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« Nous avions sous-estimé les changements liés aux 600 000 litres supplémentaires »

Au Gaec Etang de la Roche en Loire-Atlantique, les cinq associés ont repris en main leur élevage grâce avec un suivi global mis en place par Jean-Marc Héliez, vétérinaire, en concertation avec Étienne Launay d’Agrigestion. 

L’histoire du Gaec Étang de la Roche est assez classique. Deux exploitations voisines qui tournent bien décident de fusionner. Une étude de faisabilité économique et financière du projet est réalisée. Elle montre, en se basant sur un prix du lait à 300 €/1000 l, une réelle rentabilité potentielle du projet avec des investissements liés à l’agrandissement des bâtiments. Seulement, produire à cinq associés 1,7 million de litres de lait avec un troupeau de 200 vaches sur 270 hectares (et aussi 50 vaches allaitantes et 50 taurillons) implique de profonds changements qui ont été sous-estimés par les associés. L’agrandissement de la stabulation, réalisé en partie en autoconstruction, n’arrange pas les choses. Sans trop en être conscients au départ, les associés perdent le contrôle ; le coût alimentaire se met à sérieusement déraper, la production ne suit pas. 

Avec un tel volume de lait, la situation peut vite se dégrader. Sauf que dans le cas du Gaec Étang de la Roche, les éleveurs ont réagi suffisamment tôt. L’alerte a été lancée dès l’été 2016 par leur centre de gestion Agrigestion, un an après la fusion. «La base financière était extrêmement saine : nous avions renégocié les taux, remboursé les prêts par anticipation et réévalué le capital, le tout conduisant à un nouveau plan de financement, souligne Étienne Launay directeur d’Agrigestion. Une bonne organisation financière permet d’avoir une bonne lisibilité sur le technique: il était clair que sans reprise en main de la technique, l’exploitation allait droit dans le mur ». Des propos pas faciles à entendre à l’époque pour les associés . « On prend un coup, reconnaît aujourd’hui avec le sourire Stéphane Roué. On avait l’impression de ne pas être mauvais, l’exploitation n’était pas en difficulté financière. Cette mise en garde un peu brutale nous a forcés à regarder la vérité en face : on partait à la dérive ». Et Fabrice Benoît d’ajouter: «nous avions sous-évalué l’évolution du troupeau, et pas suffisamment anticipé ».

Accepter de regarder la vérité en face

Étienne Launay a alors proposé aux associés de faire intervenir un coach technique Jean-Marc Héliez, vétérinaire consultant et nutritionniste. Celui-ci vient désormais une fois par mois sur l’élevage, environ trois heures par visite. Lors de sa première visite le 1er octobre 2016, il a dressé un état des lieux :  1,5 million de litres la première année au lieu de 1,7 million de litres prévus, des stocks fourragers trop justes (il manquait plus de deux mois de maïs) pour les 622 animaux présents. Les éleveurs avaient repris un troupeau sans la suite, et du coup élevaient beaucoup de génisses. Il y avait aussi des problèmes de reproduction, des taux leucocytaires et une incidence de boiteries significative. Le Gaec ne faisait pas de contrôle de production individuel, seulement les comptages cellulaires. Le coût alimentaire global s’élevait à 143 €/1000 litres (valeur comptable fourrages aux coûts réels) avec un coût de concentré de la ration des VL à 80 €/1000 litres. 

« Le manque de stocks fourragers avait été géré par l’apport de concentré d’où un dérapage du coût alimentaire avec une production qui n’a pas suivi : 23 litres à la fin de l’été 2016, et beaucoup d’acidose», résume Jean-Marc Héliez.

Des objectifs techniques et économiques communs

Quatre objectifs ont été fixés  pour la première année.

1 - Revoir la ration avec les fourrages et les aliments disponibles sur l’exploitation en rationnalisant les achats au maximum.  Pour économiser le maïs, le Gaec a supprimé le maïs aux taurillons et génisses, et diminué la quantité distribuée aux vaches pour arriver à 8 kg brut/j/VL en début d’été. Au printemps (le pâturage représente 15% de la ration pendant deux mois), les vaches ont reçu « une ration spéciale : 28 kg brut d’ensilage d’herbe à 27% MS, 12 kg ensilage maïs à 37%, 6 kg de gluten feed de blé à 48% MS (à 1 UF, 19 protéines, 160 €/t MS), 2 kg de paille broyée et 1 kg de colza (acheté par 30 t), 1,5 kg de seigle,1,2 kg de maïs grain farine, avec un VL 4 litres à partir de 29 litres.  La clé a été l’excellente récolte d’ensilage de RGI au printemps en qualité et volume. » Les éleveurs ont aussi réduit les additifs composés et utilisent désormais des matières premières (200 g bicarbonate de sodium, 200 g carbonate de calcium et un noyau minéral 120 g CMV riche en oligo et vitamines).

Il  a donc fallu acheter des co-produits et consommer prématurément l’ensilage d’herbe. Le coût de production a été contrôlé par la baisse de l’utilisation de correcteur azoté (permise par la bonne qualité de l’ensilage d’herbe) et par l’augmentation de la production qui est passé de 23 kg en octobre à 30 kg au printemps suivant.

2 - Optimiser l’utilisation du DAC. Le nombre de stalles était insuffisant: le Gaec  a investi dans trois stalles supplémentaires pour passer à cinq stalles avec un plan de complémentation rationnalisé. Il a également équipé la salle de traite (TPA 2 x16) d’indicateurs de production (300 € par poste). L’investissement dans des compteurs à lait (40 000 €) n’est pour le moment pas la priorité. « On note manuellement la production une fois par mois et on la saisit dans notre logiciel, ce n’est pas une si grosse contrainte », affirme Fabrice Benoît. Le troupeau étant hétérogène, Jean-Marc Héliez a conseillé de baisser le niveau azoté de la ration de base et de travailler plus avec les DAC. « Le DAC distribue un VL 4 litres qui devrait être remplacé à terme par du soja protégé et de l’orge laminé. Il vaut mieux pour le moment garder le seigle de l’exploitation pour la ration de base ».

3 - Sécuriser les stocks fourragers. Pour compenser le manque de stocks, le taux d’implantation de maïs sous plastique a été augmenté ( 54 ha au lieu de 26 ha sur un total de….? ha de maïs ) car l’ensilage d’herbe a été entièrement consommé au printemps et en été. La surface de RGI en dérobé vient aussi d’augmenter.

4 - Travailler l’efficacité alimentaire par une meilleure gestion du tarissement et de la préparation au vêlage, de la repro et des vaches improductives. Celles-ci coûtent d’autant plus cher ici que l’élevage a un problème de stocks fourragers. Avec des vêlages étalés, l’objectif pour augmenter le nombre de kilos de lait produit sur l’ingéré est d’atteindre un stade moyen de lactation à 5,5 mois (voir encadré).

Après un an de suivi, les cinq associés du Gaec Étang de la Roche sont plus que jamais « motivés et prêts à suivre. Avant nous avions beaucoup trop d’intervenants autour de nous. C’est important d’être accompagné par une même personne, indépendante, qui suit tout l’alimentation, la repro, la conduite d’élevage… » Ils le reconnaissent:  « la remise en cause n’a pas été évidente au départ. On se dit que tous ces changements introduits depuis un an vont apporter du travail supplémentaire, mais en fait on produit 150 000 litres de plus et on travaille moins! Quand on passe de 1 million à 1,7 million de litres et  à 5 associés, il faut accepter de revoir sa façon globale de travailler, avoir une organisation différente. Il faut accepter aussi de ne pas être au courant de tout, de ne pas connaître le numéro et la généalogie de chaque vache, et apprendre à travailler en équipe. »

Un suivi du prix d’équilibre mis en place en amont

L’intervention conjointe de Jean-Marc Héliez et Étienne Launay permet de fixer des objectifs communs à atteindre dans l’année et d’avoir une bonne cohérence entre la technique et l’économique. « Un suivi du prix d’équilibre a été mis en place en amont en se fixant un objectif, explique Étienne Launay. Nous avons défini ensemble les points d’amélioration à aller chercher pour atteindre cet objectif ».  Le prix d’équilibre devrait descendre en dessous de 300 € lors du prochain exercice avec 100 000 litres de lait supplémentaires,  avec + 20 €/1000 litres de prix du lait et une baisse du nombre de réformes. Et il existe encore des marges de progrès :  quand il produira 1,750 million de litres avec 10 vaches de moins (cet objectif sera atteint pour la campagne en cours vu l’état d’avancement), les hectares libérés permettront de gagner en autonomie.

« L’important pour la réussite de la démarche est d’avoir l’adhésion des éleveurs, et d’être capable de leur apporter des résultats économiques suffisamment rapidement, estiment-ils tous deux. Les deux premières années on avance énormément, mais attention au risque de relâchement une fois qu’on a atteint les objectifs. C’est un combat à mener au quotidien ».

Faire la chasse aux vaches improductives

Jean-Marc Héliez utilise pour cela un critère simple : toute vache non gestante au-delà de 180 jours après vêlage qui produit moins de 30 litres (moins de 25 l pour les génisses) n’est plus inséminée et est réformée en fin de lactation. « Ces vaches nous échappent en suivi de repro classique, car elles sont toujours entre deux IA. Le critère n’a pas été appliqué à la lettre d’un coup au Gaec Étang de la Roche, car sinon il aurait fallu réformer trop de vaches; il a fallu attendre l’arrivée des génisses, et l’augmentation du niveau de production des nouvelles vêlées », précise-t-il. C’est une approche exigeante qui implique au démarrage une augmentation du taux de renouvellement, mais c’est payant à long terme avec troupeau plus performant et plus homogène".

Inséminer dès 45 jours en visant un IV-IA1 inférieur à 70 jours

Pour pouvoir le tenir avec un minimum de réformes,  les éleveurs inséminent dès 45 jours de façon à exploiter un maximum de chaleurs avant que les vaches ne descendent en dessous de 30 litres. « On vise un intervalle vêlage 1re IA inférieur à 70 jours, car c’est le paramètre qui a le plus d’impact sur l’intervalle vêlage-vêlage, et donc sur la longueur des lactations. Ce n’est donc pas le taux de réussite à la 1re IA le critère le plus important». Les chaleurs sont systématiquement induites sur les vaches non inséminées à 70 jours post-partum, qu’elle soit maigre ou pas, grosse laitière ou pas.

Au final, l’objectif est de descendre à un stade de lactation moyen sur l’année de 5,5 maximum. « C’est ce qui permet d’améliorer le produit sur l’ingéré, c’est à dire l’efficacité alimentaire, car la courbe de production et la courbe d’ingestion ne sont pas parallèles», affirme-t-il. En octobre 2016, le troupeau  était à 7 mois de stade moyen de lactation; il est descendu en moyenne sur les 12 derniers mois à 6 mois de stade moyen. « Le stade ne pénalise plus trop le troupeau mais on peut encore progresser. Cette progression rapide a été possible car il y avait beaucoup de renouvellement et la mise à la repro précoce a porté ses fruits. Une fois atteint l’objectif, le taux de réforme devra baisser. Il faut aussi continuer de travailler sur d’autres postes (boiteries, cellules,…) pour limiter les réformes subies ».

Prochaine étape, les génisses

Cette année, la priorité sera donnée aux génisses qui vêlent actuellement à 30 mois, avec des croissances trop lentes notamment sur les six premiers mois. « Le déficit fourrager rendait jusqu’à présent difficile le vêlage sur 24 mois car la ration aurait coûté cher , explique Jean-Marc Héliez. Mais, à moyen terme, la réduction du nombre de génisses grâce à un vélage plus jeune participera à la sécurisation du stock fourrager : avec 230 génisses de 0-30 mois pour 180 vaches en lactation, il y en a au moins 40 de trop". Les éleveurs pratiquent désormais 40% de croisement industriel sur les vaches adultes (« mauvaises laitières » et 3 IA et +), et continuent d’utiliser des semences sexées sur les génisses.

Côté Eco 

° Exercice clôturé au 31/7/2017

Prix d’équilibre 309 €/1000 l avec un objectif à moins de 300 € sur l’exercice suivant.

Prix du lait 338 €/1000 l (laiterie Saint-Père)

1,636 million de litres produits avec un objectif à plus de 1,7 million de litres sur l’exercice suivant.

° Sur les 12 derniers mois (au 1er novembre)

9337 l en lait standard - 33,5 TP -  42 TB

Stade moyen de lactation 6 mois ( contre 7 au départ) avec un objectif inférieur à 5,5 mois

Coût alimentaire 127 €/1000 l (contre 143 € au départ) avec un objectif à 115-120 €.

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