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Ne pas négliger la grande douve

En situation à risque, connaître le statut de son cheptel est recommandé. La grande douve ne doit pas être mésestimée car elle a un impact sur la production et la santé de l’animal.

En Bretagne, la grande douve est une problématique un peu en dehors des radars, reconnaît Luc Manciaux, vétérinaire conseil à Bretagne Conseil élevage Ouest (BCEL Ouest). La prévalence est sans doute faible à modérée, mais, un certain nombre de troupeaux sont confrontés durablement et régulièrement à cette problématique. Dans nos études récentes sur le dépistage de la grande douve à partir du lait de tank que nous avons menées dans des élevages pâturants (plus de 30 ares/VL/an) et portant sur 1 800 vaches, un sur deux avait au moins une vache positive. En moyenne, 14 % étaient positives, avec des taux allant de 4 à 65 % selon les élevages. Les échantillons ne sont pas représentatifs, mais cela veut dire qu’il y a potentiellement un risque lié au pâturage en zone humide, qu’il ne faut pas mésestimer. » Philippe Camuset, vétérinaire en Normandie et  président de la commission parasitisme de la SNGTV, indique que dans sa zone d’intervention, « presque un troupeau sur deux est touché. C’est une parasitose qui s’exprime peu cliniquement mais qui a des impacts non négligeables. »

Une perte de 2,6 kg de lait par VL et par jour

Malgré l’absence de signes cliniques, les lésions provoquées par la migration des larves et la présence des adultes dans les canaux biliaires ont un impact sur la santé et les performances des animaux. De nombreux travaux de recherche plus ou moins anciens montrent que la fasciolose pénalise la production laitière, la croissance des génisses et la reproduction. Dans une étude, pas encore publiée, portant sur une population homogène de 2 000 laitières dans 50 élevages, BCEL Ouest a montré un écart de production significatif entre les vaches positives et les vaches négatives (2,6 kg/VL/jour en moyenne corrigée des autres effets ). « Nous observons également une tendance à la dégradation de la santé de la mamelle, mesurée par les leucocytes, chez les vaches positives, indique Luc Manciaux. La douve a un impact économique dans les troupeaux atteints. » L’étude va se poursuivre pour évaluer l’impact sur la reproduction. La fasciolose perturbe également l’immunité, favorisant le développement des autres maladies. « Cet impact est majeur dans la gestion des troupeaux atteints de paratuberculose, de même que dans l’optique de réduction de l’utilisation des antibiotiques en élevage », affirme Philippe Camuset.  Cette parasitose diminue enfin la sensibilité des tests de dépistage de la tuberculose et altère la qualité du colostrum, augmentant les risques de maladies néo-natales.

Évaluer l’infestation par des tests Elisa

Comment savoir si votre cheptel est infesté par la grande douve ? L’affaire est loin d’être simple. Il est difficile de se fier aux remontées d’abattoirs car elles sont trop aléatoires. Quant aux coproscopies, elles sont trop peu sensibles. Quand on trouve des œufs dans les bouses, l’infestation est déjà massive. Depuis quelques années, plusieurs laboratoires proposent des tests Elisa, basés sur la réponse immunitaire des animaux à la fasciolose. Le dosage des anticorps est plus sensible sur sérum mais il peut être réalisé aussi à partir du lait. Les laboratoires français utilisent principalement le test Idexx (Pourquier). Mais, il ne réagit pas aux faibles charges parasitaires : moins de 4 douves par foie et moins de 20 à 40 % d’animaux infestés. Le kit développé par l’Inra à l’École vétérinaire de Nantes (Oniris) est beaucoup plus sensible mais plus coûteux. Philippe Camuset recommande donc de faire un test Idexx sur le lait de tank et s’il est négatif de refaire à minima deux sérologies de mélanges avec le kit Inra, compte tenu de la forte hétérogénéité d’infestation dans le troupeau. Il préconise ainsi de tester « soit deux fois six laitières, soit six primipares et six multipares ». La deuxième option permet de mieux identifier le lieu d’infestation (pâture des génisses ou des adultes).

Dépister la douve à partir du lait

Partant de l’idée que l’évaluation du statut des vaches laitières vis-à-vis de la grande douve était plus pratique et plus économique à réaliser sur du lait de tank, malgré une moindre sensibilité, BCEL Ouest a mené une étude comparative de trois kits Elisa sur lait de mélange de 84 troupeaux pendant l’hiver 2014-2015. Au final, c’est le kit Svanovir (d’origine suédoise et commercialisé par Biocellal), qui s’est avéré le plus sensible, à condition de tester deux laits de mélange successifs, et le plus spécifique par rapport à la douve. « Vu l’obligation de respecter les délais d’attente lait, nous avons envisagé de cibler les animaux infestés dans le troupeau », explique Luc Manciau, vétérinaire. Fort de ces résultats, l’organisme de conseil propose depuis cet hiver une offre de dépistage de la douve à partir du lait combinant deux types d’analyses. D’abord deux analyses de lait de tank sur deux mois successifs, à partir des échantillons interprofessionnels, pour déterminer la positivité ou pas de l’élevage (coût : 20 € pour les deux). Ensuite, si au moins un des deux résultats est positif ou douteux, des analyses individuelles effectuées lors du contrôle de performance suivant (5,5 €/analyse). « Vu le prix des kits Elisa, à terme, l’idée serait de quantifier le risque pour chaque animal, en fonction de son parcours de pâturage, pour cibler les tests individuels », précise Luc Manciaux.

Des lésions hépatiques définitives

La limnée, hôte intermédiaire de la grande douve, libère les larves infestantes au début du printemps, au début de l’été si le printemps a été précoce et, surtout, en fin d’été et début d’automne. « Une fois ingérée par l’animal, la très jeune larve de la grande douve traverse l’intestin pour rejoindre le foie dans lequel elle migre pour s’établir dans les canaux biliaires et devenir un adulte qui pond », résume Jean-Marie Nicol, vétérinaire et collaborateur de Réussir Lait. Chez les bovins, seule une larve sur dix parvient au stade adulte. Quand on trouve une douve adulte dans les canaux biliaires, au moins dix fois plus de larves ont pénétré dans le foie. Après avoir traversé la cavité abdominale, la larve migre à travers les tissus hépatiques. « Cette migration laisse derrière elle un tissus cicatriciel définitivement non fonctionnel », explique Jean-Marie Nicol. Quand elle atteint les canaux biliaires, la douve adulte se nourrit de sang. En cas d’infestation massive, la spoliation devient importante. Environ 80 % des douves adultes sont éliminées au bout de six mois et la totalité dans les 18 mois. Mais, au cours des réinfestations, la réaction inflammatoire provoquée par les larves est encore plus forte et les lésions s’accroissent. Au sein d’un troupeau qui a subi la même exposition, le niveau d’infestation est très hétérogène : peu de bovins hébergent la majorité des douves adultes.

Avis d’expert

« Bien évaluer la menace »

« Il règne un grand flou autour de la grande douve. La connaissance est figée depuis  une époque où on échafaudait des scénarios sur le principe suivant : un bon parasite est un parasite mort. En moyenne, dans les abattoirs français, on ne trouve que quelques douves adultes dans le foie des vaches qui en ont. Mais, on ignore à partir de quel seuil une vache laitière commence à réellement souffrir de ce parasitisme lorsqu’il agit isolément. On peut imaginer que les performances laitières d’une vache à qui on demande de produire 12 000 kilos seront beaucoup plus impactées que celles d’une vache à 7 000 kilos. On peut s’interroger aussi sur les méthodes de diagnostic. Entre des coprocospies, pas assez sensibles et des sérologies trop sensibles qui détectent parfois la présence d’une seule douve adulte, comment avoir une juste évaluation de la menace ? Une douve vivante dans le foie est-elle réellement une douve de trop ? La grande douve est une parasitose à prendre au sérieux mais avec discernement. Avant de parler de traitements, il faut bien évaluer la menace pour mettre en œuvre des mesures de gestion permettant de s’en tenir le plus éloigné possible. »

Jean-Marie Nicol, vétérinaire praticien et formateur

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