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« Nous n’avons rien à cacher chez Sodiaal »

Pour Damien Lacombe, président de Sodiaal Union, la seule vraie question, c’est pourquoi Sodiaal ne dégage que 0,5% de résultat sur chiffre d’affaires et comment s’organiser pour aller chercher plus de rentabilité pour les producteurs.

L’émission Cash investigation diffusée en janvier laisse entendre que les bénéfices de Sodiaal restent coincés dans les sociétés du groupe. Il y aurait un trésor de guerre de 526 millions €. Que répondez-vous?

Damien Lacombe – « Nous n’avons rien à cacher: nous sommes transparents de A à Z et présentons nos comptes dans toutes les AG. La journaliste avait eu de façon précise les réponses à toutes ses questions sur nos comptes, oralement et par écrit. L’interview avait duré 1h45 en juin dernier, il n’en reste que 10 mn d’extraits redécoupés dans tous les sens, selon un scénario pré-établi.

Par exemple, concernant le soi-disant « trésor de guerre" de 526 millions € qui resterait en réserve dans les caisses de Sodiaal, toutes les explications avaient été fournies mais la réponse a été coupée au montage. Ces 526 millions € correspondent à la revalorisation de Yoplait lorsque notre partenaire General Mills (NDLR une grande société américaine de l’agroalimentaire) a racheté 51% des parts de Yoplait en 2011. Cette valeur ne correspond pas à une entrée de trésorerie. Elle vient seulement renforcer le patrimoine de la coopérative de la même manière que lorsqu’un bien immobilier prend de la valeur sur le marché, aucun cash ne rentre dans les poches de son propriétaire.»

Seulement 3,5 millions € auraient été redistribués aux producteurs en 2016 à en croire l’émission. D’où sort ce chiffre? Il ne correspond pas au montant présenté en AG.

D. L. – « Ce sont 25 millions € qui ont été redistribués aux producteurs en 2016, pas 3,5 millions ! Ces 3,5 millions € correspondent à un versement systématique de notre filiale Sodiaal International à la coopérative Sodiaal Union pour sécuriser la rémunération des parts sociales des adhérents. Ce versement automatique a été décidé par le conseil d’administration suite à une année où la coopérative n’avait pas eu les moyens financiers de rémunérer le capital social. Il ne sert absolument pas de base pour le calcul des ristournes reversées aux producteurs! D’une manière générale, c’est le conseil d’administration de Sodiaal International, composé des membres du bureau, qui décide des remontées vers Sodiaal Union, afin que la coopérative ait la capacité financière de verser les ristournes et intérêts aux parts des adhérents ».

L’émission parle d’un résultat de 51 millions € ?

D. L. – « Il y a confusion entre les comptes de Sodiaal International, et les comptes consolidés du groupe Sodiaal. Ce qui reflète la performance économique du groupe, ce sont bien les comptes consolidés: ils additionnent les bénéfices, les pertes et neutralisent tous les flux entre les sociétés du groupe. Toutes nos activités n’ont pas la rentabilité de Yoplait. Le chiffre d’une filiale, tout seul, ne veut rien dire. En 2016, le résultat consolidé de la coopérative s’est élevé à 24 millions € mais,  face à la crise, le conseil a décidé de distribuer 25 millions €. »

Qui détient le capital de Sodiaal International et à quoi sert cette société?

D. L. – « Ce sont les producteurs : ils sont au sommet de la pyramide. La coopérative Sodiaal Union détient 100 % du capital de la société Sodiaal Groupe qui détient 100% de Sodiaal International.

Sodiaal International est un outil de gestion au service de la coopérative. Cette société permet d’une part de mutualiser les moyens entre nos filiales en leur apportant des services (comptabilité, informatique, paye, communication…) qui leur sont refacturés. Elle sert d’autre part à faire remonter les dividendes provenant des différentes activités que nous détenons en partenariat comme Yoplait. Nous avons deux élus dans les conseils de chacune des filiales qui contrôlent ces flux financiers. Nous détenons certaines de nos filiales à 100% (Candia, Entremont, Nutribio, Eurosérum …), d’autres partiellement (Yoplait, CF&R…).

Nous avons choisi, comme la plupart des coopératives, de différencier la coopérative Sodiaal Union et l’activité industrielle pour avoir l’agilité de développer l’activité en France et à l’international, tout en préservant le fonctionnement coopératif. »

Reconnaissez que la structure de Sodiaal (avec 5 sociétés qui portent le nom Sodiaal, de multiples filiales) est complexe, et donne l’impression de vouloir noyer le poisson. Pourquoi ne simplifiez-vous pas?

D. L. – « Toutes ces sociétés sont le reflet de notre histoire, et de notre choix d’avoir des unités de gestion séparées par métier: lait de consommation, fromage… Depuis 2011, le groupe a connu beaucoup d’évolutions avec l’absorption d’Entremont, 3A, la coopérative de Blamont, CLHN…Quand on fusionne avec Blamont par exemple, ce sont quatre entités juridiques qui rejoignent le groupe. Nous supprimons tous les ans 4 ou 5 sociétés, mais en créons aussi de nouvelles à chaque fois que nous nous implantons dans un pays ou développons de nouvelles activités: nous ne pourrons jamais arriver à une structure très simple. Sodiaal détient 40 sociétés, c’est nettement moins que d’autres grandes coopératives comme Friesland Campina.

La question de fondre Sodiaal Groupe dans Sodiaal International se pose effectivement. Mais nous ne pouvons le faire pour le moment parce qu’elle porte des engagements liés à la reprise d’Entremont.

Il faut dédramatiser cette complexité. Les comptes consolidés reflètent bien la rentabilité de la coopérative, et les administrateurs contrôlent la remontée des royalties vers les producteurs. »

Justement l’émission insinue que le contrôle de Sodiaal est aux mains des financiers…

D. L. – « C’est absurde. L’émission veut faire croire que la structure de Sodiaal est bâtie de façon à ne pas faire remonter l‘argent vers les producteurs alors que c’est tout le contraire. Notre travail d’administrateurs est de faire en sorte que le résultat des comptes consolidés remonte bien au niveau de la coopérative Sodiaal Union.

Prenons l’exemple de Yoplait, activité très bénéficiaire qui permet de valoriser 7-8% du lait collecté, sur laquelle se focalise l’émission. Quand les Américains (General Mills) ont pris la place de PAI (NDLR : un fonds d’investissement) dans le capital de Yoplait en 2011, ils voulaient 51% du capital. L’enjeu était d’imaginer un dispositif qui permette à la coopérative de rester propriétaire de 50% de la marque Yoplait. Nous avons donc créé deux sociétés : une société (Sodiaal Marques basée en France) qui détient pour moitié la propriété intellectuelle de la marque Yoplait, et une société (Sodiaal Produits frais) qui détient 49% de l’outil industriel. Ce dispositif permet de sécuriser dans la durée la remontée à parts égales des royalties vers Sodiaal Union et General Mills, pour chaque pot de yaourt vendu dans le monde, quoiqu’il advienne au niveau de l’outil industriel.  Et non pas d’en faire disparaître ! »

Mais pourquoi une société, Liberté Marque, au Luxembourg ?

D. L. – « Liberté est une marque de yaourts canadienne détenue à 50% par Sodiaal et 50% General Mills. De la même manière qu’une société porte la propriété intellectuelle de la marque Yoplait, Liberté Marque porte la propriété intellectuelle de la marque Liberté. General Mills souhaitait baser cette société aux États-Unis, nous voulions qu’elle soit en France: un accord a été trouvé avec une domiciliation au Luxembourg. Nous sommes extrêmement vigilants par rapport à ces opérations. Mais nous ne voulions pas passer à côté de cette marque, car même si aujourd’hui elle n’apporte à la coopérative qu'un million d’euros, Liberté est la marque la plus dynamique au Canada, elle va monter en puissance. Là encore, ce n’est pas de l’argent qui sort de France pour aller au Luxembourg, mais de l’argent qui rentre du Canada vers les producteurs français ! »

La vraie question, c’est la faible rentabilité de Sodiaal : pourquoi est-elle très inférieure à celle de Friesland Campina par exemple ? 

D. L. – « Oui, le vrai sujet, c’est pourquoi Sodiaal ne dégage que 0,5% de résultat sur chiffre d’affaires (24 millions € sur 5 milliards € de CA) et comment on s’organise pour aller chercher plus de rentabilité pour nos adhérents.

Friesland Campina (NDLR : qui dégage 4 à 5% de résultat sur CA) est partie beaucoup plus tôt que nous sur les marchés internationaux, elle fait aujourd’hui l’essentiel de son résultat en Asie. Nous avons en France, depuis dix ans un marché intérieur qui est relativement difficile. Surtout, Sodiaal a aujourd’hui des volumes de lait à valorisation faible qui représente un pourcentage important de la collecte (15 à 20%), liés à son histoire.

Nous avons repris des zones de collecte où les producteurs n’avaient pas d’autre solution, sans avoir forcément des marchés bien valorisés en face. Ce rôle de maintien de la collecte sur tout le territoire pèse sur notre valorisation. Par ailleurs, il y a eu la reprise d’Entremont : une société dans laquelle il y avait eu très peu d’investissements réalisés dans les années précédant la reprise, et avec une part de volume sous-valorisé très importante.

Mais nous avons déjà pas mal progressé : la part de lait mal valorisé est passée de 1,2 milliard de litres il y a quelques années à 800 millions de litres aujourd’hui. Ceci grâce au développement du lait bio (de 60 millions de litres collectés en 2017 avec un objectif de 230 millions en 2021), au contrat Synutra (280 millions de litres basé sur le prix moyen régional de l’Ouest), de nouveaux fromages (fondue…), au développement du lait infantile liquide. Notre objectif est de descendre à 400-500 millions de litres, ce qui correspond au différentiel de collecte printemps-été, grâce au plan #value que nous venons de lancer. »

Un soi-disant « trésor de guerre » !
Chiffres clé
12 500 exploitations collectées dans 70 départements
4,7 milliards de litres de lait
4,8 milliards € de chiffre d'affaires 2016
70 sites industriels en France
320 €/1000 litres payé en 2017

Le plan Sodiaal à Horizon 2025

Le plan #value vise une hausse de 500 millions € de chiffre d’affaires à périmètre constant d’ici 2025. Il prévoit un plan d’investissement de 230 millions sur quatre ans qui vient s’ajouter aux 100 millions annuels récurrents. Celui-ci sera financé par un plan de performance sur quatre ans destiné à générer 150 millions d’économies (sur l’optimisation des achats, la performance industrielle…) « Notre objectif est de nous rapprocher de la rentabilité des meilleures coopératives européennes. Nous avons des cibles bien établies : sur le marché français avec des produits différenciés, sur le marché européen en fromages, et à l’international avec la valorisation des ingrédients laitiers et le développement du lait infantile », affirme Damien Lacombe.

Voir aussi Réussir Lait janvier 2018 p.14

« Notre seule arme, c’est la pédagogie et la transparence »

En tant qu’élus, comment vivez-vous l’après Cash investigation?

Patrick Trifault - « Les 300 élus de Sodiaal, nous avons tous fort mal vécu ces insinuations. Elles nous font passer pour de vrais salauds en laissant entendre que l’on cautionne des pratiques douteuses. Ce qui n’est pas du tout le cas, on fait tout l’inverse. On est révolté par cette injustice. C’est notre temps et une partie de notre vie que nous donnons à Sodiaal. Heureusement, nous avons la capacité d’expliquer les choses : notre seule arme, c’est la pédagogie et la transparence. »

Sébastien Courtois - « Je viens de terminer cinq réunions d’hiver. La première heure est difficile, mais on crève l’abcès tout de suite. Franchement, les producteurs sont réceptifs. Une fois les explications données en faisant le parallèle avec nos valeurs de bilan sur l’exploitation, sur la valeur de la marque, etc…ils comprennent que c’est un tissu de mensonges. Après on peut parler de stratégie de valeurs, du plan #value. Ils voient que leur coopérative est partie dans le bon sens. Ce sera plus compliqué pour ceux qui ne viennent pas aux réunions. »

Vous êtes tous deux administrateurs de Sodiaal Union depuis un an et demi. Comment se forme-t-on à cette responsabilité?

S. C. - « Depuis 2012, je passe tous les hivers à me former, deux jours par mois en moyenne, c’est même plutôt un jour par semaine en ce moment. Nous n’avons pas le choix, notre métier à la base, c’est d’être producteur de lait. »

P. T. - « On ne devient pas administrateur du jour au lendemain. C’est un cheminement par étapes : on commence par la section, puis la région, puis le pôle sociétaire(1), puis le conseil d’administration. On est bien le représentant du territoire d’où l’on vient. On suit la formation de l’école des élus interne à Sodiaal(2) et d’autres formations qui vont de la prise de parole, l’animation de réunion jusqu’à rentrer concrètement dans l’élaboration d’une stratégie ou d’analyse des comptes. Le but est bien de développer notre sens critique, le souci de rentrer dans les détails : on a un autre regard que celui que l’on a en arrivant. »

(1) instance intervenant sur La Route du Lait, la segmentation des laits, la communication et l’animation de la vie coopérative.(2) elle comprend un premier niveau d’une dizaine de jours (pour les entrants au conseil de région). Et un deuxième niveau un ou deux ans plus tard qui comprend un volet à Bruxelles. Les 9 administrateurs du bureau (8 présidents de région + le président) suivent une formation Essec (école de commerce) de Coop de France. La coopérative a 25 administrateurs.

Fred me les a mis dans une seule photo aussi pour le site si tu préfères

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