Les laiteries allemandes doivent devenir plus innovantes !
Le débat outre-Rhin sur les raisons et les erreurs qui ont conduit à la crise laitière bat son plein. Voici un article rédigé pour Réussir Lait par une journaliste du mensuel allemand top agrar, alors que le prix du lait est descendu dans certaines laiteries à 15-20 centimes le kilo de lait.
Le débat outre-Rhin sur les raisons et les erreurs qui ont conduit à la crise laitière bat son plein. Voici un article rédigé pour Réussir Lait par une journaliste du mensuel allemand top agrar, alors que le prix du lait est descendu dans certaines laiteries à 15-20 centimes le kilo de lait.
La crise laitière actuelle est la plus grave et la plus longue de l’histoire allemande. Le prix est en chute libre depuis un an et demi. Sur le mois de mai, il a chuté dans quelques laiteries du Nord et de l’Est du pays entre 15 et 20 centimes le kilo de lait (prix 40-34 hors TVA) ; la plupart des laiteries de ces régions paient 20-22 centimes le kilo. Des niveaux de prix très en dessous du coût total de production qui est en moyenne de 40 centimes le kilo de lait. Il ne reste plus aujourd’hui qu’environ 73 000 éleveurs laitiers en Allemagne. Le taux de cessation d’activité était ces dernières années de 3 % par an. Il risque fort de s’accroître avec la crise.
Des débats autour de la limitation de production
On assiste aujourd’hui à une foire d’empoigne entre les éleveurs, les laiteries, la distribution, les politiciens et les syndicats. Le débat bat son plein pour savoir qui est responsable de la situation actuelle, qui a raison, et qui peut influencer la politique.
Une question de fond agite la filière : va-t-on limiter la production du lait en Allemagne ou pas ? Elle est alimentée par deux associations qui représentent les intérêts des agriculteurs/éleveurs laitiers : le Deutscher Bauernverband (DBV) et le Bundesverband Deutscher Milcherzeuger (BDM). Le DBV, qui est le plus grand syndicat agricole en Allemagne, défend le marché libre. Le BDM, qui représente une minorité d’éleveurs, veut par contre diminuer le volume de lait pour augmenter le prix. Il défend cette position face à la surproduction, alors qu’on ne peut isoler ni l’Allemagne, ni l’Europe, du reste du marché mondial. La majorité des éleveurs n’est pas favorable à une limitation de la production, mais celle-ci est de plus en plus souvent discutée au niveau politique : déjà six des seize ministres d’Agriculture des Länders (appartenant au parti des verts, proche de BDM), la défendent, ainsi que deux ministres de Länders d’autres partis.
Le gouvernement ne veut pas intervenir sur le marché et renvoie la balle dans le camp des laiteries et des éleveurs. Le 30 mai dernier, le ministre allemand de l’Agriculture Christian Schmidt a bien spécifié qu’il était du ressort des laiteries et des éleveurs de trouver une solution entre eux, et de négocier des limitations de volume. Pour soutenir la collaboration entre laiteries et éleveurs, le gouvernement a d’ailleurs adopté une loi qui permet de négocier les volumes produits pour une durée de six mois.
L’Allemagne s’intéresse aux systèmes de gestion des volumes français
FrieslandCampina est en Allemagne la seule laiterie qui a donné une prime à ses adhérents pour diminuer la production. Mais la filière laitière commence à s’intéresser aux systèmes de limitation mis en place en France par les laiteries.
Et toute la filière discute intensément sur une formalisation contractuelle future entre éleveurs et laiteries. L’Office fédéral de lutte contre les cartels a récemment remis en cause les obligations mutuelles qui lient les éleveurs et les coopératives depuis des décennies : à savoir l’obligation pour l’éleveur de livrer son lait à sa laiterie et l’obligation pour la laiterie de collecter le lait de l’éleveur. Il s’interroge sur la légitimité de ces obligations craignant qu’elles ne limitent la concurrence et désavantagent les éleveurs (ils ont un préavis de deux ans) : il a demandé d’argumenter ces obligations.
Un manque d’innovation des laiteries du Nord et de l’Est de l’Allemagne
Il existe environ 120 laiteries en Allemagne, pour deux tiers des coopératives. Beaucoup se sont endormies sur leurs acquis et n’ont pas su prendre des virages importants, à l’instar de la néerlandaise Friesland Campina ou de la scandinave Arla. Elles n’ont jamais vraiment cherché à développer les marchés d’exportation, ou les marchés à forte valeur ajoutée. Elles se sont reposées sur un grand marché intérieur de 80,6 millions d’habitants (pour 32 millions de tonnes de lait produit) et sur l’intervention. À l’inverse, dans les pays avec des marchés intérieurs plus petits comme les Pays-Bas, l’Irlande et les pays scandinaves, les laiteries ont développé tôt leurs marques et les stratégies pour les vendre.
Ceci est particulièrement vrai pour les laiteries du Nord, de l’Est et partiellement de l’Ouest de l’Allemagne. Elles exportent sur pays tiers principalement des produits basiques (poudre de lait, beurre et fromage en bloc), ou sont restées sur des produits traditionnels pour les consommateurs. Elles dépendent fortement des cours du marché mondial ; c’est pourquoi elles ne paient actuellement qu’environ 20 centimes par kilo de lait. Le prix de ces laiteries chute plus vite, mais il remontera aussi plus vite.
La plus grande entreprise allemande DMK (Deutsches Milchkontor) a ainsi annoncé récemment qu’elle n’allait payer que 20 centimes en juin. Cette coopérative généraliste compte 9 000 adhérents en Allemagne et transforme plus de 6 milliards de kilos de lait. Son prix est l’un des plus bas en Allemagne depuis de nombreuses années. Des erreurs de stratégies ont été commises pendant sa croissance ; elle n’a pas développé suffisamment de produits innovants, contrairement à Arla par exemple qui a lancé avec succès un mélange beurre huile de colza. Ses éleveurs coopérateurs sont en colère ; ils ne veulent plus écouter ses excuses et promesses.
Un prix du lait plus élevé dans le Sud jusqu’à 25 c/kg
En revanche, ce n’est pas le cas des laiteries du Sud du pays (et de quelques-unes à l’Ouest). Celles-ci se sont spécialisées dans des produits à plus forte valeur ajoutée, ont créé des marques innovantes et modernes ou se sont tournées vers des marchés de niche. La laiterie privée Müller (n° 2 en Allemagne) qui rivalise en Angleterre avec Arla surtout depuis son rachat de Dairy Crest, est un exemple de réussite. Tout comme la laiterie privée Ehrman, très connue pour ses yaourts, qui s’est installée avec succès aux États-Unis. Les prix payés aux producteurs se situent pour la plupart autour de 24-25 centimes par kilo et sont comparables à ceux payés par Arla (n° 3 en Allemagne) et FrieslandCampina (aussi une des plus grandes laiteries allemandes). Ils chutent et augmentent plus ou moins vite. En mai, quelques laiteries du Sud ont malgré tout en mai diminué leur prix entre 21-23 centimes le kilo. Le prix d’Arla est tombé en mai à 23,49 c (-1,24 par rapport à avril) et celui de Friesland Campina à 23,22 c (-2,5 c).
On commence à entendre parler d’éleveurs obligés d’arrêter la production. Avant la crise, les cessations concernaient les petites fermes ; on estimait que seules les grandes fermes, grâce à une meilleure efficacité et des coûts de production inférieurs, avaient de l’avenir. Avec la crise, ce sont aussi les grandes exploitations qui jettent l’éponge : elles n’arrivent plus à payer leurs nouvelles étables et leurs employés.
Il n’est pas possible de renverser la tendance du marché mondial. Mais les laiteries allemandes doivent oser innover davantage. Sinon elles resteront des marionnettes entre les mains de la distribution (voir encadré), et ce sont les éleveurs qui en pâtiront. De leur côté, les agriculteurs allemands doivent à l’avenir apprendre à mieux gérer le risque de baisse de prix sur leur exploitation, même si pour le moment la fiscalité ne les y aide pas. Car, si une chose est sûre, c’est que cette crise n’est pas la dernière.
Un signe de changement de politique laitière ?
Le gouvernement a annoncé une aide financière d’une valeur de 100 millions d'euros auxquels viendra s’ajouter un montant X toujours en discussion. Les 100 millions se répartissent en 78 millions d'euros de subventions pour les assurances, et 22 millions d'euros de garantie bancaire et de réduction du coût des prêts. Les 100 millions sont pour tous les agriculteurs allemands (environ 200 000) : ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer !
Le 7 juin dernier, le ministre de l’Agriculture a toutefois créé la surprise pendant une visite en Bavière, son land d’origine, en proposant de défendre à Bruxelles une réduction de la quantité de lait européen au cas où les laiteries et les éleveurs n’arriveraient pas à se mettre d’accord. Il réfléchit sur un système d’aides provenant du montant X qui serait lié à une diminution de la production du lait. Une mesure qui marquerait un changement de politique laitière.
La distribution toute puissante en Allemagne (Avec photo)
Cinq enseignes se partagent 80 à 85 % de parts de marché, comme dans d’autres pays. La particularité en Allemagne, c’est l’importance prise par leurs propres marques au détriment des laiteries qui n’ont pas su développer leurs produits. Les marques distributeurs dominent sur les étagères des supermarchés, ce qui n’est pas sans conséquence. La distribution met les laiteries sous pression : "si vous ne voulez pas vendre pour ce prix on demandera à un autre. " Les laiteries n’ont pas de produits sous leurs propres marques comme argument clé de vente. Cette absence de différenciation produit (par le nom de la laiterie ou la région) conduit à une dégradation des prix. La distribution livre l’emballage aux laiteries : celles-ci sont devenues de simples prestataires de service de la distribution, qui, elle, pense en entrepreneur.