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Christophe Lafougère, directeur de Gira, société de consulting spécialiste des marchés agroalimentaires
« Oui, le lait a un avenir »

La production laitière mondiale va être tirée par l’Europe et la demande en produits laitiers par les pays émergents, notamment la Chine. Des marchés marqués par le retour en grâce de la matière grasse.

Christophe Lafougère, directeur du Gira. "Au cours des cinq prochaines années, la Chine sera le moteur de la croissance de la consommation des produits laitiers."
© R. Lemoine
Comment analysez-vous la reprise plus lente que prévue des marchés laitiers ?
Christophe Lafougère - "La légère amélioration de la situation début 2017, qui ne s’est pas confirmée, est due non pas à une hausse de la demande mais à une baisse de l’offre. La production a reculé en Nouvelle-Zélande et la croissance s’est fortement ralentie en Europe. Pour la première fois depuis 2005, nous avons assisté en 2016 à une baisse de la production laitière dans les principaux pays exportateurs. Pour 2017, nous prévoyons une augmentation de 0,9 %, un des taux les plus faibles jamais vus. De l’autre côté, la demande n’augmente guère. Les économies pétrolières, vu les faibles cours du pétrole, ont moins d’argent pour acheter des produits laitiers. La Chine n’est pas encore revenue aux taux de croissance des années passées. Et, l’embargo russe a toujours un effet."
Comment va évoluer la production mondiale de lait dans les cinq ans à venir ?
C. L. - "Une fois par an, Gira établit les tendances pour les cinq ans à venir des marchés laitiers, construites sur l’analyse des données de 27 pays (l’UE en représentant un seul). En excluant l’Inde qui n’intervient pas sur le marché mondial, la production laitière devrait augmenter de 34 millions de tonnes d’ici à 2021, pour atteindre près de 546 millions de tonnes (Mt). Cette progression sera essentiellement le fait des États-Unis (+ 7,4 Mt) et de l’Union européenne (+ 8,5 Mt). La Nouvelle-Zélande a atteint un plateau. Aux États-Unis, la croissance de la production est drivée par un puissant marché domestique, qui continue à se développer, et par le marché mexicain. Les Américains sont exportateurs par opportunisme. C’est donc l’Europe, qui a le plus gros potentiel de croissance de la production et qui va être le moteur de la croissance des exportations mondiales de produits laitiers."
Comment cette croissance de la production va-t-elle être absorbée ?
C. L. - "L’Europe est un marché mature, voire en baisse pour le lait liquide. Mais, la consommation de fromages va continuer à croître. Dans certains pays d’Europe de l’Est, la consommation par habitant va encore progresser et, dans l’ensemble de l’Union européenne, le fromage utilisé comme ingrédient (industrie et RHD) va poursuivre sa croissance. Ces débouchés devraient absorber des volumes intéressants mais ne seront pas forcément les mieux valorisés. Il faudra donc compter sur les exportations pour écouler le supplément de production de lait, en sachant que les pays émergents représenteront les trois quarts de la croissance de la demande et la Chine 55 %. La Chine sera le moteur de la croissance de la consommation (lire ci-contre)."
Comment expliquez-vous l’évolution divergente des prix de la protéine et de la matière grasse ?
C. L. - "Un changement essentiel est en train de se produire sur les marchés des commodités. Le prix de la protéine est tiré vers le bas par des stocks d’intervention qui continuent à augmenter et, de l’autre côté, la demande en matière grasse n’arrête pas de progresser. Tout le monde se met à redécouvrir la matière grasse alors que l’offre n’est pas suffisante. La valorisation de la matière grasse va continuer à être supérieure à celle de la protéine au cours des prochaines années. Cela posera un problème aux coopératives notamment. Comment vont-elles payer le lait dont le prix, aujourd’hui, est basé principalement sur le taux de protéine ?"
L’instabilité des marchés va-t-elle rester aussi forte que ces dernières années ?
C. L. - "Dans le futur, la volatilité des prix va augmenter mais pas forcément son amplitude. Les producteurs vont réagir à des signaux, notamment en Europe où la capacité de réaction est forte, ce qui fera augmenter et descendre les prix très rapidement. Mais, l’amplitude sera plus faible parce qu’on est justement capable de réagir rapidement. Tout dépendra aussi des signaux envoyés par les coopératives. Il est urgent de mettre en place des outils de stabilisation du prix du lait pour protéger les producteurs de cette variabilité, qui n’est pas prêt de disparaître comme l’a fait Glanbia en Irlande avec, par exemple, un prix du lait annualisé sur une partie de la production."
Vous travaillez beaucoup avec les coopératives, comment voyez-vous leur avenir ?
C. L. - "Le futur des coopératives laitières passe par des accords entre coopératives de différents pays, à l’image des alliances aériennes. Si on exclut les quatre plus grosses (Frontera, Friesland, Arla Foods, Glanbia), des coopératives plus petites et non concurrentes, comme Sodiaal en France, DMK en Allemagne, Granarolo en Italie, Valio en Finlande, Spomlek en Pologne, pourraient travailler ensemble sur la mise en marché, la recherche et développement… Je suis surpris que, malgré les difficultés que nous traversons, on n’aille pas dans ce sens. C’est dommage parce que la France a des entreprises et des producteurs remarquables. Mais, on est souvent trop dispersés pour pouvoir bien valoriser la production."
Êtes-vous confiant pour l’avenir de la production laitière ?
C. L. - "Oui, le lait a un avenir. On aura toujours besoin de lait et le marché sera tiré par l’exportation. Il n’y a aucun doute sur cela. En Europe, nous avons un potentiel de production énorme, même si les Pays-Bas vont devoir réduire leur production laitière à cause des nouvelles normes environnementales. Nos produits laitiers sont d’excellente qualité. Notre image est fabuleuse, surtout celle de la France sur des produits comme le beurre et la crème. Le lait est un secteur porteur, où il n’y a pas de scandale, il est perçu bon pour la santé… L’enjeu est de trouver des leviers pour augmenter la valeur."
Une petite accroche

La Chine, principal moteur de la croissance

Quels taux de croissance prévoyez-vous en Chine pour les cinq ans à venir ?
Christophe Lafougère - "Pour les gros produits, tels que poudres grasses, poudres maigres et lactosérum, la croissance va se poursuivre mais à un rythme assez lent, de l’ordre de 7 à 8 % sur les cinq prochaines années. En poudres grasses, on ne retrouvera pas le niveau de 2013-2014 et on l’atteindra tout juste en poudres maigres. Par contre, sur les produits à valeur ajoutée, les taux de croissance seront beaucoup plus forts : 21 % pour la crème, 13 % pour le beurre, 16 % pour les fromages, 12 % pour le lait infantile. Mais, ils représentent des volumes beaucoup plus petits. Néanmoins, c’est là où les entreprises européennes sont bien placées, surtout en beurre et crème."
Quels sont les moteurs de cette croissance ?
C. L. - "La croissance du marché, en Chine, va venir beaucoup du e-commerce qui est en train de se mettre en place. Il donne accès à des zones peu couvertes par la grande distribution classique où il y a un déficit de consommation par rapport aux très grandes villes où le marché commence à être saturé. C’est une nouvelle chance pour les entreprises françaises d’aller vendre en Chine. Le problème, c’est qu’on a tendance à vouloir vendre ce qu’on sait faire et non à fabriquer ce qu’on va pouvoir vendre. Les Chinois n’ont pas nos traditions gastronomiques. Il est très important de vraiment comprendre, et de leur fabriquer, ce dont ils ont besoin. À l’exemple de la mozzarella fabriqué par Frontera. Elle fait un carton sur le marché chinois, mais le processus de fabrication a été complètement repensé."
Les Chinois tiennent cependant à garder la main sur leurs importations…
C. L. - "Début 2017, lors d’une conférence laitière, les autorités chinoises ont officiellement annoncé que la part des importations, par rapport à la consommation, augmenterait dans les cinq prochaines années. Mais, pour protéger son marché, la Chine veut contrôler ses importations. Elle a donc mis en place une politique de joint-venture, d’acquisitions et d’accords avec de nombreuses sociétés étrangères. Les Chinois, à terme, vont nous laisser principalement ce qui n’est pas à valeur ajoutée. Prenons l’exemple du lait infantile. Avec tous les investissements qu’ils ont faits à l’étranger où leur participation est majoritaire, les Chinois ont le potentiel de contrôler plus de 100 % des volumes qu’ils importent. À moyen terme, on va se retrouver en concurrence frontale avec eux sur des marchés émergents. En lait UHT, ils ont la main sur 50 % du total de leurs importations. Ils sont en train de bouger aussi sur les poudres grasses. Et, ils ne lésinent pas sur les moyens pour réaliser ces investissements."

Rencontres laitières du Grand Ouest

Christophe Lafougère exposera les perspectives des marchés laitiers pour les cinq prochaines années lors des rencontres laitières du Grand Ouest, qui se tiendront le 4 juillet 2017 à l’Agrocampus Ouest de Rennes. Trois thématiques seront développées : avenir des marchés des produits laitiers, attentes sociales, résultats économiques des élevages laitiers. Renseignements : www.gis-elevage-demain.org

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