étape importante en 2013 : la gestion des risques est transférée dans le second pilier de la PAC (celui du cofinancement, du développement rural). « L’aide européenne aux instruments privés de la gestion des risques est plus adaptée au pilier 2 qu’au pilier 1. Ce transfert donne plus de marge de manœuvre aux pays et permet de disposer d’un budget pluriannuel. Elle ne doit cependant pas être déconnectée des filets de sécurité pour des cas extrêmes de marché dont la responsabilité reste dans le pilier 1. "

Parallèlement des améliorations sont apportées à la boîte à outils. La première est l’introduction d’indices au niveau des assurances (article 37) : on ne regarde plus la perte réelle de l’agriculteur. « Les principaux assureurs agricoles sont tous aujourd’hui sur des assurances indicielles. Ils peuvent ainsi gérer des risques avec une composante systémique plus forte. C’est ce qui a permis le développement de l’assurance fourrages. » La seconde est l’élargissement du fonds mutuel sanitaire et environnemental au climat (article 38). La troisième innovation est l’apparition du fonds mutuel de stabilisation du revenu agricole (article 39), autrement dit d’un dispositif d’épargne collective permettant de gérer le risque prix. Le fonds est mobilisable si les pertes dépassent le seuil de 30 %, et les pertes sont estimées à partir du revenu agricole.

La boîte à outils 2013 fonctionne très mal

« Cette boîte à outils proposée en 2013 a permis un développement marginal de l’assurance, et n’a pas suscité le développement de fonds mutuel en Europe », déplore Jean Cordier. Le seul fonds mutuel bénéficiant de subventions européennes est en effet le FMSE français. De plus il ne fonctionne pas de façon optimale : « il devrait fonctionner avec 65 % de subventions européennes mais la réalité est de 6 %. Car il intervient sur risque sanitaire lors de l’apparition de foyer, donc la plupart du temps avant que le seuil de 30 % de pertes exigé pour déclencher l’aide européenne ne soit atteint. Une amélioration de la réglementation dans la future PAC est nécessaire ».

Il n’existe aucun fonds de stabilisation du revenu bénéficiant de subvention européenne. « Des projets ont été étudiés en Italie, Espagne et Hongrie mais ils n’ont jamais vu le jour car ce type de fonds est impossible à faire fonctionner pour deux raisons. L’utilisation du revenu comptable pour l’estimation des pertes ne permet pas d’être efficace et réactif. Et on se heurte à un effet de compensation entre productions qui fait que le seuil de pertes déclenchant l’aide (30 % baissés à 20 % par l’Omnibus) est rarement atteint. »

Deux avancées avec l’Omnibus

Le règlement Omnibus modifie la donne et devrait rendre possible la création de fonds de stabilisation du revenu. « Il dit en effet deux choses essentielles : on travaille sur des fonds sectoriels (par exemple un fonds laitier, un fonds betteravier…), et on autorise les indices. Il donne le feu vert pour initier les instruments de gestion des risques. »

« Il est maintenant urgent de développer une réflexion nationale. Tout reste à construire dans ce cadre européen. » Le dispositif prévoit un cofinancement des instruments de stabilisation du revenu avec 70 % d’aides publiques (75 % Europe et 25 % État ou région), et 30 % de primes payées par les agriculteurs. L’Omnibus permet aussi de le déclencher plus vite en cas de crise (le seuil de pertes descend à 20 % au lieu de 30 %).

Un financement à trouver dans la PAC

« Les producteurs européens seraient heureux d’avoir les aides directes et des instruments de gestion des risques. Mais à budget PAC constant (le meilleur des cas), il est clair que cela signifie moins d’aides directes pour plus d’instruments de gestion de risque », défend l’économiste. Pour être efficace, il estime à 10-15 % la part des aides directes à transférer vers la gestion des risques.

Les producteurs seraient-ils gagnants à un tel transfert ? L’argument mis en avant par Jean Cordier est qu’« une partie des aides directes n’est pas captée par les producteurs. Plus on donne de l’argent, plus on fait du revenu en amont et en aval, et le revenu agricole ne s’améliore pas sur le long terme. Les aides publiques qui seront mises sur ces instruments de gestion de risque ne feront pas l’objet de fuite et seront activées dans les périodes difficiles au bénéfice des producteurs ».

Il reste à trouver le chemin qui soit économiquement et politiquement acceptable pour aller vers cette épargne collective. « Les fonds mutuels doivent être progressifs. On avancera en expérimentant et en faisant des erreurs, car on dispose de peu d’informations en Europe. C’est ce que font les États-Unis depuis plus de 30 ans. On peut éviter leurs erreurs. La différence est qu’avec leur assurance-marge sur le lait, ils disposent d’un budget illimité et d’un prix à terme. »

Un fonds de stabilisation pour le lait ?

« Le secteur laitier pourrait tirer bénéfice d’un tel instrument, par exemple en s’appuyant sur les indices de coût (Ipampa) et de marge (Milc) de Idele. D’autant plus que la notion d’instrument sectoriel est une forme de 'couplage' car on aide directement l’activité laitière. »

On reproche aux outils de stabilisation du revenu d’inciter à continuer à produire quand le marché se dégrade. « La solution est dans le développement des marchés à terme : en 2015, si on avait connu deux ans à l’avance les prix correspondant aux intentions de développement de production des pays, les intentions se seraient-elles transformées en réalité ? Le marché à terme fait la synthèse, il donne la vision d’une grande région comme l’Europe dans le cadre mondial », argumente-t-il.

« Les instruments de gestion de risque ont à mon sens plus d’avenir qu’un système de réduction de la production temporaire, difficile à mettre en œuvre avec des pays qui ont des visions totalement différentes ». D’ailleurs, le projet Omnibus vient de repousser le débat sur la mobilisation immédiate d’un tel dispositif en cas de crise à la prochaine révision de la PAC.

Le marché à terme réduirait la volatilité pour les producteurs

« Je crois au développement du marché à terme car il est indispensable. Ce serait au bénéfice des producteurs », affirme Jean Cordier. Le marché à terme est le premier niveau de gestion de risque. Il donne de la visibilité sur les cours et ainsi permet de s’engager sur des prix pour une production future. En donnant des indicateurs prévisionnels fiables, il permettrait de disposer d’instruments contractuels de gestion des risques plus perfectionnés. « Il se développe en Allemagne. Le marché à terme de Leipzig appelé EEX veut lancer un marché à terme sur le lait liquide au printemps 2018, ce serait excellent. Le principe du contrat basé sur des indices de prix proposé par EEX est innovant car il traiterait du prix du lait payé aux producteurs donc en amont des laiteries. »

Qu’aurait donné un ISR laitier sur les dix dernières années ?

L’institut de l’élevage a travaillé pour la filière laitière sur un instrument de stabilisation du revenu (ISR) basé sur l’indicateur marge Milc. Le principe consiste à déclencher une compensation quand la marge se dégrade de façon importante, c’est-à-dire quand l’indicateur descend en dessous d’une valeur seuil. Ce seuil est égal à 80 % de sa moyenne triennale (glissante). La compensation est alors égale à 70 % de l’écart entre la moyenne triennale et la marge calculée.

« Nous avons fait une simulation rétrospective de ce qu’aurait donné cet ISR de 2007 à mars 2016 à partir de 2 300 exploitations du Rica ayant produit du lait conventionnel, explique Christophe Perrot. L’outil est globalement intéressant. Il fonctionne plutôt bien pour une crise type 2009 courte, profonde et assez brutale (la perte dépasse très vite la franchise de 20 %). Le mécanisme se déclenche tôt et permet de verser une compensation significative de 20 à 30 €/1 000 litres (en moyenne sur des exercices de 12 mois) selon les hypothèses retenues. 75 % des dépenses sont bien ciblées (sans surcompensation), au bon moment, dans des exploitations qui ont effectivement subi des pertes. En revanche, il fonctionne moins bien avec des crises comme celle de 2012-2013 (envolée du prix des charges) ou 2015-2016 (crise plus longue et dont le début est moins net). La compensation ne se déclenche pas assez vite. Et même en 2009, la compensation est effectivement partielle (à hauteur de 25 à 40 % des pertes subies). » Pour disposer d’un outil opérationnel, suffisamment sensible pour détecter les crises avec les règles préétablies dans la définition d’un ISR, il reste donc des réglages à réaliser sur la définition du bon indicateur de marge. Il faut également travailler sur la fréquence à laquelle sont réalisées les comparaisons entre la marge et la référence.

Un outil intéressant qui demande des réglages

Christophe Perrot souligne par ailleurs « plusieurs effets pervers potentiels » de ce type d’outil. « Comme il atténue le signal lié au prix, il incite à continuer à produire quand la situation des marchés se dégrade. Et risque également d’influer le comportement des acheteurs de lait. » Du fait de la structure de notre aval, l’ISR est aussi plus compliqué à mettre en place en France qu’aux Pays-Bas et au Danemark (monopole coopératif) ou en Irlande (forte volatilité favorable au déclenchement de l’ISR). Il craint que « ces pays n’accroissent encore leur compétitivité avec un complément en conjoncture défavorable en se dotant d’un ISR efficace ». Autre interrogation : « tous les secteurs de production agricole s’y intéressent ; il y aura forcément un prélèvement sur les DPB pour le financement, jusqu’où ira le pot commun ? » A elle seule, la crise laitière de 2009 aurait conduit à verser entre 300 et 600 millions d’euros de compensations.

En tout cas « l’ISR ne peut être un outil universel qui règle tout et tous les types de crise. Les contrats avec les laiteries et l’épargne individuelle de précaution doivent pouvoir prendre le relais quand le seuil de 20 % n’est pas atteint : il reste à trouver la bonne articulation entre ces outils puisque le recours à l’intervention ou à la réduction subventionnée de la production semblent s’éloigner des projets de la Commission (d’après la récente déclaration de Phil Hogan en Irlande louant l’annonce de FrieslandCampina d’une probable limitation de leur production avec des prix dissuasifs (lire Réussir Lait, n° 319, décembre 2017, p. 15) ».

Mais "en l’absence de consensus européen sur la nécessité de revenir à une forme de contrôle de l’offre et de gestion des marchés, la solution pourrait aussi venir d’une application stricte de la réglementation environnementale existante "… aux Pays-Bas ou en Allemagne du Nord.

« Nous avons deux inquiétudes fortes »

« Nous explorons pour le moment toutes les solutions de gestion des risques et ne rejetons pas l’idée de réserve sectorielle, elle peut être intéressante. Mais nous avons deux inquiétudes fortes. La première concerne le financement de tels outils : s’il s’agit de transférer une partie des aides du premier pilier pour alimenter un pot commun dans le second pilier, les éleveurs laitiers qui ont des DPB supérieurs à la moyenne nationale (notamment ceux de l’Ouest) risquent d’être à nouveau pénalisés. Notre deuxième inquiétude concerne nos acheteurs. À partir du moment où il existe un instrument collectif de sécurisation du revenu, ils pourraient se sentir dédouaner de tout soutien des éleveurs en cas de crise."

Gilles Psalmon directeur de la FNPL

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