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À l’EARL Murbruch, dans le Bas-Rhin
« Nous sommes fiers de notre différence »

Avec un parcellaire tout en herbe, Pierre et Samuel Suisse conduisent 70 vaches en système extensif économe. L’exploitation est économiquement viable et la qualité de vie des éleveurs inégalable.

Après avoir longé la forêt de Haguenau et traversé un passage à niveaux, un petit chemin nous emmène dans une grande cour de ferme encadrée par d’imposants bâtiments en pierre. Remontant au XIXe siècle, ces derniers abritent les vaches de Pierre Suisse et de son père Samuel. Les laitières logent en étable entravée cinq mois de l’année, et pâturent de mi-avril à mi-novembre. Pas de bâtiment pour les vaches taries. Été comme hiver, elles sont à l’extérieur, sur un grand parc équipé de râteliers de foin, en bordure de forêt, à 300 mètres des bâtiments. Avec 143 hectares de SAU entièrement en prairies permanentes, l’exploitation, située à Mertzwiller, détonne dans une région où les éleveurs privilégient plutôt le maïs ensilage, associé à des coproduits et de l’ensilage d’herbe. Deux raisons à cela : structurelle et historique. « Nous avons des sols sableux et 70 ha accessibles autour du corps de ferme, présente Pierre. La majorité des surfaces a toujours été en herbe. Mon grand-père cultivait un peu de céréales mais les rendements n’étaient pas mirobolants. Dès qu’il a pu trouver 20 ha de prairies à 30 km d’ici, il a décidé de tout mettre en herbe et de se spécialiser en lait. »

Aujourd’hui, si l’exploitation ne paye pas de mine avec son étable à l’ancienne, elle dégage néanmoins depuis quinze ans la meilleure marge brute ramenée aux 1 000 litres (272 €/1 000 l) parmi les 79 exploitations suivies par le BTPL au sein d’Alsace Lait (196 €/1 000 l). « La marge, nous la faisons surtout en minimisant les charges, pas en faisant quelque chose de plus que les autres, avance Pierre en souriant. Cela se ressent aussi au niveau du travail. Nous effectuons un roulement à deux : deux jours de travail suivis de deux jours de repos. »

Des éleveurs aux 35 heures

Jeune papa de 25 ans, Pierre s’est installé au 1er janvier 2017, sans reprendre de surface. Il a travaillé un peu à l’extérieur avant de rejoindre l’exploitation comme salarié en 2015. Sa mère Michelle, salariée sur l’EARL à mi-temps, réalise la compta. Elle devrait quitter la structure dans deux ans. Samuel, quant à lui, a encore sept ans avant la retraite. Mais, dans les faits, il a d’ores et déjà laissé les rênes de l’exploitation à son fils qui a le champ libre pour prendre les décisions stratégiques.

En 2013, l’exploitation comptait 58 vaches, contre 69 aujourd’hui. En prévision de l’arrivée de Pierre, l’élevage est monté en effectifs. Une dizaine de places supplémentaires ont pu être aménagées dans une partie du bâtiment accolée à l’étable. « Suite à mon installation, notre coopérative Alsace Lait nous propose d’augmenter le litrage de 150 000 litres en trois ans (+ 50 000 l/an). Mais nous n’irons pas jusque-là, prévient le jeune éleveur. Nous avons un système solide tel qu’il est. En cherchant à produire beaucoup plus, nous risquons de le fragiliser. Aujourd’hui la réflexion est plutôt de poursuivre dans la voie de l’extensif tout en augmentant un peu les quantités de lait produites. L’idée est de voir jusqu’où on peut aller, sans tout chambouler et éviter que cela nous coûte plus que cela ne nous rapporte. Je pense qu’on peut produire jusqu’à 500 000 litres de lait, mais avec une réserve toutefois si les sécheresses que nous connaissons ces dernières années se répètent, nuance-t-il. À nous de trouver les leviers et solutions pour mieux sécuriser notre système. »

Une conduite de l’herbe simple qui reste perfectible

Dans ce système économe, les vaches pâturent la moitié de l’année et reçoivent un régime à base de foin l’hiver. Jusqu’à l’année dernière, les laitières disposaient au pâturage de 25 ha au printemps découpés en trois parcs (12, 7 et 6 ha), et jusqu’à 45 ha l’été en réintégrant une partie des surfaces de fauche. « Au printemps, elles faisaient le tour des trois parcs en seulement quinze jours. Le fait de tourner vite permet de faire du lait mais n’optimise pas la production d’herbe par hectare", souligne Pierre qui a subdivisé l’hiver dernier les 25 ha en 10 paddocks et installé des clôtures électriques en remplacement des barbelés. « Les vaches restent désormais deux jours par paddock et font le tour en trois semaines. Avec ce changement, je perçois déjà nettement la différence : les parcelles sont mieux nettoyées et l’herbe repousse mieux. Contrairement aux années précédentes, je n’ai pas encore eu besoin de faucher les refus. C’est un bon début », confie-t-il, conscient qu’il s’agit là d’une première étape et que des marges de manœuvre sont encore possibles pour améliorer la valorisation de l’herbe à l’hectare. Mais pour cela, il faudrait investir dans de nouveaux points d’eau et créer de nouveaux chemins stabilisés.

Cinquante hectares sont dédiés à la fauche. « Nous avons beaucoup de petites pièces allant de 70 ares à 1,5 hectare. Certaines sont plus grandes grâce des échanges réalisés avec des voisins. Les plus proches sont à 1 ou 2 km, les plus éloignées à 10 km. » Cette année, la première coupe est intervenue le 15 mai et les derniers chantiers se sont achevés au 1er juin. « Nous faisons appel à une ETA depuis deux ans. Elle fauche 30 hectares dans la journée, ce qui nous permet de moins subir la perte de qualité liée à l’étalement des chantiers. »

Seulement un tiers des volumes de foin en première coupe

Autre changement : une partie est récoltée sous forme d’enrubannage pour faucher plus tôt et favoriser des chantiers plus rapides (deux jours au lieu de trois en foin). « Mais finalement cette année, avec le peu de volume récolté, nous aurions sans doute pu récolter la totalité en foin », considère Pierre. Les éleveurs parviennent désormais à réaliser trois coupes par an, contre deux auparavant. « L’année 2016 a été une petite année fourragère avec beaucoup de foin mais de mauvaise qualité et des regains plutôt bons mais en faible quantité. Cette année ne s’annonce pas terrible non plus : l’herbe a pris un coup avec une gelée à -5 °C en avril, suivie d’un épisode de sec. Les rendements de première coupe n’ont pas dépassé 1 t à 1,5 t MS/ha. Nous avons récolté 70 t de foin, contre 200 t d’habitude… » Face à ce déficit, les éleveurs ont acheté 30 t de luzerne à 216 €/t, et cherchent du foin de qualité moyenne pour les vaches taries.

Ce n’est pas la première fois que l’élevage se voit contraint d’acheter des fourrages. « Ces trois dernières années, il y a toujours eu une sécheresse au printemps, en été ou en septembre. Il nous faut désormais apprendre à fonctionner avec des déficits hydriques récurrents. Et si notre système était sécurisé avec 50 vaches, il ne l’est plus avec 70. »

Sécuriser le système fourrager face au risque sécheresse

Les éleveurs explorent différentes pistes pour gagner en autonomie fourragère. L’amélioration de la productivité de l’herbe par une gestion plus technique du pâturage en est une. La fertilisation minérale des prairies en est une autre. Démarrée il y a quatre ans, elle progresse et se généralise petit à petit à l’ensemble des parcelles, dans l’objectif de valoriser l’herbe plus tôt dans la saison. L’apport est réalisé à partir des 200°C cumulés selon les préconisations. Le lisier est épandu sur les surfaces pâturées et tout le fumier des génisses est composté puis épandu sur les parcelles enrubannées. Les éleveurs ont aussi étudié la possibilité de mise en place d’un réseau d’irrigation alimenté par une rivière voisine. « Techniquement, ce projet est réalisable, il a été chiffré à 50 000 euros dans mon étude prévisionnelle d’installation, expose Pierre en précisant qu’« un tel investissement n’est pas à l’ordre du jour étant donné la conjoncture et qu’il pourra s’envisager plus sereinement après 2019 quand le tableau de remboursement des annuités d’emprunt se sera sensiblement allégé. »

Produire du lait de printemps-été le moins cher possible

L’EARL produit un maximum de lait au printemps. À l’herbe, le troupeau monte à 70 laitières qui produisent en moyenne 20 à 25 l/j en fonction de la qualité de l’herbe et des concentrés. La complémentation se fait en salle de traite. D’habitude, les éleveurs distribuaient une VL 2,5 ou 3 l, mais ils ont opté l’hiver dernier pour un aliment à base de maïs grain, plus concentré en énergie qu’en azote. « Cela a amélioré l’état des vaches, relativement maigres après la sécheresse de fin 2016. C’est plus économique (176 €/t contre 246 €/t pour la VL) mais les vaches produisent un peu moins. Nous avons continué avec ce concentré au début du printemps (1,6 kg/VL/j en moyenne, et 4 à 5 kg/VL en début de lactation) pour favoriser la repro. Et contrairement aux années précédentes, le TP a augmenté à l’herbe."

Avant la rentrée en bâtiment, les éleveurs tarissent une dizaine de vaches, l’étable ne pouvant accueillir que 61 vaches à l’attache. « Vu leur ration, les vaches ne peuvent pas exprimer leur potentiel en hiver, souligne Samuel. Elles produisent 17-18 l/j si le foin est de qualité, et descendent à 14-15 l/j dans le cas contraire. » Elles reçoivent en moyenne 2,5 kg de concentré/VL/j. Le troupeau ne souffre ni de mammites ni de cellules (134 000/ml) mais il y a du fourchet dans le troupeau.

Malgré la conjoncture, Pierre veut rester serein. « Jusqu’à fin 2016, nous avons relativement peu ressenti la crise. Nous parvenons encore à prélever nos salaires (18 000 €/associé), reconnaît-il. Mais il est vrai aussi que notre coop valorise bien le lait. » Le jeune éleveur préfère se concentrer sur l’optimisation du système en place. Il n’exclut pas la voie du bio si un collecteur se présente sur le secteur. Il espère aussi qu’Alsace-Lait réussira à mettre en place une tournée de lait produit à l’herbe. « Ce ne serait que du bonus puisque nous y sommes déjà ! ».

Chiffres clés

• 2,5 UMO dont 0,5 salarié
• 143 ha de SAU entièrement en prairies permanentes
• 490 000 l de lait contractualisés en 2017
• 69 vaches à 6 100 l
• 0,69 UGB/ha

« Un système simple mais soumis aux aléas climatiques »

« Complètement atypique pour la région, l’EARL Murbruch dégage encore du résultat en 2016 et parvient quasiment au point d’équilibre en trésorerie (336 €/1 000 l) malgré la conjoncture difficile. Les bâtiments sont certes vieillots mais sont largement amortis et ils restent somme toute assez fonctionnels et cohérents avec le système herbager en place. La simplicité du système de production allie le bien-être animal, des coûts assez faibles et un bon équilibre entre vie professionnelle et familiale, ce qui rare et appréciable. L’exploitation apparaît néanmoins fragilisée face au risque de sécheresse, qui la contraint à acheter des fourrages au prix fort. Des solutions techniques sont possibles à terme (irrigation) et en parallèle, les exploitants ont commencé à actionner des leviers pour mieux valoriser l’herbe. »

Marc Wittersheim, du BTPL

Des vêlages groupés au printemps

Une soixantaine de vêlages s’étalent entre avril et juin, et il n’y en a quasiment pas entre octobre et février. « La réussite des inséminations en été dépend beaucoup de l’herbe. En année sèche, elles ont dû mal à rester pleines. » Sur l’élevage, la repro est le premier critère de réforme. Au-delà de quatre IA, on arrête, mais on tolère quelques lactations de 18 mois pour certaines vaches. Sur le dernier bilan annuel (juin 2016- juin 2017), l’IVV s’élève à 405 j, avec un intervalle vêlage-première IA de 90 jours. Le taux de réussite en IA1 est de 53 % et il y a 24 % de vaches à 3 IA et plus.

Les génisses vêlent à 30 mois. Les génisses de plus d’un an sont élevées sur 20 ha d’herbe avec quelques vaches à l’engrais, à 30 km d’ici dans les Vosges. « Nous y allons une fois par mois et un collègue garde-forestier les surveille. On les insémine à la ferme en juillet. »

Pierre privilégie des taureaux améliorateurs des taux, plutôt faibles sur l’élevage. Il a commencé à pratiquer du croisement trois voies sur une quinzaine de Prim’Holstein avec des taureaux Montbéliard et Rouge suédois. « Des animaux plus rustiques correspondraient mieux à notre système. »

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