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Gaec Giard, dans la Manche
« Nous valorisons les atouts de la Normande »

Un million de litres de lait transformés en camembert AOP, de bons taux, des réformes finies, des jeunes bovins… le Gaec Giard est une vitrine pour la race.

Lorsque Eugène Giard s’est installé sur une petite ferme au lieu-dit « Le Château » à Laulne en 1921, comment aurait-il pu imaginer que près d’un siècle plus tard, deux arrière-petits-fils seraient à la tête d’une exploitation de 217 ha ? Qu’ils produiraient plus d’un million de litres de lait avec 200 vaches de race Normande. Et qu’ils pourraient traire 160 vaches en deux heures, nettoyage de la salle de traite compris.

Le Gaec a connu une forte croissance de son activité à partir de l’installation de Stéphane en 2001. « À l’époque, j’ai repris 38 ha et 140 000 litres de lait. Notre quota est passé à 450 000 l. Puis quand mon frère s’est installé en 2009, le quota a atteint 767 000 l. Emmanuel avait repris une ferme de 50 ha. Nous avons laissé un îlot de 10 ha parce qu’il était trop éloigné (25 km) de notre exploitation », indique Stéphane Giard.

L’augmentation de la référence a été gérée sans achat d’animaux pour éviter les problèmes sanitaires. « La première année, nous avons préféré ne pas faire toute notre référence. Nous avons produit 679 000 l de lait. Mais, en 2010, nous avons pu produire notre quota parce que nous avions anticipé son évolution. Nous avions réformé moins de vaches et arrêté de distribuer du lait entier aux veaux. »

Une nouvelle salle de traite pour 450 000 euros

Mais avec un troupeau de 110 vaches, la salle de traite 2 x 5 en épi comme les éleveurs saturent. « On y passait trop de temps. » Les deux frères décident alors d’investir dans un Roto 28 places pour accélérer la cadence de traite. Le montant de l’investissement s’élève à 450 000 euros dont 220 000 euros pour le matériel de traite et 230 000 euros pour la maçonnerie (caillebotis, fosse de 330 m3, parc d’attente), la couverture… Malgré l’importance accordée à l’optimisation du temps de travail d’astreinte, Stéphane et Emmanuel Giard ne se sont pas laissés tenter par le robot de traite. « Ce n’est pas une solution idéale avec un troupeau de Normandes et un système pâturant, estiment-ils. Nous avons choisi un Roto traite intérieur plutôt qu’extérieur pour faciliter le suivi des vaches et l’hygiène de traite. C’est très important pour nous qui sommes en AOP camembert de Normandie au lait cru depuis 2006. Notre laiterie (Réaux) accorde une prime mensuelle de 23 euros/1 000 l en fonction des résultats sanitaires (cellules, butyriques, germes, E. coli, salmonelles, staphylocoques et listeria). »

Une prime sanitaire de 23 euros/1 000 litres

La prime est notamment supprimée quand un comptage cellulaire dépasse 300 000 cellules. Avec une livraison mensuelle comprise entre 90 000 et 100 000 l de lait, le manque à gagner sur la paye de lait peut atteindre 2 300 euros. « Nous n’avons jamais eu de problème sauf en avril où ils ont grimpé à 314 000 c/ml. Ils ont commencé à augmenter progressivement en décembre. Tout le troupeau était concerné. Il semblerait que ce soit dû à la présence de mycotoxines dans l’ensilage de maïs épi. Un problème au niveau de la pompe à chlore utilisée pour le traitement de l’eau de notre forage serait également responsable de l’augmentation des comptages cellulaires. Depuis ils redescendent doucement », souligne Emmanuel avec satisfaction.

Malgré ce léger dépassement, la laiterie a finalement versé la prime sanitaire pour le lait livré en avril. Les éleveurs apprécient d’autant plus que pour limiter les risques de dérapage, ils utilisent un protocole d’hygiène de traite rigoureux : traite à deux personnes (sauf le dimanche), prétrempage avec un produit moussant, lavettes individuelles lavées matin et soir, éjection des premiers jets et post-trempage avec un produit à effet cosmétique en alternance avec un produit plutôt désinfectant à base de dioxyde de chlore.

Une plus-value AOP de 47 euros/1 000 litres en été

La prime sanitaire conditionne également l’octroi de la prime de saisonnalité (10 euros/1 000 l en juillet et novembre et 12 euros/1 000 l d’août à octobre). Indépendamment de la prime sanitaire, l’AOP Réaux prévoit pour la campagne 2018-2019 une prime de 8 euros/1 000 litres pour les troupeaux 100 % normands contre 4 euros/1 000 l quand la proportion de Normandes est d’au moins 50 %. Une autre prime de 4 euros/1 000 l est versée quand le cahier des charges de l’AOP est respecté.

Autre bonne nouvelle pour les deux frères, leur laiterie a accordé une rallonge de 10 % pour la campagne 2018-2019 sur laquelle le système de prime AOP fonctionne. « Lors de la précédente campagne, nous avions eu une rallonge de 15 % », note cependant Stéphane avec une pointe de regret.

La richesse du lait est un autre atout de la race Normande. « Les taux compensent une partie de la chute du prix de base. Lors de la campagne 2016-2017, nous avons livré plus d’un million de litres de lait à 43,6 g/l de TB et 35,2 g/l de TP (5 800 l de lait/vache). Cela nous a permis de réaliser une plus-value de 40 euros/1 000 l soit plus de 40 000 euros. » Pas étonnant donc que les taux soit un des trois critères de sélection prépondérants avec les aplombs et la qualité des mamelles. Le lait n’intervient qu’après dans le choix des taureaux.

La mixité de la race est également mise à profit pour booster le produit viande. « Nous réformons 35 à 40 vaches par an. Elles sont systématiquement finies. L’année dernière nous en avons vendu 36 au prix moyen de 1 338 euros. Le poids moyen de carcasse était de 400 kg (3,34 euros/kg de carcasse). »

Une finition de trois mois pour les vaches de réforme

Les vaches de réforme sont taries pendant une semaine. Elles ne consomment alors que du foin. Puis elles sont finies pendant trois mois avec la même ration complète que celle distribuée aux taurillons pour simplifier le travail. Elle se compose d’ensilage de maïs, d’ensilage d’épi de maïs en hiver (remplacé par du blé en été), de correcteur, d’urée, de foin et d’un minéral sans phosphore. « Nous avons amélioré la finition des vaches depuis qu’elles sont dans notre nouveau bâtiment en aire paillée. »

La voie mâle n’est pas en reste. L’année dernière, 49 jeunes bovins ont été vendus au prix moyen de 1 433 euros (425 kg à 3,37 euros). « Avoir plusieurs productions est un point fort de notre système. Quand une production va moins bien on peut compenser en partie les pertes avec les autres », indique Stéphane Giard.

Par ailleurs, l’évolution récente du cahier des charges de l’AOP (Réussir Lait, avril 2018, n° 323, page 14) devrait accroître la demande en génisses et vaches en lait de race Normande. Une nouvelle opportunité à saisir pour le Gaec ? Avec un cheptel à effectif stable, même sans utiliser de paillettes sexées, cette option est envisageable. Stéphane et Emmanuel Giard envisagent cependant cette hypothèse avec prudence. « Tout dépendra du contexte. »

Améliorer les conditions de travail

Désormais, la priorité, c’est d’améliorer les conditions de travail. « Nous sommes en vitesse de croisière. Nous n’agrandirons plus le bâtiment des vaches laitières (144 logettes). Nos investissements seront plutôt dédiés à l’amélioration de nos conditions de travail. C’est pour cette raison que nous avons monté un dossier PCAE (lire article page ????) dans lequel, le plus gros investissement concerne l’achat d’une pailleuse automatique. » Au Gaec, la charge de travail est importante. « Si on attendait de partir en vacances quand il n’y plus de boulot, on ne partirait jamais », souligne en souriant et sans amertume Emmanuel. Les deux frères prennent environ une semaine et demie de congé par an. Ils travaillent un dimanche sur trois.

Le Gaec tourne avec quatre personnes. « L’année dernière, un de nos deux salariés est parti. C’est difficile de trouver des bons salariés. Nous avons donc pris un apprenti. » Leur père donne aussi un bon coup de main. Côté organisation, la traite est réalisée à deux personnes. Stéphane et Emmanuel Giard traient une semaine sur deux en alternance. Le dimanche, il n’y a qu’une personne pour traire. Le soin aux animaux est par conséquent allégé. « Les logettes ne sont pas paillées. Nous préparons la mélangeuse (24 m3) pour les vaches le samedi soir. Il n’y a plus qu’à distribuer. Cela prend moins de dix minutes. » La ration des génisses et des taurillons est distribuée le samedi matin en quantité suffisante pour tenir jusqu’au lundi matin.

Le silo de maïs ouvert toute l’année

Une quarantaine d’hectares (RGA-TB) organisés en deux blocs de chaque côté du corps de ferme sont accessibles aux vaches. Cette surface permet notamment de respecter le cahier des charges de l’AOP. Ce dernier impose un minimum de 25 ares par vache. Le troupeau pâture des paddocks de 2 ha dans lesquels il reste trois jours. Il y a deux abreuvoirs de 1 200 l dans chaque paddock. Le diamètre intérieur des tuyaux du réseau d’eau est de 15 mm. « C’est un peu juste. L’idéal serait d’avoir des tuyaux de 20 à 25 mm. »

Le silo de maïs est ouvert toute l’année. « Les vaches consomment 9 kg de MS d’ensilage de maïs au printemps, complétés par 2 kg de tourteau de colza et 0,9 kg de tanné », précise Stéphane Giard. Les trois quarts de cette ration sont distribués le soir après la traite. Les vaches ont toujours accès à une pâture la nuit. Le quart restant de la ration est distribué le matin. « Cela nous permet de bloquer les vaches pour faire des soins et les inséminations. » Le cahier des charges de l’AOP impose de mettre du foin à disposition du troupeau toute l’année.

Du RGI-trèfle incarnat en dérobée

La ration hivernale se compose de 10 à 11 kg de MS d’ensilage de maïs, 3 kg de MS d’ensilage d’herbe cultivée en dérobée (RGI-trèfle incarnat), de foin distribué à l’auge, 2 kg MS de maïs épi, 2,8 kg de tourteau de colza et 1 kg de tourteau tanné. « Cette année nous avons essayé d’incorporer de la betterave (1,5 kg de MS). Mais nous n’avons pas constaté d’effet positif sur les taux. Ils n’ont pas baissé lorsque nous avons arrêté de distribuer de la betterave. »

Sur les 60 ha de maïs, 12 ha sont récoltés en maïs épi sur une parcelle située à 17 km de l’exploitation. « Par rapport à de l’ensilage de maïs, c’est plus facile d’organiser le chantier. Il y a moins de volume à transporter. Et c’est un bon aliment pour concentrer la ration des vaches et des taurillons en énergie. »

Un PCAE de 325 000 euros subventionné à 40 %

Stéphane Giard a suivi une formation organisée en 2017 par la chambre d’agriculture pour connaître les critères à respecter pour monter un dossier PCAE. « Avant de nous engager, nous sommes allés voir notre banquier pour savoir s’il voulait bien nous suivre. » Visiblement le dossier a été bien ficelé. Le Gaec a reçu en mars le feu vert de l’administration pour subventionner les 325 000 euros d’investissement à hauteur de 40 %.

L’achat d’une pailleuse automatique (95 000 euros) occupe une place centrale dans ce projet. « Cet investissement va nous permettre d’améliorer nos conditions de travail. On mettra les balles de paille dans le broyeur. Il suffira d’appuyer sur un bouton pour pailler les 144 logettes et le nouveau bâtiment (800 m2 d’aire paillée) pendant que nous serons à la traite. » Une table d’alimentation (15 000 euros non subventionnés) permettra de stocker quatre balles. « Il faudra certainement recharger la table tous les deux jours. Actuellement, l’entretien des logettes s’effectue avec 1,6 kg de paille broyée (105 euros/t) par logette et par jour. C’est le minimum avec des logettes béton. Et comme nous avons un projet de méthanisation, nous ne cherchons pas spécialement à diminuer les quantités de paille broyée utilisées », souligne Stéphane Giard. La pailleuse fonctionnera cet hiver.

Trois ans pour réaliser les investissements

Le dossier comprend également l’achat de deux racleurs à corde. « On peut faire plus de passages (8 fois par jour) parce qu’ils consomment moins d’électricité que les racleurs à chaîne. Leur entretien est plus simple. » Matériel de fenaison, silo pour stocker le maïs épi, bâtiment de stockage supplémentaire, système de récupération de l’eau de pluie pour nettoyer le parc d’attente et la salle de traite, barrière canadienne, 10 cases individuelles pour les veaux, sont également inclus dans le PCAE. Tout comme une cage de parage. Stéphane a suivi une formation au parage. « Il y a un peu de dermatites dans le troupeau. Je passe quatre à cinq vaches par semaine en parage curatif. Notre pédicure se charge du préventif environ une fois par an. »

Pour rester dans les clous côté subventions, les éleveurs ont trois ans pour réaliser tous leurs investissements et les travaux. Un délai plutôt court. Pour autant, Stéphane Giard ne semble pas s’en inquiéter même si le niveau des annuités du Gaec est déjà assez élevé (121 euros/1 000 l). « On dit généralement qu’il ne faut pas dépasser 100 euros/1 000 l. Nous sommes au-dessus actuellement, mais nos anciennes échéances vont baisser en 2019 (136 000 euros) et en 2021 (68 000 euros). »

« Une très bonne valorisation des produits »

« Le Gaec valorise très bien les produits de l’atelier lait, que ce soit le lait (392 euros/1 000 l) ou la viande (83 euros/1 000 l). Avec les aides, le produit total s’élève à 523 euros/1 000 l. Le prix du lait a été plus favorable en 2017 (+ 35 euros/1 000 l par rapport à 2016). Mais, ce niveau de valorisation est supérieur à ceux observés généralement dans les systèmes avec plus de 100 vaches. Cela permet aux associés de compenser un niveau de charge opérationnelle assez élevé (38 %/produit brut) en raison notamment de la conduite plutôt intensive du troupeau. Le coût de concentré est élevé (87 euros/1 000 l) pour des vaches à 7 528 kg de lait standard. La diminution des apports de concentrés (190 g/l) est donc une piste d’amélioration. Avec un EBE par UMO de 113 120 euros, le système est vraiment très efficient. La rigueur des associés, y contribue largement. Pour continuer à progresser, Stéphane et Emmanuel Giard adhérent au GIEE 'autonomie alimentaire du Cotentin' et au réseau de l’OS Normande. »

Viviane Simonin, chambre d’agriculture de Normandie
Chiffres clés
4 UMO
217 ha de SAU dont 116 ha d’herbe, 47 ha de maïs ensilage, 12 ha de maïs ensilage épi, 10 ha de méteil et 31 ha de blé
198 Normandes à 5 830 l (6772 kg/vache présente)
1 million de litres de lait contractualisés
2,13 UGB/ha de SFP

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